Let the children be children : Mettez des mots sur votre colère, de Marc Malès
Mettez les mots sur votre colère est la mise en image des deux rages qui emportent Owen Brady, un photographe missionné pour documenter les conditions effroyables dans lesquelles travaillent des millions d’enfants. Il enrage devant ces enfants exploités et il enrage car son enfance, à lui, est une blessure qui ne se referme pas. Cet album magnifique s’inspire pour ce qui touche à la photographie de la vie de Lewis Hine. Ce photographe américain a posé les bases de ce qu’on va appeler la photographie sociale.
Disons le très vite, rien dans les biographies de Lewis Hine (1874-1940) ne permet d’imaginer qu’il a ressenti les mêmes tourments qu’Owen Brady. Ce dernier a choisi d’accepter la commande du National Child Labour Committee (NCLC ) pour dénoncer mais surtout pour régler un vieux compte avec son père qui le maltraitait. Lewis Hine découvre la photographie lors de ses études de sociologie. L’apparente objectivité de l’image photographique apparait comme un moyen acceptable d’enregistrer le réel avec le plus de rigueur scientifique possible. Il s’intéresse aux damnés de l’Amérique. Les premiers à passer devant son objectif sont les arrivants d’Ellis Island. Il vend ses photos à des journaux, des brochures. Son souci n’est pas la qualité esthétique des images mais ce qu’elles montrent. Comme Owen Brady, son travail est avant tout un travail militant.
Comme lui, Lewis Hine parcourt le pays avec son lourd appareil photo à plaque de verre. De 1908 à 1918, après Ellis Island, et malgré une mission comme photographe de la Croix-Rouge pendant la guerre, il pénètre dans les usines, les entrepôts pour photographier les enfants dans ce qui est leur quotidien, les longues journées de labeur harassant. Le danger est omniprésent, l’hygiène et l’éducation sont inexistantes. En bon sociologue, il note tout ce qu’il peut, comme le fait Owen. Age, taille, conditions de travail, famille, puis ramène le tout pour le publier dans de petites brochures publiées par le NCLC et des journaux progressistes comme The Survey. Les lois interdisant le travail des plus jeunes seront votées beaucoup plus tard mais le reportage de Hine a été déterminant dans la prise de conscience des abus du capitalisme. Malgré les situations dures décrites par Hine, il ne choisit jamais la facilité. L’émotion facile, les larmes ne sont pas de bons vecteurs de son discours. Owen Brady suit les mêmes principes, rien n’est aussi efficace que de montrer la réalité brutale et sans fard.
Tout cela est remarquablement montré dans l’album de Marc Malès. L’histoire qu’il a choisie de raconter, loin de la réalité historique, donne une densité inattendue à la mission qu’il s’est fixée. Le lecteur n’a pas l’impression de lire une simple biographie mais de pénétrer dans l’intimité d’un artiste tourmenté.
Sélection d’images d’enfants au travail réalisées par Lewis Hine entre 1908 et 1918
Mettez des mots sur votre colère. Marc Malès (scénario et dessin). Glénat. 144 pages. 25,50 €.