Les Enfants de la Résistance, tome 9, l’arrivée des jours heureux ?
A l’occasion de la sortie du tome 9 de la série Les Enfants de la Résistance, Cases d’Histoire a rencontré son scénariste, Vincent Dugomier, pour découvrir les ressorts de cette série au succès fabuleux qui est devenue un classique de la bande dessinée historique et un manuel d’Histoire présent dans de nombreuses écoles.
Il fait ses débuts en signant des scénarios pour le journal Spirou. Vincent Dugomier est doué pour ajouter une petite touche de surnaturel au monde de l’enfance, comme en attestent les sagas Muriel et Boulon (Le Lombard) ou, plus tard, Les Démons d’Alexia (Dupuis), toutes deux écrites pour son ami Benoît Ers. Il n’oublie pas pour autant son sens de l’humour, avec la série Les Campeurs, qu’il publie chez Bamboo entre 2006 et 2010. Il s’essaie également au thriller pour adolescents avec Hell School (Le Lombard). Avec la collection de prestige dédiée à Franquin lancée chez Marsu Productions, Vincent Dugomier se découvre une nouvelle passion pour le travail de recherches à partir d’archives rares. En 2015, il signe Les Enfants de la Résistance au Lombard, une série historique destinée au jeune public. Par la suite, toujours chez l’éditeur bruxellois, il lance Les Omniscients, avec Renata Castellani, puis Urbex, une série ado-adulte dessinée par Clarke, qui reçoit le Prix des Collèges au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2022.
Cases d’Histoire : Qu’est-ce qui vous plaît dans l’écriture de bandes dessinées pour la jeunesse ?
Vincent Dugomier : J’aime beaucoup écrire pour la jeunesse parce qu’on peut utiliser une forme de candeur qui permet d’aborder des sujets qu’on n’aborderait peut-être pas forcément si on s’adresse aux adultes. Je parle de bande dessinée classique un peu mainstream. J’aime assez bien ce côté détendu, de pouvoir parler de pas mal de choses en étant aussi explicatif, non pas didactique, mais vraiment explicatif. On se rend compte que quand on parle de la Résistance à des adultes on s’imagine, souvent à tort, qu’ils savent déjà plein de choses mais quand on s’adresse aux enfants on peut vraiment redémarrer à la base et expliquer pourquoi on résiste plutôt que comment résiste. C’est quelque chose de naturel qui ne s’explique pas, je me rends compte que je ne serais pas tellement à l’aise quand si je devais faire une bande dessinée purement pour un public plus âgé. Je l’ai fait quelque fois je suis moins dans mes repères.
Ça correspond aussi à une tradition de la BD franco-belge qui n’a pas complètement disparu mais qui s’est un peu transformée. On voit beaucoup d’albums sur la guerre et sur la Résistance mais ce sont surtout des BD adultes.
C’est une tradition qui est important de faire perdurer. C’est vrai que la bande dessinée jeunesse, ainsi que la littérature jeunesse, s’empare de de sujets beaucoup plus actuels, modernes ou compliqués, vraiment chauds à expliquer et la BD est vraiment un bon support pour faire passer des idées complexes.
Comment avez-vous eu l’idée de cette série et qu’est-ce qu’elle raconte ?
Ça raconte vraiment l’Occupation dans un village français. On est un peu en Bourgogne mais ce n’est pas hyper précis et c’est un village fictif. Dans ce village, il y a trois enfants qui vivent l’Occupation, qui observent et qui décident d’agir. C’est venu vraiment de notre goût d’écouter nos parents et nos grands-parents parler de leur enfance pendant la Guerre et on voulait vraiment faire une sorte de témoignage, un outil de transmission de la mémoire. Au départ, on voulait vraiment raconter l’Occupation à hauteur d’enfant. Dans la discussion qui a duré 10 minutes, on s’est rendu compte qu’on avait chacun un grand-parent Résistant. L’idée est venue naturellement que nos Résistants seraient des enfants et c’est devenu Les Enfants de la Résistance. L’idée générale s’est rapidement mise en place, comme ça très simplement. Ensuite on a réfléchi à notre point de vue, on s’est documenté et on a développé le projet pendant un an et demi environ.
Ce qui est intéressant dans votre projet, c’est que ces enfants ont des préoccupations d’enfants mais aussi d’adultes, puisqu’il vont prendre des risques d’adultes. C’est une idée assez neuve dans la BD historique.
