Les Brigades internationales de la Guerre d’Espagne, vues par les BD publiées en France
Dès l’été 1936, des antifascistes viennent du monde entier se battre en Espagne pour les idéaux de la République. Dans un premier temps, les volontaires étrangers s’agrègent aux organisations ouvrières espagnoles. Puis vient les temps de la mise sur pied des Brigades internationales, créées par un décret gouvernemental de la République espagnole le 22 octobre 1936. L’arrivée de ces combattants empêche Franco de s’emparer de Madrid durant l’hiver 1936-1937. En juin 1937, les Brigades internationales représentent 59 000 combattants. Mais le recrutement et l’organisation de ces Brigades Internationales est aux mains de l’Internationale communiste (Komintern). Elles sont dissoutes en octobre 1938 et la République s’effondre quelques mois plus tard. Depuis les années 1990, les BD publiées en France se font l’écho de cet engagement internationaliste, qui a marqué la Guerre d’Espagne, faisant de ce conflit une sorte de répétition générale de la Seconde Guerre mondiale.
Antifascistes de tous les pays
Il y a déjà, en juillet 1936, beaucoup d’étrangers en Espagne. En signe de protestation contre les Jeux olympiques de Berlin, qui auront lieu du 1er au 16 août 1936, des Olympiades populaires se déroulent à Barcelone du 19 au 26 juillet. Le coup d’Etat franquiste du 17-18 juillet empêche leur déroulement. Certains sportifs se joignent alors aux forces républicaines contre les franquistes. C’est ce que nous montre l’album Sept athlètes,de Bertrand Galic, Kris et David Morancho, sorti en 2017 chez Delcourt. Ici, sept de ces athlètes de plusieurs nationalités sont intégrés à la Colonne Durruti (été 1936), groupe combattant anarchiste (voir plus bas).
Dans Mattéo Quatrième époque (aout-septembre 1936) de Jean-Pierre Gibrat sorti en 2017 chez Futuropolis, il se passe la même chose pour le héros et ses amis, qui ont quitté les Pyrénées orientales pour venir combattre en Espagne. Ils sont eux aussi intégrés à un groupe de combat républicain, qui doit libérer un village. Ils y sont rejoints par une athlète polonaise, venue elle aussi pour les Olympiades populaires (p.39).
C’est encore l’odyssée d’un petit groupe de combattants internationaux, qui nous est raconté dans Quintos d’Andreas et Isabelle Cochet sorti en 2006 chez Dargaud.
Mais de plus importantes batailles attendent les combattants internationaux, désormais militairement organisés dans le cadre des Brigades. Ainsi dans Louis la guigne t.11, La Cinquième colonne de Franck Giroud et Jean-Paul Dethorey, sorti chez Glénat en 1995, nous voyons le héros, Louis Ferchot, en train de chercher un ami allemand au centre d’accueil de la XIVe brigade internationale à Albacete (p.2). Il interroge un volontaire qui, dans une langue non explicitée dans la BD (c’est du roumain), lui répond… de trouver un interprète.
Les BD publiées en France nous montrent des scènes de combat, qui font furieusement penser aux tranchées de la Première Guerre mondiale. Il faut monter à l’assaut sous la conduite d’un officier, la plupart du temps non-espagnol. Ainsi l’allemand Dieter Heilig, dans la sierra de Teruel (p.16)
Ainsi l’italien Guido Treves (p.62 de No pasaran, de Vittorio Giardino chez Glénat, 2011)
Toujours les tranchées, dans Le recul du fusil, t. 2 Les batailles de Jean-Sébastien Bordas, chez Soleil en 2016. Un noir y interroge en anglais un officier brigadiste français « légèrement » raciste, qui est ébahi de trouver dans cette circonstance un officier américain, noir de surcroît. Dans la XVème Brigade internationale, le 3e bataillon, composé majoritairement d’américains se nomme « Bataillon Lincoln » et le 4e bataillon, franco-belge, « Bataillon 6 février », en référence à la journée d’insurrection de l’extrême droite française à Paris le 6 février 1934. Journée qui amena en réaction à gauche la constitution et la victoire électorale du Front Populaire. D’où la question posée par l’Américain au français : « Sisse Feviyeah ? ».
Figures internationalistes
De ce rassemblement international qu’est l’Espagne de la Guerre civile, émergent un certains nombre de personnalités, espagnoles ou non, célèbres à divers titres. Les BD publiées en France les mettent en scène, plus ou moins fréquemment.
Au premier rang de ces figures internationalistes se trouve Dolorès Ibarruri (1895-1989), dite « La pasionaria ». Nous avons déjà évoqué sa biographie, à laquelle est consacré l’album La pasionaria de Michèle Gazier et Bernard Ciccolini, sorti en 2015 chez Naïve livres.
