Perceval, du roman de chevalerie à la bande dessinée initiatique
Alors que les années 2000 avaient connu un renouveau des œuvres inspirées du cycle arthurien, la veine s’est clairement essoufflée ces dix dernières années. Peut-être l’immense succès de la série Kaamelott d’Alexandre Astier a-t-il étouffé la création sur le sujet. Un album propose pourtant, tout récemment, de retourner aux sources de ces légendes : le Perceval de Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg.
Ce Perceval est une adaptation quasi directe du roman de Chrétien de Troyes Perceval ou le Conte du graal, écrit vers 1182. On y retrouve, avec très peu de variations, les différentes péripéties qui mènent ce jeune Gallois élevé au fin fond d’une forêt secrète vers un destin brillant faisant de lui l’un des chevaliers d’Arthur les plus valeureux et, surtout, le seul à même de trouver le Graal. Même si certains épisodes sont raccourcis et que le passage au dessin requiert quelques coupures, on y retrouve les grands traits du roman arthurien sans que les auteurs ne se soient permis d’ajouter à l’intrigue des éléments de leur invention. Perceval découvre donc au début de l’album l’existence des chevaliers, que sa mère avait tenté de lui cacher pour lui éviter le sort malheureux de son père, puis il multiplie les maladresses, à l’égard d’une jeune femme rencontrée sur son chemin vers le château de Carduel et ensuite à la cours du roi Arthur. Mais ce sont aussi ces maladresses qui lui permettent de prendre les armes du chevalier Vermeil, de les revêtir puis, après un court apprentissage chez le seigneur de Goort, de devenir lui-même chevalier. Sa route croise aussi celle de plusieurs femmes – que ce soit la dame de compagnie de la reine qui lui prédit le plus beau destin ou la belle Blanchefleur auprès de qui il oublie presque sa mère – et surtout celle de chevaliers plus valeureux les uns que les autres qu’il défait systématiquement. L’épisode majeur du roman arthurien, la rencontre avec le roi pêcheur et la découverte du Graal, fait l’objet d’un chapitre dédié nettement distingué des autres aventures de Perceval par le passage à un fond de page noir quand le reste de l’album est à dominante blanche.
p.154-155 : dans l’œuvre de Chrétien de Troyes les couleurs, et en premier lieu le blanc et le rouge, jouent un rôle majeur pour l’interprétation du texte. Le passage au dessin ne pouvait que reprendre le jeu très symbolique autour de dominantes fortes.
Cependant, et même si l’on s’en tient à la chronologie du récit et des diverses péripéties de l’histoire, Anne-Caroline Pandolfo s’écarte de l’œuvre de Chrétien de Troyes en centrant son propos sur la formation du chevalier, soit la première moitié du roman médiéval. En insistant sur la recherche d’identité du héros qui, jusqu’aux toutes dernières pages, ignore jusqu’à son nom, l’album pousse à l’extrême l’aspect initiatique du roman inachevé de Chrétien de Troyes.
Un deuxième niveau d’interprétation tient dans la transposition du roman de chevalerie dans un univers onirique. Le dessin crée une ambiance à mi-chemin entre le Perceval le Gallois d’Éric Rohmer (1979) aux décors surréalistes, et un dessin animé des studios Disney, avec des couleurs vives, posées en aplats sans chercher absolument le réalisme. Le monde que sillonne Perceval est ici peuplé d’êtres fantomatiques, de monstres effrayants et d’animaux doués de parole. Les échos au monde de Disney sont d’ailleurs pluriels et participent de cette tentative de réécrire la légende de Perceval dans un univers qui nous soit plus familier. Le chevalier est ainsi dédoublé par une pie qui n’est pas sans rappeler le fameux Jiminy Cricket de Pinocchio mais qui, à l’inverse de la « bonne conscience » du pantin de bois, poussent sans cesse Perceval à l’action, voire à la transgression. Ce dédoublement du chevalier permet aux auteurs de mieux rendre ses combats intérieurs et la difficulté de la formation, au risque de parfois simplifier le personnage et ses états d’âme.
Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg viennent tous deux de la littérature jeunesse, et cette interprétation de la légende de Perceval s’en ressent. De fait, ils s’adressent ici à l’enfant qui est en nous pour nous faire rêver de ce monde magique et hors temps où la recherche du Graal est moins une recherche d’éternité qu’une quête d’identité.
Perceval. Anne-Caroline Pandolfo (scénario). Terkel Risbjerg (dessin). Lombard. 184 pages. 19,99€
Les 5 premières planches :