Vietnam Journal, le bourbier vietnamien aux côtés des GI’s en 1967
La guerre du Viêt Nam au plus près des combats et de la vie quotidienne des soldats, c’est la promesse tenue de Vietnam Journal, une série de récits courts réalisés par Don Lomax, un vétéran du conflit, auteur de comics. Le recueil est une plongée saisissante dans l’atmosphère étouffante d’une jungle vietnamienne bouffie de dangers. Un témoignage de première main sur le bourbier qui a profondément traumatisé les États-Unis.
Lorsqu’on pense à un correspondant de guerre en bande dessinée, il y a de fortes chances que ce soit la longue silhouette d’Ernie Pike qui vienne à l’esprit. La série du même nom, réalisée par Hugo Pratt et Hector Oesterheld, s’inspire en effet des articles du journaliste Ernest Pyle * pendant la Seconde Guerre mondiale. Avec Vietnam Journal, direction la guerre du Viêt Nam, en compagnie de Scott Neithammer, envoyé spécial du New York Times sur le front. Ici, aucun modèle emblématique pour construire le personnage. Juste le vécu d’un auteur qui met les deux pieds dans le bourbier vietnamien à l’automne 1966. Contrairement à Pratt et Oesterheld, Don Lomax s’inspire en effet de son expérience de soldat pendant ce conflit, au sein de la 98e compagnie de maintenance légère ** (on pense alors plutôt au livre Putain de Mort, de Michael Herr ***). Différence de taille qui se matérialise de diverses manières dans un récit de faits de guerre se déroulant pendant l’année 1967, alternant actions héroïques et fiascos évitables.
Vietnam Journal est en effet la vision d’un vétéran, revenu au pays perclus de désillusions. Une sorte d’hommage au soldat du rang américain, déboussolé par ce qu’il vit. Au fil des pages, les rôles sont distribués : les sous-officiers sont les phares auxquels se fier, les lieutenants sont un peu perdus, et les haut gradés sont au mieux incompétents, au pire dangereux (le commandant d’une base militaire a une « lueur de dinguerie » dans les yeux). L’insubordination menace devant les ordres absurdes. Les stratégies du haut commandement sont contestées (« on ne gagne pas une guerre défensive »). D’autres, comme les bombardements sur le Cambodge et le Laos ou l’usage de défoliants, sont condamnées. La présence de la CIA est soupçonnée partout. De même, l’ennemi n’est pas ménagé. Le Viêt Cong est à abattre, quel que soit son âge. A certains moments, les réactions effarées de Scott Neithammer ou d’un sergent offrent toutefois un contrepoint qui est peut-être partagé par Don Lomax.
Si le personnage principal est traité avec bienveillance, ce n’est pas le cas de tous les journalistes. Dans Vietnam Journal, certains jettent volontairement de l’huile sur le feu pour avoir un bon reportage à filmer. La présence – inédite à un tel niveau – des médias dans la guerre entraîne d’ailleurs de nouveaux comportements de la part des gradés, qui font du zèle ou jouent les héros pour envoyer des messages au public américain des journaux télévisés. Cette méfiance envers certains médias, et notamment les chaînes de télévision, est à mettre en rapport avec l’accueil négatif des vétérans rentrés aux Etats-Unis, qui est évoqué rapidement dans l’album. On imagine sans peine que Don Lomax y a été confronté, de près ou de loin. D’ailleurs, après chaque épisode, les circonstances de la disparition d’un militaire américain Missed in Action sont détaillées sur une page, avec le secret espoir que cette mise en lumière pourrait servir à retrouver la trace de quelques-uns des 2400 militaires américains portés disparus.
Vietnam Journal plonge le lecteur dans la campagne militaire de 1967, en parsemant son récit d’allusions à des faits réels (patrouilles longue distance, opération Junction City, la piste Ho Chi Minh, la stratégie Search and Destroy), d’explications techniques (sur le fonctionnement de l’hélicoptère Huey et du fusil M16), ainsi que de lieux très précis (l’aéroport de Qui Nhon, les villes de An Khê et Ban Mê Thuot, le camp de Plei Me). Si les personnages sont parfois un peu caricaturaux, les situations et les réactions des uns et des autres se veulent très réalistes. Jusqu’au dessin, précis et détaillé. C’est à un panorama des troupes américaines combattantes que convie Don Lomax. Dans le même genre de récit, mais pour une autre période, on ne peut s’empêcher de penser à La Grande Guerre de Charlie *****. Vietnam Journal bénéficie cependant de plus de pages pour chaque épisode (entre 25 et 30), ce qui permet à Don Lomax une narration plus fluide et la possibilité de prendre son temps pour mener à bien ses récits. On serait surpris et déçu que les épisodes suivants de ce témoignage inédit – en bande dessinée – sur la guerre du Viêt Nam, et déjà publiés aux Etats-Unis, ne complètent pas ce premier volume.
* Après avoir sillonné les Etats-Unis dans les années 1930 pour décrire l’Amérique profonde, Ernest Pyle (1900-1945) couvre la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord, en Europe puis dans le Pacifique. Peu de temps après avoir reçu le Prix Pulitzer en 1944, Ernest Pyle est tué sur l’île d’Okinawa.
** Pendant sa présence au Vietnam, Don Lomax n’a de cesse d’utiliser ses talents de dessinateurs pour croquer la nature, le matériel et les camarades de combat, avec l’idée d’en faire plus tard, si tout se passe bien, une bande dessinée.
*** Michael Herr est correspondant au Viêt Nam du magazine Esquire pendant l’année 1967. Il collabore plus tard aux dialogues du film Apocalypse Now.
**** les récits se concentrent sur le front, qui n’a concerné qu’une petite partie des troupes américaines au Viêt Nam. Comme souvent dans les récits écrits par des Américains, l’Armée de la république du Viêt Nam, dont les effectifs sont pourtant deux fois plus nombreux que ceux de son alliée l’armée américaine, est – dans ce premier volume – invisible.
***** Publié également aux éditions Délirium, La Grande Guerre de Charlie chronique l’expérience d’un jeune soldat britannique pendant toute la Première Guerre mondiale.
Vietnam Journal. Don Lomax (scénario et dessin). Delirium. 144 pages. 20 €
Les 10 premières planches :