Si on gratte un peu dans les téléfilms sur l’Occupation, on devrait pouvoir trouver une histoire avec des enfants qui se disent tiens on va faire quelque chose, on va agir. Nous, nous avons poussé le bouchon un peu plus loin parce qu’ils sont pris à leur propre piège et ils sont poussés à continuer et ils créent carrément un réseau, mais l’idée c’était surtout de montrer la prise de conscience des enfants. Ils sont en vacances, ils ont le temps pour réfléchir. Ils ont des clés aussi de compréhension fournies par leur milieu familial je dirais. Ils observent l’apathie des adultes et ils se disent on va les bousculer, on va les pousser à désobéir. C’était vraiment la mécanique qu’on voulait installer dans la série.
Alors qui sont ces trois enfants ?
Au départ, il y a François et Eusebe qui sont deux copains du village. François est un garçon de ferme, il n’a peur de rien. C’est le plus fonceur. Il n’est même pas courageux car il est inconscient, il va au-devant de tous les dangers. Il est très révolté. Ensuite il y a Eusèbe, son copain, qui est le fils de l’instituteur. Il est beaucoup plus réservé mais je le trouve extrêmement courageux parce qu’il ose affronter sa peur et est rentré en Résistance malgré tout. Ils découvrent un troisième personnage qui est une jeune fille qui s’appelle Lisa. Je pense que je peux je peux dévoiler les secrets qui entourent ce personnage dans le tome 1. Au fur et à mesure, les lecteurs se rendent compte que cette petite fille qui est officiellement une réfugiée de l’Exode, est en fait une Allemande dont les parents sont morts sur les routes de l’Exode. C’était une famille antinazie qui a dû fuir l’Allemagne. Dans leur trio de Résistance, il y a donc une petite Allemande et cette petite Allemande décide de rentrer dans la Résistance française. Elle ne résiste pas contre son peuple mais contre le nazisme et c’est de loin le personnage favori de tous les lecteurs alors qu’on raconte la Résistance en France. On est très content Benoit et moi d’avoir pu apporter quelque chose d’universel et d’humaniste.
Elle résiste, elle est très courageuse puisqu’elle se fait engager, comme elle parle allemand, pour travailler au contact des nazis. C’est un sacré personnage.
Oui, c’est un sacré personnage, complètement, elle ose vraiment des choses absolument incroyables. L’avantage de la série jeunesse, c’est qu’on a envie de croire à tout ce côté vraiment héroïque des jeunes personnages. Ils côtoient le danger et les lecteurs, souvent les jeunes lecteurs, ont peur pour eux. Ils sont persuadés qu’un des trois héros pourrait mourir dans l’aventure.
Dans le tome 9 qui vient de sortir, ça chauffe quand même beaucoup. A côté de ces trois enfants, il y a toute une galerie de personnages : les notables du village, des habitants, des nazis, des agents anglais. Dans le tome 9 arrive la milice. C’est aussi un univers très cohérent, très historique, très documenté. C’est un petit village mais ce village représente un petit peu toutes les facettes de l’époque.
Nous avons inventé des gens qui résistent, d’autres qui sont mécontents mais qui n’agissent pas, qui ne font rien, puis d’autres qui s’adaptent à la situation, puis certains qui collaborent, puis d’autres qui collaborent et puis qui reculent parce qu’ils disent non ! ça ne va pas, je ne suis plus d’accord avec cette situation. Et bien sûr, il y a l’occupant. Chez les occupants, un officier de la logistique se rend bien compte qu’il aimerait être ailleurs. Il y a les soldats qui obéissent et les enfants se posent des questions sur le fait que quelque part tous ces soldats sont en train d’obéir aux ordres pour tuer d’autres gens.
C’est de la littérature jeunesse mais les personnages sont très complexes, ce ne sont pas des personnages simplistes.
Ils ne peuvent pas être simplistes parce que la guerre leur fait découvrir leur complexité interne, parce que quand on est dans une situation pareille, on doit prendre position, on doit réfléchir. Soit on ferme tout et on attend que ça passe, soit, si on commence à observer, on agit. Là, effectivement, les personnages s’enrichissent naturellement des événements qu’ils vivent. Leur enfance est volée parce qu’ils vivent des trucs d’adultes à cause de la guerre. Leur enfance est volée et après c’est leur adolescence qui est volée. Mais Eusèbe et Lisa décident que non, on na va pas tout leur prendre et ils ont une histoire d’amour. C’est important et c’est aussi une forme de résistance de se dire que ce n’est pas parce c’est la guerre et que ce n’est pas drôle qu’on n’a pas le droit d’être heureux.
