Mattéo à la recherche du père, en pleine Guerre d’Espagne
Avec le cinquième volume de Mattéo Jean-Pierre Gibrat prolonge l’expérience de son personnage fétiche en Espagne pendant la Guerre civile. Le lecteur retrouve Mattéo à la tête d’une brigade de soldats anarchistes et républicains dans la ville d’Alcetria, où il espère retrouver la trace de sa famille perdue.
La guerre civile espagnole continue, et c’est avec Mattéo, l’éternel rescapé qui devient le chef d’une brigade de républicains et d’anarchistes, qu’on la vit dans ce tome cinq, toujours dans le huis clos du petit village de montagne d’Alcetria. C’est un changement important pour la série. Contrairement aux quatre premiers tomes, qui à chaque fois marquaient entre eux une forte rupture de temps et de lieu, (évoluant des tranchées de 14 aux congés payés du Front Populaire, en passant par les barricades de la Révolution Russe), ce tome 5 est en effet dans la continuation directe du tome précédent. Pour une fois, le décor ne change pas, contrairement à la tournure de la guerre. Aussi, parce que ce village d’Alcetria est lié aux racines même de Mattéo, il est riche en événements et en révélations.
Mattéo fera notamment alliance avec Robert, son ami d’enfance républicain, avec lequel il s’était disputé auparavant pour des raisons politiques. Dans cette lutte commune contre les fascistes espagnols, on retrouve des personnages forts comme Amélie, l’infirmière qui l’avait soigné lors de la guerre de 14-18, Aneschka la polonaise sportive et guerrière, et Don Figueras, le vieux fasciste, notable du village d’Alcetria avec lequel Mattéo développera une relation inattendue. Quand il devra délivrer Amélie et Mermoza détenus par les fascistes, ce sont les conseils de Don Figueras qu’il suivra, contre toute attente. Malgré leurs différences d’opinions, les deux hommes se trouveront un point commun, l’absence d’un fils perdu.
C’est donc dans Alcetria, un village proche de Barcelone que Mattéo poursuit la guerre en tant que chef de la ville de septembre 1936 à janvier 1939. Au début du tome cinq Alcetria n’est pas sur la ligne de front et l’ennemi ne tente pas d’offensive. L’attente permet à l’auteur de fouiller les relations entre les anarchistes et les républicains et leurs différentes façons de penser déjà évoquées dans le tome deux, ainsi que de nous donner des détails sur l’arbre généalogique de Mattéo.
Étonnamment, Jean-Pierre Gibrat décide de ne pas trop montrer le camp des fascistes et leurs actions. Le dessinateur fait aussi le choix de ne pas traiter des faits de guerre marquants comme l’aide des nazis aux fascistes espagnols, notamment avec la légion Condor, ou encore l’aide symbolique des Mexicains aux républicains. Cela dit, la bande dessinée est plutôt romancée qu’historique. Le contexte historique est toujours traité de manière très personnelle, mêlant parfaitement les petites histoires à la grande Histoire, le parti pris qui fait la force de Jean-Pierre Gibrat.
Nous en apprenons plus sur la vie de Mattéo en même temps que lui, et nous voyons les personnages mûrir et évoluer ensemble. Mattéo se laisse, comme à son habitude, porter et secouer par les évènements. Il est à la fois très chanceux comme d’habitude, mais connaîtra dans ce tome de nombreuses pertes qu’il aura à surmonter. La question qui se pose est alors celle-ci : Mattéo arrivera-t-il à prendre le dessus sur ces évènements dramatiques ou va-t-il sombrer dans la résignation ?
Un point inattendu est que dans cet album, Mattéo semble avoir complètement oublié Juliette dont la présence dominait les premiers tomes, mais alors que tout semble aller mieux, tout ira finalement vers le pire.
Le dessin est très original, très lumineux et réaliste. Jean-Pierre Gibrat nous offre de jolis panoramas espagnols. En revanche, le choix du dessinateur de ne pas faire vieillir les femmes en même temps que Mattéo donne un léger effet irréel et décalé. Certains personnages se ressemblent physiquement trop comme les deux amis Mattéo et Robert, ou encore les deux femmes clés de la série, Juliette et Amélie, ce qui peut gêner la lecture.
Moins dense que les autres volumes en terme de narration, le tome 4 de Mattéo se lit toujours aussi agréablement. Pour apprécier à leur juste valeur les finesses de l’intrigue et des dialogues, il convient toutefois d’avoir quelques connaissances essentielles sur la période. La complexité de la vie de Mattéo et du déroulement de la Guerre d’Espagne imposent une lecture attentive. Mais c’est justement cette source de réflexion qui donne au récit toute sa valeur, accompagné par un dessin dont le souffle emporte le lecteur.
Mattéo – Première époque (1914-1915). Jean-Pierre Gibrat (scénario, dessin, couleurs). Futuropolis. 63 pages. 16,25 €
Mattéo – Deuxième époque (1917-1918). Jean-Pierre Gibrat (scénario, dessin, couleurs). Futuropolis. 80 pages. 16,25 €
Mattéo – Troisième époque (août 1936). Jean-Pierre Gibrat (scénario, dessin, couleurs). Futuropolis. 80 pages. 17 €
Mattéo – Quatrième époque (août-septembre 1936). Jean-Pierre Gibrat (scénario, dessin, couleurs). Futuropolis. 64 pages. 17 €
Mattéo – Cinquième époque (septembre 1936-janvier 1939). Jean-Pierre Gibrat (scénario, dessin, couleurs). Futuropolis. 64 pages. 17 €
Les 15 premières planches :