Vietnam Journal, ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés…
Les Éditions Delirium continuent à nous faire découvrir les meilleurs récits de guerre anglo-saxons. Après La Grande guerre de Charlie et Johnny Red, son directeur, Laurent Lerner a déniché l’excellent Vietnam Journal de Don Lomar, dont il publie le deuxième volume.
Vietnam 1967, Scott Neithammer poursuit inlassablement sa mission en reporter indépendant. Il informe les Américains restés au pays de la réalité d’un conflit qui, à ce moment-là de l’Histoire, est toujours une guerre lointaine que les Américains doivent remporter haut la main. C’est aussi la dernière guerre qui verra les reporters partir, suivant leur gré, aux côtés des soldats. Beaucoup de photographes, comme Sean Flinn, Michel Laurent, Larry Burrows, Dickey Chapelle, Henry Huet, Hiromichi Mise, des journalistes nord-vietnamiens et d’autres sont morts dans la jungle ou parce que leur hélicoptère a été descendu par un tir ennemi. Ce second volume de Vietnam Journal raconte cette vie qui oscille sans cesse entre combat et information.
Il décrit surtout comment la guerre rend fou, comment elle s’insinue dans les esprits au point de rendre toute réflexion floue. Les Américains affrontent un ennemi souvent invisible. Un ennemi qui prend tous les visages, enfants, vieillards, femmes, famille… Plusieurs épisodes mettent en évidence les choix cornéliens et monstrueux qui se présentent aux GI’s : que faire dans un village rempli de civils ? L’alternative est binaire : embarquer tout le monde pour interrogatoire mais avec d’immenses problèmes logistiques et risquer d’embarquer un rebelle, ou tuer tout le monde pour éliminer les Viêt-Cong potentiels, terroriser la population et assurer provisoirement les arrières. Hantés par la peur, fatigués, mentalement épuisés, les soldats se rendront régulièrement coupables de crimes de guerre abominables. Souvent sans aucun intérêt stratégique ou tactique, ces crimes ne serviront qu’à venger des camarades morts quelques jours plus tôt ou à calmer le sentiment de panique qui court dans les régiments. Don Lomax, présent au Vietnam à l’époque, montre parfaitement comment le drame côtoie en permanence l’absurde, et comment les hommes sur le terrain en paient le prix fort sous ses yeux.
Son travail illustre les mots de Larry Burrows, photographe pour Life Magazine disparu au Laos en 1971, qui répondait à une interview sur son travail de reporter de guerre : « Il y a des moments où on a les lèvres sèches, et celui qui n’a pas peur est un véritable crétin ». Il ajoutait : « Souvent, je me demande si j’ai le droit d’exploiter la douleur des autres. Mais je me justifie, en moi-même, en pensant que j’aide un peu à faire comprendre ce que d’autres ressentent et pour moi, c’est une raison suffisante. »
Les journalistes se confrontent rapidement à une réalité à laquelle ils ne s’attendent pas : que faire si on doit se défendre ? Ils ne portent pas de signes distinctifs, sont vêtus comme les militaires et les Américains comme les nord-Vietnamiens ne font de différences. Un uniforme est une cible. Peu le disent publiquement mais beaucoup de reporters, comme Scott Neithammer, porteront une arme et s’en serviront dans cette guerre.
Ce recueil d’histoires courtes qui se suivent est entrecoupés d’avis de recherche de soldats, souvent des pilotes descendus par la DCA nord-vietnamienne, dont les familles n’ont pas de nouvelles et dont on n’a pas retrouvé les corps. Beaucoup d’entre eux sont morts mais un certain nombre, à l’époque impossible à établir, a été capturé vivant. Les nord-Vietnamiens ne divulguaient pas ces informations pour faire pression sur l’opinion publique américaine et sur le gouvernement. On connait plusieurs cas célèbres de pilotes capturés.
John Mc Cain, abattu en 1967 et libéré en 1971, qui est devenu sénateur. Douglas Peterson, dont l’avion est abattu en 1966. Libéré 6 ans plus tard après avoir été torturé et exhibé à moitié nu dans les rues de Hanoï, il revient en 1997 comme le premier ambassadeur américain au Vietnam. Dieter Dingler, abattu au Laos en 1966 Laos qui réussit à s’échapper…
Les récits de Vietnam journal sont le fruit de l’expérience du terrain du dessinateur, ils plongent les lecteurs en immersion dans cette machine infernale qui, en 1967, n’est pas près de s’arrêter.
Vietnam Journal. Don Lomax (scénario et dessin). Editions Delirium. 144 pages. 20 euros
Les 18 premières planches :
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