C’est à la fois une bande dessinée sur la guerre, sur la Résistance, mais on peut aussi y voir une bande dessinée sur l’amitié, sur la solidarité, sur une forme d’humanité qui fait qu’on est plus fort à plusieurs.
Effectivement c’est une thématique qui ressort très très souvent auprès des lecteurs. Les trois amis sont solidaires entre eux mais ils agissent aussi pour des gens qu’ils ne connaissent absolument pas. Ils agissent pour le bien commun et ça c’est vraiment très important. C’est ce qu’a fait la Résistance, son but était d’aider à la libération du territoire pour réinstaller la République et réinstaller un État de droit. Ça demande un vrai sacrifice et beaucoup d’amour pour son prochain, pour son peuple et même pour tous les peuples quelque-part, puisque la Résistance est très multiculturelle. Ces idées de solidarité, c’est quand même une belle chose et c’est quelque chose d’intéressant pour les jeunes aujourd’hui de voir que en étant solidaire, on obtient certainement plus de choses bénéfiques.
Et il ne faut pas oublier que ce sont des gens qui vivent une situation plus difficile que ce qu’on vit nous actuellement.
Ça c’est clair, même si la situation n’est pas simple. Mais on n’est pas en guerre, on n’est pas occupés par des nazis. On peut dire ce qu’on veut, on peut agir sans risque. On peut toujours espérer que ce travail de de mémoire pourra au moins ouvrir un petit peu les yeux à la génération qui vient. Avec Benoit, on a l’espoir que cette BD serve à quelque chose. En tout cas, il faut occuper le terrain de la mémoire et pas laisser les concepts de Résistance à des gens, des courants politiques qui en réalité n’en faisait pas partie pendant la Guerre. Il faut être clair et bien indiquer qui faisait quoi. Le tome 9, à ce niveau-là, est particulièrement clair avec l’arrivée de la Milice dans le village.
L’autre chose qui est intéressante, c’est que vous êtes belges. La Belgique a été occupée différemment de la France, le pays étant administré par l’armée allemande, pourtant vous mettez en scène un village français. Comment faites-vous le lien entre la Belgique et la France ? Il y a eu des Résistants belges très courageux et très vaillants, pourquoi choisir un autre pays ?
C’était vraiment quelque chose de tout à fait naturel pour nous, ça n’a même pas été une discussion parce qu’on était vraiment très attiré par l’idée de parler de cette collaboration d’État conduite par le maréchal Pétain. C’était vraiment ça qui nous intéressait et la Belgique a un autre rapport avec la Résistance. En particulier parce que le pays été entièrement envahi en 1914-1918 et occupé pendant quatre ans. La découverte de la Résistance est beaucoup plus forte en France en 1940, car le territoire envahi en 1914-1918 était plutôt faible (la Résistance y a existé mais de manière très sporadique). Tandis qu’en Belgique, ce n’est plus une découverte. Cette découverte en 1940 est importante parce qu’elle permet de justifier les entrées en Résistance et d’expliquer vraiment ce que c’était et pourquoi on résiste, contre quoi… En Belgique, les réseaux de la Première Guerre mondiale vont se réactiver tout simplement. La Résistance belge est particulière car les grandes figures sont deux femmes et sont liées à la Première Guerre mondiale. Il y a eu beaucoup de travail dans les années 1920 et 1930 pour glorifier ces Résistantes, Gabrielle Petit et Edith Cavell. Du coup, en 1940, il y a beaucoup de femmes qui s’engagent. Elles créeront le réseau Comète qui exfiltre des pilotes descendus en Belgique et dans le Nord.
Comment avez-vous choisi votre village fictif ?
