Prix Cases d’Histoire 2025, les 10 meilleures BD historiques de l’année

Comme chaque année depuis 2015, le Prix Cases d’Histoire récompense la meilleure bande dessinée historique de l’année écoulée. Dans un premier temps, dix demi-finalistes choisis par la rédaction du site entrent en lice pour postuler au titre. Comme à son habitude, la période contemporaine est de loin la mieux représentée dans ce top 10, mais en ce qui concerne 2025, les albums sur la Seconde Guerre mondiale ont beaucoup moins retenu notre attention.

2025 est peut-être à marquer d’une pierre blanche. Pour une fois, la Seconde Guerre mondiale n’a pas été la période marquante pour les meilleures bandes dessinées historiques de l’année. Un seul album situe son intrigue pendant ce moment de l’Histoire mondiale toujours très évocateur pour le public français. Mais quel album ! Le tome 4 de Madeleine résistante est en effet une fois de plus une réussite éclatante. Jean-David Morvan et Dominique Bertail parviennent à éviter de manière magistrale un quelconque essoufflement et sont ainsi en course pour placer chacun des quatre volumes de leur série dans le top 3 du Prix Cases d’Histoire. Une performance remarquable qui doit énormément à la participation infatigable de Madeleine Riffaud dans la réalisation de ces albums, jusqu’à son décès l’année dernière à l’âge de 100 ans. Ses Mémoires de guerre, admirablement mises en images, sont à la fois une magnifique expérience de lecture, une reconstitution d’une rigueur hors normes et un constant sujet de réflexion.

Les cinq autres albums qui situent leur récit au XXe siècle, offrent une grande diversité géographique. Thibault Vermot et Alex W. Inker imaginent avec Krimi un Fritz Lang en perte d’inspiration, suivant les pas d’un inspecteur de police qui enquête sur un tueur en série. C’est la société allemande de 1930 et ses bas fonds qui sont explorés ici, idéalement mis en images par le dessin charbonneux d’Alex W. Inker. Au fil des recherches et des révélations, le metteur en scène retrouve sa verve et tout porte à croire que M le Maudit commence à prendre forme dans son esprit.

Toujours dans l’entre-deux-guerres, mais cette fois en Grèce, David Prudhomme invite à replonger en 1936, dans le milieu musical du rébétiko, qu’il avait si bien décrit dans l’album du même nom en 2009. Avec Rébétissa, c’est cette fois aux chanteuses qu’il s’intéresse, avec la même problématique : comment continuer à pratiquer son art quand une dictature l’interdit ? A l’aide d’un dessin d’une élégance folle, David Prudhomme réalise un récit qui rappelle les meilleurs films des années 1930.

Avec Les Gorilles du Général, Xavier Dorison et Julien Télo se penchent sur les premières années de la Ve République, en pleine guerre d’Algérie. De Gaulle est une cible privilégiée pour le FLN, et ses quatre gardes du corps ont fort à faire avec la propension de l’homme du 18 juin à minimiser les menaces. Sur le ton de la comédie, Xavier Dorison se base sur les personnages réels qui formaient le service de sécurité rapproché du président, pour décrire la société française de 1959. Humour et documentation rigoureuse font ici très bon ménage.

Nicolas Juncker parle aussi de la Guerre d’Algérie mais prend un peu de recul avec Trous de mémoires, une comédie également basée sur des faits réels. Quand le maire d’un village du sud de la France souhaite créer un mémorial de la guerre d’Algérie, les esprits s’échauffent. Le conflit, achevé il y a plus de 50 ans, est encore dans toutes les têtes et les antagonismes d’autrefois ressurgissent de plus belle.

