Une maternité rouge. Quand l’art est plus précieux que l’humanité !
Ce nouvel opus de la collection initié par le Musée du Louvre et Futuropolis, dessiné et scénarisé par Christian Lax s’éloigne des précédents volumes en proposant un détour par l’actualité la plus brûlante : la crise des migrants. Une Maternité rouge est une profonde réflexion sur la place de l’art et du sacré dans l’Histoire des peuples. Comment un homme peut se mettre en danger, risquer sa vie pour sauver la mémoire des ses ancêtres et donc pour Christian Lax, préserver son avenir. Cases d’Histoire l’a rencontré pour en parler.
Cases d’Histoire : Une Maternité rouge est un album coédité par Futuropolis et le Musée du Louvre, et pourtant l’action principale se passe vraiment très loin de ce musée.
Christian Lax : Oui, étant donné que je suis mon propre scénariste, je ne m’impose pas de dessiner des choses qui me saoule un peu. Je n’aime pas dessiner les scènes d’intérieur, les architectures, les bâtiments, les alignements de fenêtres, les choses comme ça. Je peine à dessiner ça, il me faut des grands espaces, du sables, des forêts, la brousse. J’ai fait en sorte d’être le moins possible dans le Louvre intramuros. J’en ai fait un but à atteindre pour mon héros.
On en est même très loin puisque vous nous emmenez au Mali.
Tout part du Mali où je suis allé il y a une douzaine d’années. J’ai rencontré des membres de l’ethnie Dogon qui est une ethnie malienne vivant dans des falaises de la région de Bandiagiara, pas très loin de Mopti. C’est une ethnie qui a une très longue histoire avec la sculpture.
Est-ce que vous pouvez nous dire ce qu’est la maternité rouge qui donne son titre à l’album ?
C’est une statuette de 35 cm de haut en bois, un bois très dur, une sorte d’acacia. Cette petite statuette, enfin, ce qu’il en reste car elle est très âgée, vient du XIVe siècle, et elle représente une femme avec un ventre bien rond, elle est enceinte. Elle a une grande sœur qui est exposée au Louvre, au Pavillon des Session. Elles sont toutes les deux de la même main, celle du maitre de Tintam.
Pourquoi avoir choisi cette sculpture comme fil de cette histoire ?
Cette maternité rouge va être découverte par Allou, un jeune cueilleur de miel qui vit dans cette brousse, près du fleuve Niger. Il découvre un essaim d’abeille dans un Baobab, il enfume ces abeilles pour les éloigner mais il est surveillé puis interrompu par des djihadistes. On est en 2015, avant l’intervention des forces françaises. Ils surgissent sur un 4×4 et ils reprochent à Allou de vénérer ce gros arbre sacré. La danse de remerciement pour le miel qui se cache dans le tronc va à l’encontre des croyances de djihadistes intolérants. Si bien qu’ils font exploser le baobab et repartent. Alors qu’ils s’éloignent des restes de l’arbre fumants, Allou découvre parmi les débris de bois, cette statuette qui avait été cachée là par des sages plus anciens.
On découvre qui l’avait caché, c’est un personnage très important dans l’histoire. Qui est il ?
C’est un hogon. Dans chaque village du pays Dogon, il y a un sage qui n’est ni le maire ni l’autorité religieuse mais qu’on vient voir, consulter pour différents problèmes de la vie quotidienne. Ce hogon a fait des études d’Histoire de l’art à Paris à l’Ecole du Louvre, en 1968, mais la situation l’a empêché de rester en France. Il est rentré au Mali pour devenir instituteur. Celui que j’ai dessiné en couverture, je l’ai rencontré, je m’en suis inspiré. Cet homme qui connait bien le Louvre suggère – ordonne quasiment – à Allou de partir vers Paris car il est certain que c’est le seul moyen de sauver cette œuvre sacrée. Cet homme sait ce que sont capables de faire les intégristes avec les œuvres d’art. Nous le savons à Bamyan, à Tombouctou, à Palmyre.
