Le Roy des Ribauds t.2 : les basses œuvres de Philippe Auguste
Thriller médiéval unique en son genre, Le Roy des Ribauds nous plonge dans les bas-fonds de Paris, à l’époque où le Royaume de France avait à sa tête Philippe Auguste. La documentation soignée et le souci du détail sont ici mis au service d’une intrigue musclée. Du pur Brugeas-Toulhoat (Block 109), l’expérience en plus.
Certains chroniqueurs le surnommèrent « Auguste » ; d’autre l’estimèrent « Magnanime ». Quel que soit le qualificatif, Philippe II, septième roi de la lignée des Capétiens, a marqué durablement son époque et l’Histoire de France. Premier monarque à revendiquer le titre de « Rex Franciae » (Roi de France), en lieu et place de « Rex Francorum » (Roi des Francs), il consolide durablement le pouvoir royal, étend son domaine personnel, développe une administration puissante, et remporte quelques victoires restées célèbres, dont bien évidemment celle de Bouvines, en 1214, qui marque l’apogée de son règne. De quoi faire oublier, dans les livres d’Histoire de nos bambins, que Philippe Auguste était littéralement obsédé par son meilleur ennemi – Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre –, de même que par les Albigeois, dont il semble avoir fait de l’extermination une affaire toute personnelle. A chacun ses passions… Autre fait notable à mettre au bénéfice de Philippe Auguste : la transformation de Paris, qui devient officieusement la capitale de la France sous son règne (1180-1223). Il a ainsi fait paver les principales rues de la ville, fait ériger une imposante enceinte (dont certains vestiges sont encore visibles dans le Marais ou encore derrière le Panthéon), et signé une charte royale créant l’Université de Paris, l’une des premières au monde.
C’est justement sur cette relation entre Philippe Auguste et Paris que repose l’intrigue du Roy des Ribauds, dont le deuxième livre vient de paraître. Car si la cour est à cette époque (1194) encore largement itinérante, le monarque passe de plus en plus de temps dans sa capitale. Tant et si bien qu’il lui faut absolument avoir une certaine maîtrise sur cette populace citadine, peu prompte à marcher religieusement au pas derrière sa bannière. C’est là qu’entre en scène le Triste Sire, protagoniste du Roy des Ribauds et inspiré d’un personnage bien réel. Bras armé et âme damnée de Philippe Auguste, il est aux bas-fonds de l’ancienne Lutèce ce que son souverain est à la France : un chef puissant et respecté. Mais pas incontesté. Les alliances avec les autres coupe-jarrets sont parfois fragiles. Dans le tome 1, un règlement de compte qui tourne mal va ainsi brusquement mettre le Triste Sire dans une position particulièrement délicate. Mis en minorité par ses alliés, il doit également mentir à son souverain, auquel il est pourtant sincèrement dévoué. Comme souvent dans ces cas-là, la scoumoune ne le quittera pas avant qu’il n’ait bien touché le fond ; chaque tentative de régler la situation se soldant par un nouvel échec ou un autre mensonge. Autant dire que Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat s’en donnent à cœur joie dans ce récit sombre et violent, où les problèmes se règlent en général à la pointe de l’épée, au fond d’une venelle poisseuse et malodorante.
Remarqués pour la saga uchronique Block 109, Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat démontrent avec Le Roy des Ribauds qu’ils maîtrisent de mieux en mieux leur médium. La narration est plus fluide, bien que ses rouages soient nombreux et complexes. Au-delà des événements en cascade qui se déroulent à Paris, c’est en effet surtout le regain d’activité de Richard Cœur de Lion (détenu depuis l’automne 1192 par l’empereur Henri VI, il vient d’être libéré au moment où débute la deuxième partie du Roy des Ribauds) qui préoccupe le souverain. L’équilibre entre action et réflexion – qui avait fait défaut à la série Chaos team, par trop tournée vers la baston – est ici parfait, ce qui permet de maintenir naturellement une certaine tension et un suspense, tout au long de la lecture. On retrouve toujours par ailleurs ces mêmes personnages sombres et violents, qui sont une des marques de fabrique du duo. D’un point de vue graphique, Ronan Toulhoat est brillant dans sa mise en scène des ruelles obscures et sales d’un Paris médiéval en construction. Un véritable labyrinthe, dont les venelles sont autant de coupe-gorge, et qui se révèle être un décor particulièrement oppressant. Quelques libertés ont toutefois été prises pour des raisons esthétiques ; par exemple, en 1194, la construction de la façade de la cathédrale Notre-Dame vient à peine de commencer, alors qu’elle est déjà bien avancée dans la bande dessinée. Et puis il y a cette collection de gueules, en particulier celles du Triste Sire, blafarde et couverte de cicatrices, ou encore celle du roi, qui porte une grande balafre sur le côté droit du visage. Indispensable à tout passionné de bande dessinée et d’Histoire médiévale.
Le Roy des Ribauds – Livre II. Vincent Brugeas (scénario), Ronan Toulhoat (dessin). Akiléos. 152 pages. 19 €
Les 5 premières planches :