Autre pas de côté, celui de Rodrigo Terrasa et Paco Roca, qui se penchent sur le traitement inique des victimes de la répression franquiste après la Guerre d’Espagne. Dans L’Abîme de l’oubli, les auteurs espagnols mettent en lumière les difficultés des descendants des fusillés sommaires à faire fouiller les fosses communes par des archéologues, afin de donner une digne sépulture à leurs parents. L’album, d’une grande sensibilité, en dit long sur la fracture encore tenace de la société espagnole sur la question de la guerre civile.

Le XIXe siècle, parent pauvre de la période contemporaine en ce qui concerne le 9e art, est à l’honneur en 2025 avec la très belle découverte de la rentrée, un Lucky Luke vu par Appollo et Brüno. Avec Dakota 1880, les deux auteurs jouent la carte du réalisme pour raconter les mois précédents les premières aventures du cowboy solitaire, à une époque où l’homme qui tire plus vite que son ombre n’a pas encore rencontré Jolly Jumper. En ce temps là, Luke est shotgun, acolyte armé du conducteur de diligence. Dakota 1880 décline sept épisodes de cette vie rude, mélangeant adroitement fiction et personnages réels. Une vision d’auteur d’un classique de la bande dessinée, un superbe album qui fait voir Lucky Luke d’un autre œil.

La Révolution française et les bouleversements qu’elle engendre inspirent la bande dessinée, avec à la clef certains bijoux comme la série Révolution, Prix Cases d’Histoire 2023. Le Mètre des Caraïbes apporte sa pierre à l’édifice en faisant un pas de côté. Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau suivent le parcours de Joseph Dombey, scientifique envoyé en mission aux États-Unis en 1794 pour présenter au président George Washington et à ses conseillers le nouveau système métrique. Malheureusement, le parcours du savant s’achève dans une île des Caraïbes et la toute récente république états-unienne se contentera donc d’utiliser les unités de mesure anglaises. Sur le ton de la plaisanterie, mais toujours avec une documentation rigoureuse, Le Mètre des Caraïbes pose des questions pertinentes. Encore une fois, le mélange humour / précision historique fait mouche.

Sur le même continent mais en remontant le temps de 250 ans, l’album Les Sentiers d’Anahuac se situe au Mexique au milieu du XVIe siècle. Si la conquête militaire espagnole est achevée, pour l’Église la conquête des âmes continue. Bernardino de Sahagun, un des missionnaires franciscains envoyés sur place, décide d’écrire une sorte d’Encyclopédie qui mettrait noir sur blanc les traditions des autochtones, avant qu’elles ne disparaissent complètement sous le joug espagnol. Pour ce faire, il forme de jeunes Indiens nahuatl afin d’en faire des auxiliaires capables d’écrire ce gigantesque ensemble de textes. Jean Dytar et l’historien Romain Bertrand traduisent en images la réalisation de ce projet pharaonique bien réel qui fait grincer beaucoup de dents en Espagne. L’enjeu n’est rien moins que de conserver la mémoire d’un peuple. Le caractère hybride de l’album, qui associe graphisme indigène et style du XVIe siècle, transmet à merveille l’idée de métissage des cultures, conséquence de la présence espagnole sur le continent américain. Sur le fond comme sur la forme, l’album Les Sentiers d’Anahuac est brillant.

Enfin, rendons-nous au tournant du XVIe siècle, dans un lieu plutôt inhabituel pour une bande dessinée, le Groenland. Alain Ayroles y envoie Richard III, qui aurait survécu à la bataille de Bosworth en 1485. Dans La Terre verte, la bien mal nommée, le souverain déchu se retrouve au bout du monde, dans une petite communauté de colons vivant en autarcie. Après avoir mis son épée au service de l’Église, il échafaude un très ambitieux projet de retour au pouvoir. Le talent politique de Richard III est mis en valeur, porté par le graphisme d’Hervé Tanquerelle, qui a déjà traduit le Groenland en images dans La Vierge froide, et autres racontars, et le ton très shakespearien du scénario et des dialogues d’Alain Ayroles.

Rendez-vous entre Noël et le Jour de l’An pour le dévoilement des trois finalistes.