On ne voulait pas s’installer en Normandie parce qu’on allait attendre le Débarquement pendant quatre ans. On ne voulait pas être trop loin de la ligne de démarcation. On ne voulait pas être en ville ou à Paris car ça aurait été très contraignant pour le dessin et même pour les actions. Nous avons choisi une région vallonnée, pas trop loin de l’Allemagne. C’était aussi cohérent de ne pas être trop loin de la ligne de démarcation, près des montagnes, des Maquis. Peu à peu, on voyait instinctivement que c’était bon. Spontanément, on a mis cette écluse triple dans le village ainsi qu’un pont de chemin de fer en se disant que ça justifiait la présence d’une grosse garnison allemande et ça allait nous permettre de proposer des actes de sabotage ou d’autres. Et effectivement, ça nous sert continuellement. Tout ça est pensé dès le départ de la série mais en ne sachant pas exactement ce qu’on ferait avec. En revanche, l’idée de boucher le canal dans le tome 1 est venue naturellement parce qu’il fallait un beau gros acte de résistance dès le début. Après on se fait confiance et c’est notre métier, parce que l’éditeur ne nous avait pas dit qu’on ferait 9 tomes. On avait deux tomes devant nous et puis on a planté des graines et finalement ça grossit, ça grossit. On n’avait pas prévu de finir en deux tomes, ça c’était certain. Et le tome 1 est très lent, mais très rapidement la série s’est installée. Ça n’a pas été un franc succès dès le départ, mais elle s’est installée suffisamment pour être viable pour tout le monde. On a pu continuer sans trop se tracasser et en assurant cette cohérence en permanence.
Le tome 9 vient de sortir, il se termine sur le Débarquement du 6 juin 1944, on approche de la fin de la guerre en France mais on peut imaginer que la série va continuer après la Libération. Les hommes de la Résistance agissent après la fin de la guerre. Politiquement, des choses importantes qui vont se passer.
Oui et on pose des jalons, on plante quelques graines dans le tome 9. La Résistance va porter le programme du Conseil National de la Résistance, un programme socio-économique qui va être mis en place en France et qui est toujours en place aujourd’hui puisque la sécurité sociale découle de là. Mais avant d’y arriver, il y a encore beaucoup d’évènements à raconter comme la libération du village. C’est vrai que les témoins de l’époque parlent beaucoup de l’après parce qu’il faut reconstruire, il faut se pardonner, il y a des choses à faire. Ça peut être très riche et j’ai beaucoup d’idées que j’accumule depuis le tome 1. L’épilogue sera vraiment très important. Comme on a la chance d’avoir des lecteurs qui nous suivent, on peut prendre le temps de bien raconter les choses.
Je voulais revenir aussi sur les témoins, parce que vous en avez rencontré beaucoup, d’abord pour vous documenter mais aussi parce qu’il y a sûrement des anecdotes, plein de choses qu’on peut piocher dans les souvenirs des anciens et des anciennes Résistants. Que pensent-ils quand ils découvrent les Enfants de la Résistance et qu’ils se voient dans vos pages ?
Je n’ai pas rencontré tant de témoins que ça et nous n’avons pas vraiment de retours. En revanche, la première réaction, c’est “merci, c’est bien, il faut un travail de mémoire“. Au début, on craignait un peu leur réaction. Mais en fait, ils ont très peur que l’Histoire s’oublie. Ils savent très bien qu’ils sont dans leurs dernières années, et donc ils sont très satisfaits que ces ouvrages remportent du succès. On a rencontré un ancien enfant Résistant, Jean-Jacques Auduc, qui nous avait dit qu’il avait peur avant de lire le tome 1. Mais il a bien retrouvé ce qu’il avait vécu. Sa réaction est très gratifiante, et on a pu faire une séance de dédicace avec lui.
On a parlé de l’histoire, des personnages, de l’Histoire avec un grand H. Il faut aussi parler du dessin parce que le succès de la série vient du scénario et du dessin. Vous êtes complice depuis longtemps, vous vous connaissez bien. Le dessin de Benoît Ers est très expressif, il a l’air simple mais il fourmille de détails, c’est extrêmement documenté. Il dessine ça avec beaucoup d’élégance, on n’est pas noyé sous de la documentation, on ne prend pas un cours d’Histoire.
Avec Benoît, on est amis, unis comme les doigts de la main, du coup il y a une cohésion complète dans notre travail. C’est vraiment très agréable, c’est très chouette d’avoir une longue coopération aussi fructueuse, j’allais dire collaboration mais je préfère dire coopération. Benoît est vraiment dans l’œuvre de sa vie. Il fait ce qu’il rêvait de faire et ce qu’il devait faire, parce que là il pose vraiment quelque chose qui restera. C’est juste extraordinaire pour un scénariste d’avoir un dessinateur pareil. C’est vraiment un énorme tapis rouge. Je peux tout lui demander et son travail en noir et blanc puis en couleurs est vraiment exceptionnel et il est d’une clarté inimaginable. Il peut rendre acceptable des situations très dures que je lui demande de représenter. Là, on travaille sur le tome 10 et il me surprend encore en permanence. Il est vraiment très très fort, il a un œil photographique. En fait, il a très peu de documentation, il a tout dans l’œil. Quand il représente les choses, ça fourmille de détails. Je raconte les scènes avec des mots, lui il les raconte avec les décors.
