Le Cri du peuple ranime la flamme de la Commune de Paris
Pour commémorer les 150 ans du début de la Commune de Paris, rien de tel que la lecture du classique de la bande dessinée sur le sujet, Le Cri du peuple de Tardi et Jean Vautrin. Pour l’occasion, les éditions Casterman rééditent les quatre tomes de la série dans une nouvelle intégrale (la précédente était parue en 2005) qui change de format. Chronologie des événements, souffle épique, humour, tragédie, rien ne manque à cette fiction qui s’adosse à une minutieuse reconstitution de l’insurrection parisienne de 1871.
Tardi avait déjà fait le coup pour la Première Guerre mondiale. Au milieu des années 1970, alors que plus personne, à part les historiens, n’a envie d’en parler, le dessinateur remet la Guerre de 14-18 sur le devant de la scène. Pendant 40 ans, il va régulièrement traiter la question, dénonçant cette boucherie, les horreurs des tranchées et la répression des mutineries de 1917. Lorsqu’il publie Le Cri du peuple en 2001, 130 ans après les faits, l’intérêt pour la Commune de Paris est à peu près aussi faible que celui pour la Grande Guerre 25 ans plus tôt. Pourtant, Tardi se lance dans une série en quatre volumes et plus de 300 pages. Il choisit pour cela d’adapter le roman de Jean Vautrin, paru en 1998, qui espérait secrètement que ce soit lui et nul autre dessinateur qui puisse le mettre en images.
La préface de Vautrin est très claire : “J’ai voulu raconter l’émergence d’un fantastique espoir de justice sociale, aller au plus près de la fraternité des hommes et parler des communards avec le parti pris libertaire qui est le mien et que partage Tardi. J’ai voulu ramasser la torche jamais éteinte de ceux qui l’ont tenue pendant deux mois et demi seulement et ont éclairé le monde conservateur de leurs utopies généreuses.” Versaillais, passe ton chemin. Le Cri du peuple – album dont le titre est celui d’un quotidien parisien fondé par Jules Vallès (journaliste, écrivain et homme politique de tous les combats révolutionnaires depuis 1848) et Pierre Denis (membre de la Première Internationale, inspiré par Proudhon) qui parut du 22 février au 12 mars 1871, puis du 22 mars au 2 mai de la même année – donne la parole aux acteurs de la Commune, des plus connus (Louise Michel, Gustave Courbet, Jules Vallès, Georges Clemenceau) aux plus obscurs (les personnages de Fil-de-fer, Caracole, Caf’Conc’). Les représentants à Paris du gouvernement de Versailles dirigé par l’inoxydable Adolphe Thiers sont les antagonistes de ce peuple de Paris qui refuse de capituler devant l’Allemagne puis déclare la constitution de la Commune.
A la manière des feuilletonistes du XIXe siècle, Le Cri du peuple déroule de manière très fine la chronologie des événements parisiens du 18 mars au 2 mai 1871 sur fond de vengeance familiale et d’une chasse à l’homme digne du Comte de Monte-Cristo ou des Misérables. Les ombres d’Edmond Dantès et de Jean Valjean planent sur l’album. A l’aide d’une documentation sans faille, Tardi dévoile le Paris populaire et la gouaille de ses habitants, vivant parfois dans des taudis bien que demeurant dans la ville lumière. L’argot parisien donne toute sa couleur à un récit pourtant réalisé dans un noir et blanc profond. Les anecdotes réelles les plus invraisemblables alternent avec les faits bien connus. Le sordide côtoie le sublime. Le souffle de l’épopée se dispute à la comédie de mœurs. L’écœurement et le dégoût du genre humain ne sont jamais loin.
Pour cette nouvelle édition, le format à l’italienne en deux bandes est abandonné pour un format plus classique en trois strips. Une nouvelle maquette a donc été réalisée, entraînant ici et là quelques cases redessinées. En revanche, et on peut le regretter, le volume n’a pas été augmenté d’un dossier final, si ce n’est sur la Commune au moins sur le travail de Tardi. Cette légère frustration n’enlève rien au contenu de l’album, une somme graphique sur les 71 jours d’insurrection parisienne. Le Cri du peuple est une porte d’entrée idéale pour s’imprégner de l’atmosphère de l’époque et se familiariser avec la chronologie des événements. 20 ans après la publication du premier tome, le récit n’a rien perdu de sa force. Une confirmation supplémentaire que le 9e art est un vrai passeur de connaissances historiques.
Le Cri du peuple. Tardi (scénario et dessin). Adapté du roman de Jean Vautrin. Casterman. 216 pages. 25 euros.