Liberty Bessie, une aviatrice dans le sillage des Tuskegee Airmen de la Seconde Guerre mondiale
Fille d’un ancien membre des Tuskegee Airmen, ces pilotes afro-américains qui se sont illustrés durant la Seconde Guerre mondiale, Bessie ne rêve que d’une chose : prendre elle aussi les commandes d’un avion. Avec Liberty Bessie, Jean-Blaise Djian, Pierre-Roland Saint-Dizier, et Vincent nous plongent dans l’Amérique ségrégationniste, d’où cherche à émerger un sacré bout de femme.
Tuskegee, Alabama, fin des années 1940. Bessie Bates a l’aviation dans le sang. Elle tient cela de son paternel, un ancien membre des célèbres Tuskegee Airmen, ces pilotes afro-américains qui se sont illustrés dans les cieux d’Europe et de Méditerranée durant la Seconde Guerre mondiale. Leurs adversaires de la Luftwaffe les surnommaient Schwarze Vogelmenschen, tandis que les Alliés parlaient des Red tails (car la queue de leur appareil était peinte en rouge). Malgré ses exploits, le père de Bessie est néanmoins un héros mort. Il n’est jamais revenu de son ultime virée au-dessus de l’Italie, abattu en vol par un chasseur à croix gammée. Du coup, la famille de la jeune femme ne soutient pas vraiment son projet. Voler ? Et pourquoi pas se tirer une balle dans la tempe tout de suite, on gagnera du temps. D’autant plus qu’une femme noire et pilote n’a aucune chance de décrocher un poste dans une Amérique d’après-guerre ségrégationniste ; et qui ne sait plus quoi faire de ses vétérans chevronnés (cf. les galères de Buck Danny et sa bande dans Les Trafiquants de la mer Rouge). Mais Bessie s’accroche, trime dur afin de financer sa licence, et la passe avec succès. Et après l’annonce de la découverte de la plaque militaire de son père, Bessie n’a bien entendu plus qu’une seule idée en tête : s’envoler pour l’Europe afin de retrouver sa trace.
Après Angel wings, une nouvelle héroïne tente sa chance dans le monde très concurrentiel de la bande dessinée aéronautique. On pourrait toutefois dire que Bessie vient tenir compagnie à la pulpeuse pilote imaginée par Yann et Romain Hugault, tant ce monde baigne encore largement dans la testostérone – si l’on excepte bien sûr l’aguichante mais vilaine Lady X, qui se rebelle depuis 60 ans contre le machisme établi… Jean-Blaise Djian, Pierre-Roland Saint-Dizier, et Vincent ont imaginé un personnage plein de charme, intéressant par son parcours et par l’époque qu’elle nous faire découvrir, encore plus que par la quête qu’elle va mener – Pierre-Roland Saint-Dizier n’est-il pas le scénariste d’une biographie en bande dessinée d’Antoine de Saint-Exupéry, autre pilote célèbre pour sa gourmette ? Bessie Bates doit aussi beaucoup à Bessie Coleman, première femme noire à avoir appris à piloter, puis obtenu une licence de pilote. C’était en 1921. Mais il y a aussi quelque chose de Joséphine Baker dans cette jeune femme pleine d’énergie et de détermination, qui se retrouve embarquée dans des combines foireuses, aux commandes de vieux coucous datant de la dernière guerre. A son arrivée en France, point de départ de ses recherches pour retrouver son père, elle est en effet embauchée dans une obscure compagnie aérienne spécialisée dans le fret, souvent en contrebande.
Côté avions, on est plutôt bien servi avec de belles images en statique, et des scènes en vol efficaces et maîtrisées, notamment un long combat aérien en début d’album. Bessie et son compère Lulu pilotent un Dakota, comprenez un Douglas C-47, la version militaire du célèbre Douglas DC-3. Très largement diffusé après la guerre (en raison des surplus militaires), le Dakota est l’avion de transport emblématique des années 1940. Il est partout, et il est donc tout à fait normal de le retrouver dans Liberty Bessie (un AAC.1 Toucan, version française du célèbre Junkers Ju 52, aurait éventuellement également pu leur servir de monture). Du côté des avions militaires, le chasseur North-American P-51C Mustang joue les premiers rôles. Il équipe les pilotes du 332d Fighter Group – les fameux Red tails – depuis juillet 1944. « Liberty Bessie » est le nom de baptême de la monture du père de Bessie, que l’on voit apparaître au début de l’album lors d’une mission d’escorte de bombardiers North-American B-25 Mitchell, en octobre 1944. Il est malheureusement abattu en combat tournoyant par un Focke-Wulf Fw 190A. En terminant son apprentissage à bord d’un Beechcraft Model 18, un bimoteur produit à plusieurs milliers d’exemplaires durant la guerre comme avion d’entraînement et de servitude, Bessie se rapproche un peu plus de ce père disparu, qui a lui aussi fait ses classes sur cet appareil.
Tout au long de l’album, on voit également passer en arrière-plan un Douglas DC-4 (ou C-54 Skymaster), un magnifique Lockheed Constellation (équipé d’un conteneur de fret), une épave de Wibault 283T, un Boeing-Stearman Model 75, un Boeing B-17G, le nez si élégant d’un Dewoitine D 338, un Stampe & Vertongen SV-4 (construit par la Société nationale de construction aéronautique du Nord), et un Pou-du-ciel (on vous laisse chercher lequel…). L’album s’achève avec un superbe et rare Sikorsky S-38. La finesse du trait de Vincent met les lignes des appareils en valeur, tandis que la palette de couleurs choisie par le dessinateur assure réalisme et intensité. Il faut dire que Vincent sait de quoi il parle. Il est non seulement passionné d’aviation, mais compte également plusieurs centaines d’heures de vol à son actif. « C’est ma passion pour l’aéronautique qui m’a fait entrer en BD. Je voulais dessiner des avions ! », confiait-il récemment à nos confères de L’Est républicain. Des avions, mais plus particulièrement ceux de la Seconde Guerre mondiale. « Graphiquement, c’est une période super riche. Les avions à hélice, encore taillés à la serpe, vont bientôt laisser place aux réacteurs. On commence à voir émerger des engins plus organiques et aérodynamiques. On est à la jonction de deux époques ». Les qualités de l’album ont en tout cas séduit les as de l’escadron de chasse 3/3 Ardennes (qui volent sur Dassault Mirage 2000), et s’est vu récompensé du 4e Prix Prix Pilote de chasse des Ardennes, en septembre dernier.
Liberty Bessie T1/2 – Un Pilote de l’Alabama. Jean-Blaise Djian & Pierre-Roland Saint-Dizier (scénario). Vincent (dessin). Vents d’Ouest. 56 pages. 14,50 €