Quand on regarde la vaisselle, les costumes, dans les appartements, tout est reconstitué sans esbroufe, avec beaucoup de naturel. Pour le lecteur, c’est extraordinaire. Il est vraiment plongé au cœur des années 1940.
Oui, Benoît comprend très bien que chaque objet a été manufacturé, il comprend comment il a été fabriqué. On voit que cet objet a été fabriqué, que ce n’est pas juste une assiette de dessin animé des années 1950, c’est une vraie assiette. Par exemple, j’avais remarqué qu’il dessinait les bornes kilométriques abimées par des coups de marteau dessus et je lui demande pourquoi il fait ça. Il m’explique qu’à un moment donné, pour dérouter l’armée allemande en 1940 on a commencé à casser les bornes pour qu’on ne voit plus les numéros des départementales et des nationales. C’est génial d’y avoir pensé. Des lecteurs l’ont vu, et j’ai intégré l’information dans le second tome. Grâce à Benoît, je pioche dans nos propres albums des choses auxquelles je n’avais pas percuté et que je réutilise après.
Le dessin est un vrai moteur de l’histoire, autant que les dialogues ou les situations.
Clairement, il ne fait pas le travail à moitié. Dans une scène de rue, il rajoute une charrette avec une dame assis dedans et on comprend des choses en plus sur la situation sociale. Il raconte constamment des petites saynètes, des petites histoires. C’est absolument époustouflant ce qu’il fait. Il est très conscient qu’il est autant narrateur que dessinateur parce qu’une bande dessinée c’est de la narration en permanence. Il ne veut pas me faire plaisir en dessinant le cadrage que je demande si ça ne sert pas la narration. Donc il est au service de notre histoire, il s’empêche de briller. Il a dit un jour « je pourrais faire un truc qui aurait plus de gueule à ce moment-là mais je ne le fais pas parce que ce n’est pas bon pour la cohérence de la narration ». Son travail est brillant de la première à la dernière case.
L’autre chose qui est intéressante dans cette série, c’est que vous racontez tout. C’est-à-dire qu’il y a des gens qui sont fusillés, battus, assassinés. Il n’y a pas cette pudeur où on ne montre pas ce qui serait trop horrible pour les enfants, il n’y a pas cette pudeur où on s’arrête avant la mort, avant les cadavres. Vous allez jusqu’au bout. Quelles sont les limites quand on fait de la bande dessinée familiale comme vous ?
C’est sûr, on raconte tout et on ne cherche pas à édulcorer. Ce n’est pas parce que c’est pour les enfants qu’il faut faire une histoire soft de la résistance mais en revanche le grand avantage du dessin de Benoît c’est qu’il apporte la douceur qu’il faut. On décadre quand même car c’est inutile de montrer des corps calcinés. Ça n’a pas de sens de faire une BD d’horreur sur des choses pareilles et je suis certain que des images suggérées provoquent des cauchemars chez les enfants mais on ne peut pas censurer. Par exemple, la fin du tome 2 est très cruelle parce que le papa de François est fusillé. D’anciens Résistants nous ont remerciés d’avoir fait ça. C’est super dur, on peut aussi imaginer ce que ça doit raconter auprès des jeunes lecteurs mais c’était le risque à prendre. Cette séquence a fait pleurer beaucoup de lecteurs et de lectrices et pas forcément les plus jeunes mais bon, c’était une séquence importante. J’étais surpris parce qu’en l’écrivant, je n’ai pas pensé « tiens, je vais faire pleurer les gens ». J’étais plus dans cette idée de raconter ce choix ultime pour la liberté. C’est très fort et important de le raconter. Tant mieux si notre histoire provoque des émotions tant qu’on n’est pas dans quelque chose de misérabiliste où on cherche à tout prix à tirer des larmes.
Les Enfants de la Résistance est une série qui est utilisée par des professeurs, des instituteurs. Qu’est-ce que ça fait de devenir un support pédagogique et de rentrer dans les écoles ? Parce qu’il y a quand même très peu de bandes dessinées qui y parviennent.