Des épisodes de sa vie durant cette période sont évoqués dans certains albums. Ainsi dans Eloy d’Antonio Hernandez Palacios, sorti en 1985 chez les Humanoïdes Associés, elle tente d’arrêter la fuite de combattants républicains en octobre 1936 après leur défaite face à Tolède (p.37). Mais il y a surtout son fameux discours du 29 octobre 1938 lors du défilé d’adieu aux Brigades internationales, mis en images dans La Guerre civile espagnole de Paul Preston et Jose Pablo Garcia (p.219). Le bataillon Rakosi est formé de combattants hongrois.
Autre personnalité internationaliste espagnole : Enrique Lister (1907-1994). Ouvrier carrier et militant communiste, il devient un des chefs de l’Armée populaire de la République et en profite pour réprimer brutalement le mouvement anarchiste. Réfugié à Moscou en 1939, il est un des dirigeants du PCE et même général dans l’Armée rouge. Rentré en Espagne après la mort de Franco, il ne parvient pas à se faire élire. Il est une des personnages de l’album Eloy, où on le rencontre souvent car il devient un ami du héros (pp.12, 25, 31, 32, 34 et 47). Il est interviewé en 1938 sur le front de l’Ebre par des journalistes internationaux auxquels s’est mêlé Max Friedman, dans Max Fridman, Rio de Sangre, le deuxième opus du cycle que Vittorio Giardino consacre à son héros durant la Guerre d’Espagne (p.32).
Et il est enfin évoqué pour son action à la fin de la guerre et la défaite de la République en 1939 dans Les soldats de Salamine de Javier Cercas et José Pablo Garcia sorti chez Actes sud BD en 2020 (p.21)
Autre figure internationaliste espagnole, Buenaventura Durruti (1896-1936). Né dans une famille ouvrière du León, il s’exile en France pour échapper à la répression contre une grève (1917-1920). Il rentre en Espagne en 1931 à l’avènement de la République et y mène une vie de dirigeant politique et syndical. Il est un des chefs de la résistance au coup d’Etat à Barcelone. Puis à la tête de sa colonne de miliciens anarchistes, Durruti traverse la ville pour aller rejoindre le front d’Aragon et libérer Saragosse (24 juillet 1936). Le départ triomphal de cette expédition est évoqué à plusieurs reprises. Ainsi dans l’album Sept athlètes p.27 ou dans Les fantômes d’Ermo tome 1 p.111 de Bruno Loth sorti en 2017 chez La boite à bulles.
Et c’est dans le tome 2 p.172 de ce même album de Bruno Loth que sont mises en images les funérailles de ce leader anarchiste en octobre 1936, mort à Madrid dans des circonstances jamais élucidées.
Autre figure internationaliste incontournable de la Guerre d’Espagne, le français André Marty (1896-1956). Officier mécanicien de la Marine nationale française, il est une des meneurs de la Mutinerie de la Mer noire en 1919. Condamné à 20 ans de travaux forcés et gracié au bout de trois ans, il entre au tout nouveau PCF, dont il devient un des premiers élus. En août 1936, le Kominterm le place à la tête des Brigades Internationales. Sa réputation de brutalité lui vaut le surnom de « boucher d’Albacete ». En août 1939 lors du pacte germano-soviétique, il est à Moscou qu’il quitte en 1943 pour Alger où il représente le PCF dans le Gouvernement provisoire. Il est le n°3 du PCF jusqu’à son exclusion en 1952. Nous le trouvons dans les BD à deux reprises. Tout d’abord dans Louis la guigne ,t. 11 : la cinquième colonne, de Franck Giroud et Jean-Paul, Dethorey, paru en 1995 chez Glénat p.32. Et toujours représenté portant un béret dans La Guerre civile espagnole de Paul Preston et Jose Pablo Garcia sorti chez Belin en 2017 (p.219).
Dans ce panel de célébrités, nous n’aurons garde d’oublier l’incontournable Américain Ernest Hemingway (1899-1961), aventurier, écrivain et correspondant de guerre aux côtés des républicains. De cette expérience espagnole, il tire la matière de son livre Pour qui sonne le glas paru en 1940. Il prend part à la Libération de Paris en 1944. Il se suicide en 1961. Beaucoup de BD publiées en France nous le montrent fugitivement en Espagne en 1939 comme dans Hispaniola de Lele Vianello, sorti en 2020 chez Mosquito (p.53), ou dans Paris libéré en août 1944 dans La nueve de Paco Roca sorti chez Delcourt en 2014 (p.285).
Dans Double 7 de Yann et André Juillard sorti en 2018 chez Dargaud, Hemingway est un personnage secondaire de l’intrigue, arrivant à Madrid fin 1936 au milieu d’un bombardement (p.11), et, à la fin de l’album, jouant de sa notoriété pour aider l’héroïne anarchiste à échapper aux communistes (p.67).