Commence alors un long voyage qu’on ne va pas raconter en détail. On peut dire qu’il va s’engager dans un voyage en enfer puisqu’il suit la route des migrants pour sauver « ce morceau de bois » comme il le dit lui-même. C’était un vrai désir de votre part de rattacher l’actualité à cette histoire ?
Oh oui ! C’est un problème majeur, terrible. J’étais tombé par hasard sur le campement de migrants installé quai d’Austerlitz. J’ai été stupéfait de découvrir ces pauvres jeunes hommes entassés sous des tentes minuscules dans un environnement insalubre, à attendre je ne sais quoi sans savoir ce que sera leur vie. Tout m’avait bouleversé d’autant que ce camp était installé, si on peut dire ça, au pied de la Cité de la mode. C’est quand même un des symboles de Paris, du capitalisme libéral, friqué, dans lequel on vit. L’extrême richesse était à côté de l’extrême pauvreté, il fallait que je fasse quelque chose de ça. J’ai dessiné une scène dans l’album, des jeunes gens boivent des verres juste au dessus des migrants sans se préoccuper d’eux. Quand Futuropolis m’a proposé le projet, j’ai raccroché les migrants et le Louvre en passant par l’art africain et les arts premiers.
Dans toutes les questions que pose l’album il y a celle de la valeur de l’art qui peut dépasser celle de l’homme. Allou choisi de risquer sa vie…
Il la risque effectivement.
Mais il y aussi cette scène, sur le bateau où une femme va se faire violer et lui ne bouge pas malgré son dégoût.
Le hogon lui a demandé de ne pas prendre de risques inutiles, de se protéger. Mettre sa vie en danger c’est mettre la statuette en danger. Sur le bateau, il est seul. Nul ne sait ce qui peut lui arriver. Cette statuette est sacrée, le hogon l’a convaincu. D’ailleurs, et quand j’ai fait l’album, je ne savais pas que la question de la restitution serait d’actualité, des pays africains réclament le retour des œuvres d’art qui leur ont été soutirées, arrachées, volées à l’époque de la colonisation. C’est justifié. Les œuvres d’art de l’humanité que ce soit dans le monde occidental ou dans les mondes plus lointains sont des traces de ce que nous sommes et les préserver, les comprendre, doit nous permettre d’envisager l’avenir, de savoir où on va aller. En ce sens, c’est sacré.
A la fin de l’album, il y a des scènes étonnantes, si on se rapporte à l’odyssée de Allou. C’est le parcours bureaucratique, administratif que doit suivre la maternité rouge pour être définitivement sauvée.
Ce jeune africain qui croit être arrivé à la fin de son voyage se heurte à la réalité d’un grand musée. Le processus est très long, il y a des commissions d’expertise. Il faut vérifier que l’œuvre est authentique, sa valeur artistique, etc. Les urgences ne sont pas les mêmes et la valeur du sacré très différente entre ces commissions et le hogon au Mali.
Quand on finit votre album, on se souvient surtout des paysages remarquables qui rythment le livre. Quelle est leur fonction dans le récit ?
J’ai mis ces paysages car c’est un road-movie : il part du Mali, traverse le désert, la Libye, la mer… et j’aime dessiner la nature. Surtout, j’avais besoin d’en montrer toute l’étendue, la complexité par rapport à ce petit bonhomme perdu dans cette immensité.
Avant de commencer cet entretien, vous me parliez de cette couverture. Est-ce que vous pouvez m’en dire un mot ?
Avec plaisir. Je voulais une couverture très dépouillée, avec juste l’humain, une couverture émotionnelle d’où ce recours à ce vieux hogon, fatigué dans ces habits d’africain modeste. Paradoxalement, il tient cette statuette comme si c’était un nouveau-né, alors que c’est une maternité. L’histoire se continue, d’une certaine façon au travers cette statuette.
Une Maternité rouge. Christian Lax (dessin et scénario). Editions Futuropolis. 144 pages. 22 €
Les 7 premières planches