Putain de Guerre ! Le 1er conflit mondial en instantanés
C’est un véritable almanach de l’horreur que l’on déroule en lisant Putain de Guerre ! de Jacques Tardi et Jean-Pierre Verney. Plus de quatre années d’inhumanités presque au jour le jour et à travers les yeux d’un simple trouffion. Une reconstitution remarquable de précision et d’émotion qui est déjà un classique, seulement sept ans après sa création.
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Des instantanés, aussi larges que la page de l’album, et présentés de manière chronologique sur trois bandes pour la plupart des planches. Des moments brefs de vie, et de mort. Pas de bulles mais de longs récitatifs. Parfois de courtes séquences, mais en très petit nombre. Pour Jacques Tardi et Jean-Pierre Verney, la Grande Guerre est hachée, saccadée, muette, peut-être à l’image des corps mutilés, des rafales des mitrailleuses et du silence de mort après l’arrêt des combats. Il faut faire des choix pour raconter cette guerre en seulement 91 pages, emprunter des raccourcis temporels, utiliser des images symboliques pour exprimer beaucoup en peu de cases. Il faut également adopter un point de vue. Ici, celui du narrateur, ouvrier parisien tourneur en métaux, athée et vaguement anar. On est donc bien loin des stratèges du haut commandement. Le passeur de mémoire représenté par ce fantassin fictif, et à la fois pétri de réalité, décrit au plus près les assauts, la boue, le froid, la peur, la solitude, les blessures, le désespoir, le ressentiment qui accablent les soldats, d’un côté comme de l’autre de la ligne de front. C’est une immersion totale dans les tranchées qui est proposée au lecteur. Sans fards. Saisissante. Pesante. Parfois terrifiante. Si transpire parfois la trace de ceux qui connaissent l’ensemble des événements et la fin de l’histoire – les auteurs -, l’évocation d’un soldat du rang perdu dans le maelstrom d’un conflit de cette envergure ne lasse pas de fasciner.
Au-delà de la force du scénario et des dialogues, c’est d’abord la précision de la documentation qui impressionne. Le fonds de documents, de photos et d’objets collectés par Jean-Pierre Verney (constituant aujourd’hui une bonne partie de la collection du Musée de la Grande Guerre de Meaux) fait merveille pour reconstituer chaque scène avec un réalisme confondant. Mais d’autres éléments, peut-être moins évidents au premier coup d’œil, contribuent à la qualité de l’ouvrage. Le récitatif par exemple, aux mots soigneusement choisis pour refléter le vocabulaire de l’époque et de la classe sociale du jeune ouvrier parisien. Les couleurs également, qui passent insensiblement des vertes prairies estivales de 1914, sur lesquelles les pantalons garance des soldats français forment un contraste appréciable pour les tireurs allemands, à la grisaille marronnasse des tranchées, tout juste tempérée par la neige hivernale. Le découpage aussi, qui travaille parfois une double page avec un effet miroir, faisant coïncider de part et d’autre les mêmes scènes côté français et allemand, et associant ainsi dans une même souffrance les deux camps ennemis. Jacques Tardi met toute sa technicité au service d’un récit critique et désabusé. Le sentiment de gigantesque gâchis qui prévaut à la fin de l’album, une fois que les hostilités ont définitivement cessé, est souligné par la présence d’un héros mutilé, dans sa chair comme dans son âme. Ah oui, Putain de Guerre !
Putain de Guerre ! (Intégrale). Jean-Pierre Verney (scénario). Jacques Tardi (scénario et dessin). Casterman. 144 pages. 25 €
Les 5 premières planches :