Non-retour, derniers soubresauts de la Guerre d’Algérie dans la carlingue d’un vol Air France.
En ce mois de juillet 1962, les « évènements d’Algérie » sont finis, mais l’ancienne colonie française n’est pas encore totalement indépendante. La France doit rapatrier ses ressortissants, qui sont forcés de choisir entre « la valise ou le cercueil ». Pour ceux de Colomb-Béchar au Sahara, ce retour prend la forme du vol Air France 51 à bord d’un grand quadrimoteur Lockheed super Constellation, qui doit les amener à l’aéroport de Marseille-Marignane. Ce voyage aérien ne va pas se dérouler dans la quiétude, car plusieurs menaces planent sur les passagers et l’équipage. Dans un suspens souvent dramatique, Jean-Laurent Truc au scénario, et Patrick Jusseaume, puis Olivier Mangin au dessin, déroulent avec Non-Retour les péripéties de cette odyssée de quelques heures haletantes et fertiles en rebondissements.
Depuis la signature des accords d’Evian le 18 mars 1962, les opérations militaires entre le FLN et l’Armée française sont terminées et le rapatriement des Pieds noirs est prévu sur cinq ans. Mais, du fait des fanatiques de l’un ou l’autre camp, toutes sortes de violences incontrôlables se déchainent. La ville d’Oran est depuis février 1961 le théâtre de ce genre de violences, qui vont culminer au début de juillet 1962 avec un massacre de la communauté européenne par la population algérienne. On estime que ces tueries à Oran ont fait environ 600 morts. En représailles, l’OAS, organisation terroriste européenne, pratique la terre brulée en incendiant les immenses réservoirs de carburant de la ville. A partir de mai 1962, sur tout le territoire algérien, se déclenche un exode affolé et massif de la population européenne et des Algériens ayant soutenu la cause française. On a parlé de plus d’un million de personnes qui s’embarquent pour la France, où beaucoup n’ont jamais été.
Ce qui se passe l’été 1962 au Sahara ne ressemble pas à ce tableau sanglant. En effet, la situation de ce désert est différente du reste de l’Algérie : colonisation tardive, d’où population européenne très réduite, mais aussi présence de bases expérimentales pour la recherche aéronautique et nucléaire et surtout découverte et exploitation de gisements d’hydrocarbures.
Ce qui explique qu’il y ait parmi les passagers du vol AF 51, plusieurs sortes de gens : femme de militaire seule avec ribambelle d’enfants, familles de pieds noirs n’ayant jamais mis les pieds en métropole, aristocrate tenancière de bordel de luxe fuyant son amour perdu, colonel membre de l’organisation terroriste OAS cherchant à se dérober à la répression, espion s’enfuyant avec des secrets dérobés et commissaire de la DST chargé de le démasquer et de l’arrêter. Parmi les membres de l’équipage, certains bénéficient du fait d’être des anciens de la Guerre d’Indochine.
Les auteurs ont su mêler certains éléments d’histoire vraie (le jeune Jean-Laurent Truc était dans cet avion en juillet 1962) avec des destinées fictionnelles parfaitement vraisemblables, ce qui est expliqué en fin d’album dans les deux dossiers historiques et graphiques. Ceux-ci aident à comprendre comment, après le décès de Patrick Jusseaume en 2017, Olivier Mangin a repris haut la main le travail de la mise en image, pour nous permettre d’apprécier à sa juste et haute valeur cet opus.
Au début de l’album, dans l’appareil au sol, à propos de certains personnages, deux flashbacks viennent s’insérer dans le récit, ce qui explique leur présence dans l’avion. Et, le vol venant de commencer, l’action débute : le commissaire de la DST informe discrètement les membres de l’équipage de sa mission de contre espionnage. Puis le vol se poursuit, mais l’avion reçoit l’ordre de se poser à Oran, alors même que la ville est en pleine confusion, ce qui entraîne des réactions très différentes selon les passagers. On est toujours tenu en haleine jusqu’à une fin où « les méchants » reçoivent chacun le prix de leurs méfaits.
Pas de héros central à cette brève épopée, mais une constellation de personnages, dont chacun joue sa partition dans ce concert dramatique, le profil de certains étant plus fouillé que d’autres. Courage et lâcheté s’affrontent durant ces moments souvent envahis par la tension de la situation.
Les bédéphiles auront la surprise de voir l’album de Buck Danny, Un prototype a disparu de Charlier et Hubinon, jouer un rôle dans le drame que se déroule et même faire l’objet de la dernière image, qui explique beaucoup de choses.
Le très précieux dossier graphique en fin d’album permet d’apprécier la différence entre les crayonnés de Jusseaume et les planches abouties de Mangin. Nous pouvons goûter ainsi sur un thème graphiquement similaire les qualités propres de chaque illustrateur.
Ainsi, cette aventure de « héros ordinaires », qui n’est pas sans rappeler l’esprit de Histoire sans héros de Dany, retrace avec vérité et inventivité, les tribulations des existences ballottées par les soubresauts de l’Histoire à cette époque de la décolonisation.
Non-Retour, Algérie, juillet 1962. Jean-Laurent Truc et Patrick Jusseaume (scénario). Patrick Jusseaume et Olivier Mangin (Dessin). Albertine Ralenti (couleurs).
Les 7 premières planches :