L’anglais Eric Arthur Blair, dit Georges Orwell (1903-1950), journaliste, écrivain et essayiste, a combattu en Espagne aux cotés des anarchistes du POUM (Partido Obrero de Unificación Marxista, Parti ouvrier d’unification marxiste). Il raconte son expérience dans son livre Homage to Catalonia, publié en 1938. Sa biographie a fait l’objet de l’album Orwell de Pierre Christin et Sébastien Verdier sorti en 2019 chez Dargaud.
Après les Brigades
Les brigades dissoutes en octobre 1938, la République écrasée en mars 1939, quel est le destin des anciens brigadistes ?
Certains retrouvent leur vie d’avant. Ainsi dans Max Fridman, Non pasaran, le cycle de Vittorio Giardino intégrale chez Glénat en 2011, le héros se dépêche en quittant l’Espagne, de revenir à Genève assister au spectacle de danse de sa fille (p.168).
De la même manière, dans Les serpents aveugles de Felipe H. Cava et Bartolomé Segui, sorti chez Dargaud en 2008, les anciens brigadistes retrouvent les affrontements des bas-fonds de New York.
D’autres continuent la lutte antifasciste. Six mois après la chute de la République, commence la Seconde Guerre mondiale, qui verra en mai-juin 1940 l’effondrement de l’armée française. Dans Espana la vida de Maximilien Le Roy et Eddy Vaccaro sorti en 2013 chez Casterman, le héros, brigadiste rentré en France, s’embarque sur un bateau de pêcheur pour l’Angleterre afin de répondre à l’appel du 18 juin 1940 du Général de Gaulle. Durant la traversée, il lit une publication anarchiste (p.118).
Quatre ans plus tard, le 24 aout 1944, dans la progression fulgurante de la 2° DB sur Paris, les soldats républicains espagnols de La Nueve, de Paco Roca sorti chez Delcourt en 2014, croisent (p.257) un soldat américain, qui leur déclare avoir appartenu à la Brigade Lincoln, en fait le bataillon Lincoln (voir plus haut). Comme quoi, l’engagement antifasciste de certains va plus loin que la seule Guerre d’Espagne.
Et cet engagement internationaliste continue encore bien plus tard, c’est-à-dire jusqu’à la fin des années 1970. Dans Les Phalanges de l’Ordre noir de Pierre Christin et Enki Bilal, sorti chez Dargaud en 1979, un groupe européen d’anciens combattants d’extrême droite commet une série de violences en Espagne et en Europe. Des anciens des Brigades Internationales se regroupent pour leur donner la chasse. À la fin, les deux groupes se détruisent mutuellement
Comme nous l’avons exposé en introduction, la Guerre civile espagnole préfigure l’embrasement du second conflit mondial. L’engagement dans les Brigades Internationales en Espagne représente un phénomène assez unique dans l’histoire contemporaine : « l’exemple héroïque de la solidarité et de l’universalité de la démocratie » comme l’a dit la pasionaria en octobre 1938. Ce n’est donc pas un hasard, si c’est par un album sur ce thème des Brigades Internationales que la BD française ouvre en 1979, avec Les Phalanges de l’Ordre noir, ce champ mémoriel si fécond de la Guerre d’Espagne.
Sept Athlètes. Kris et Bertrand Galic (scénario). David Morancho (dessin). Delcourt. 64 pages. 15,50 euros.
Quintos. Andreas (Scénario et dessin). Isabelle Cochet (dessin et couleurs). Dargaud. 54 pages. 15 euros.
Mattéo T4. Jean-Pierre Gibrat (scénario et dessin). Futuropolis. 64 pages. 17 euros.
La Pasionaria. Michèle Gazier (scénario). Bernard Ciccolini (dessin). Naïve. 96 pages. 18 euros.
Les Fantômes de Ermo T2. Bruno Loth (scénario et dessin). La Boite à Bulles. 184 pages. 25 euros.
Les Soldats de Salamine. José Pablo Garcia (scénario et dessin). Actes sud BD. 160 pages. 22 euros.
Max Fridman – No Pasaran Intégrale T3 à 5. Vittorio Giardino (scénario et dessin). Glénat. 167 pages. 30 euros.
La guerre civile espagnole. José Pablo Garcia (adaptation du livre de Paul Preston et dessin). Belin. 240 pages. 24,90 euros.
Espana la vida. Maximilien Le Roy (scénario). Eddy Vaccaro (dessin). Anne-Claire Jouvray (couleurs). Casterman. 128 pages. 25 euros.
Les Phalanges de l’Ordre noir. Pierre Christin (scénario). Enki Bilal (dessin). Patricia Bilal (couleurs). Casterman. 120 pages. 20 euros.