Quand Zola dénonce la spéculation immobilière des chantiers haussmanniens, c’est La Curée
Le nom de Georges Eugène Haussmann évoque immédiatement les profonds changements de l’urbanisme parisien des années 1850 et 1860. Avec La Curée, adaptation du roman d’Emile Zola, Cédric Simon et Eric Stalner mettent l’accent sur la problématique financière de ces travaux gigantesques.
Cet article a été précédemment publié sur le site
L’une des réalisations les plus visibles – encore aujourd’hui – du règne de Napoléon III est sans contexte la transformation radicale de Paris. Les travaux d’urbanisme menés par le préfet de la Seine Georges Eugène Haussmann, qui poursuivent et amplifient ceux de ses prédécesseurs, façonnent une nouvelle capitale. L’impulsion est donnée dès la Seconde République par le futur empereur, alors président, marqué par son séjour à Londres. L’agglomération parisienne est en effet en retard sur bien des points par rapport à son homologue britannique. Le manque d’espaces verts, la densité très élevée des arrondissements centraux, l’enchevêtrement de petites rues, l’insalubrité latente (une épidémie de choléra fera 19 000 morts en 1849) ne donnent pas de la capitale française une grande image de modernité. La crainte d’un soulèvement populaire, qui a régulièrement ponctué l’histoire parisienne depuis le Révolution de 1789, est un argument supplémentaire pour que le pouvoir décide de redessiner la voirie. Se pose alors un problème majeur : comment exproprier les propriétaires des logements destinés à être rasés et reconstruits ?
La difficulté est avant tout financière. Au début du XVIIIe siècle, l’expropriation est à la charge du voisinage, car on considère que les travaux d’embellissement lui profiteront. Après la Révolution, c’est à la ville de dédommager les propriétaires. Pour financer les gigantesques travaux, des emprunts vont donc être contractés (grande nouveauté pour Paris à de tels montants) et un attelage comprenant la ville, les grandes banques et les compagnies immobilières va voir le jour. Voila l’arrière-plan économique et social qui préside à la création de La Curée. Ce roman, le deuxième volume de la série Les Rougon-Macquart, est une dénonciation acide de la spéculation immobilière des années 1850 et 1860. On n’en attendait pas moins d’Emile Zola, irréductible opposant au Second Empire. A travers le destin d’un parvenu, prêt à toutes les bassesses pour arriver à ses fins, l’écrivain dresse le portrait d’une bourgeoisie d’affaire sans foi ni loi qui profite de ses entrées à la commission d’expropriation pour réaliser des plus-values aussi artificielles que juteuses.
Les sommes en jeu sont, il est vrai, colossales. On estime entre 1 200 000 000 et 1 400 000 000 francs les dépenses pour les opérations de voiries, financées par des emprunts dont les derniers ne seront remboursés qu’en 1910. Dans La Curée, la transformation et la modernisation du centre de Paris passent au second plan derrière les excès de la finance (qui continuerons d’ailleurs après l’avènement de la IIIe République). Cédric Simon et Eric Stalner réussissent le tour de force d’adapter cet épais volume en 120 pages de bande dessinée, sans pesanteurs. « Les » Paris, des quartiers populaires aux hôtels particuliers de la bonne société, sont parfaitement mis en scène. Les enjeux économiques, les codes relationnels de la haute bourgeoisie, l’antichambre du pouvoir, les considérations géopolitiques habillent de manière détaillée cette plongée saisissante dans le Second Empire.
La Curée. Cédric Simon, d’après Emile Zola (scénario). Eric Stalner (dessin). Les Arènes BD. 128 pages. 20 €
Les 10 premières planches :