Ça a été une très grande surprise et un très grand plaisir pour nous parce qu’on pensait d’abord faire un ouvrage de transmission de la mémoire et c’est très vite devenu un ouvrage quasiment didactique. La revue La classe a publié un gros dossier dès le départ et ça fait très plaisir parce qu’effectivement, notre but est atteint. Ce travail de mémoire touche les plus jeunes en passant par leurs professeurs. Même si les enfants sont obligés de lire les albums pour le cours, ça n’a pas l’air casse-pieds, ils l’acceptent facilement. Personnellement, ça me fait plaisir car je n’ai pas été un très bon écolier donc il y a une petite revanche. Je suis allé dans beaucoup d’écoles et dans beaucoup de collèges ces dernières années et c’est assez émouvant de voir le travail des enseignants. Je leur tire mon chapeau parce qu’ils font un boulot énorme, ils font un boulot de citoyenneté très important alors qu’ils sont critiqués en permanence. Quand on voit ça de l’Intérieur vraiment bravo, bravo, parce qu’ils sont sur le terrain. Je les ai vu au lendemain parfois d’événements graves. Les enfants voient tout à la télé. Devoir réexpliquer, recadrer les choses… Il faut vraiment les soutenir.
Quelles questions posent les enfants quand vous allez dans des classes comme ça ? Qu’est-ce qu’ils demandent ? Que veulent-ils savoir ?
C’est sans fin et très impressionnant. Beaucoup de mains se lèvent. Ils se posent énormément de questions sur ce qu’ils auraient fait eux-mêmes. Ils croient aussi que ces personnages ont réellement existé ou quand sortira le tome suivant (rires) en tout cas on sent une empathie très importante envers l’action de ces trois enfants et qu’ils ont envie de comprendre ce qui s’est passé dans leur pays il n’y a pas si longtemps. Ils posent des questions sur ce que c’est qu’être privé de liberté. Ils n’ont pas envie de le vivre mais ils se rendent compte que c’est la vie de leur grands-parents ou arrière-grands-parents, il y a encore quand même pas mal de gens de 90 ans en très bonne santé et je pense que ça a initié beaucoup de discussions dans les familles. Je trouve ça très intéressant qu’ils soient aussi curieux de cette époque là.
A la fin de chaque tome, on trouve un dossier historique avec un lexique, une chronologie, le résumé des moments importants, de l’iconographie. Si les enfants veulent en savoir plus ils ont aussi les moyens de s’informer.
On a eu très envie de poser le contexte et d’expliquer des choses un peu difficiles à intégrer dans la bande dessinée. Il y a le plaisir de la lecture, l’aventure et après on peut se plonger dans l’Histoire un peu plus “dure” et on a découvert que c’était un moyen pour les lecteurs de se rendre compte qu’en fait, ce qu’ils ont lu est vrai. Ils peuvent reconnaître des noms et des photos de villes et de villages de France. Il y a un lien entre la bande dessinée et le réel qui je pense est très fort à ce moment-là quand on bascule de la BD au dossier. C’est vraiment important car on nous lit dès 8 ans, et un enfant de cet âge ne va pas tout comprendre mais je dis souvent aux parents que ce n’est pas grave si leur enfant ne comprend pas tout. Il y reviendra et puis il comprendra autrement. Rappelez-vous quand vous lisiez des bandes dessinées quand vous étiez petits, vous ne compreniez pas tout. J’ai compris des jeux de mots dans Astérix des années plus tard…
Dans le tome 9, l’arrivée de la milice, la découverte de la trahison, sont-ils accessibles aux plus jeunes ?
Certainement que la série gagne en complexité et que les lecteurs les plus jeunes vont, un petit peu plus, passer au travers mais ils vont être captivés par l’action, les événements et les émotions que ressentent nos personnages parce que c’est très important de voir comment ils réagissent. Ils découvriront la complexité et la richesse de cette histoire un peu plus tard.
Les Enfants de la Résistance, tome 9. Les Jours heureux. Vincent Dugomier (scénario). Benoît Ers (dessin). Le Lombard. 56 pages. 12.5 euros.
<strong><a href=”http://www.bdfugue.com/a/?ean=9782808210966&ref=195″ target=”_blank” rel=”noopener noreferrer”><img class=”aligncenter” src=”http://www.bdfugue.com/affili_bd/public/servebanner.php?name=btn-achat-bd-150x45px” alt=”” width=”150″ height=”45″></a></strong>
Pour découvrir l’album :
Les éditions Le Lombard ont mis à disposition des enseignants une série de dossiers pédagogiques remarquables qu’on peut télécharger gratuitement sur le site des éditions.