Violette Morris au banc des accusés : femme libre ou collabo ?
A abattre par tous moyens, le premier volume de Violette Morris, emmène le lecteur à la rencontre de Violette Morris, femme libre et libérée. Un destin romanesque et une vie bigger than life. Javi Rey, Bertrand Galic, Kris et Marie-Jo Bonnet nous livrent une bande dessinée historique entraînante qui a pour toile de fond la libération de la femme.
12 septembre 1945, Lucie Blumenthal, avocate déchue car de confession juive, et reconvertie en détective privée, tombe sur son ancien camarade résistant l’inspecteur Jules Delaunay. Celui-ci se dirige vers un charnier où sont enterrés cinq corps, quatre adultes et deux enfants. Parmi ceux de la famille Bailleul, un sixième cadavre apparaît, celui de Violette Morris, amie d’enfance de l’avocate. Cette découverte va raviver des souvenirs de ce passé révolu et Lucie Blumenthal décide de mener l’enquête pour découvrir la vérité qui se cache peut-être dans les zones d’ombre entourant cette histoire. Violette Morris a-t-elle été assassinée pour son supposé collaborationnisme ou pour d’autres raisons moins avouables ? Tel est le nœud que doit dénouer notre héroïne.
Kris, Bertrand Galic et Javi Rey nous emmènent au lendemain de la libération, sur les traces d’une femme méconnue et qui a eu pourtant un destin hors du commun. Violette Morris est sans aucun doute l’une des plus grandes sportives françaises de la première moitié du XXe siècle : touche-à-tout, tour à tour nageuse, boxeuse et athlète (lancé de poids et du javelot). Et son histoire ne se limite pas à la scène sportive. Engagée volontaire dans l’armée française pendant la Première Guerre mondiale, elle devient ambulancière après avoir été une des premières femmes à conduire. Surnommée « la hyène de la Gestapo », elle est également soupçonnée d’avoir collaboré avec les nazis pendant l’Occupation. Femme éprise de liberté, homosexuelle affirmée, elle ne cesse de briser les codes de la bonne société et devient un étendard de cette libéralisation du sexe dit « faible » dont elle défend l’égalité avec le dit dominant.
Ce premier tome est constitué d’une série de flash-back correspondant tantôt aux souvenirs de Lucie Blumenthal, qui parcourt à nouveau ce passé à la fois heureux et douloureux, tantôt aux séquences biographiques qui racontent les premières années de la vie de Violette Morris,
depuis le couvent de l’Assomption en 1908 jusqu’au début des années 1920. Seuls les flash-back qui renvoient à l’enquête et à la reconstruction de la mort de Violette Morris sont différenciés du reste du récit par des tons plus gris. Les autres retours en arrière ne sont jamais annoncés et seule la lecture active du lecteur permet de reconstruire les deux trames narratives entremêlées : le présent de narration à travers le regard de Lucie Blumenthal et le récit de la vie de Violette Morris. Le trait précis et soigné de Javi Rey soutient parfaitement l’histoire en alternant les moments de suspens et d’empathie, soulignés notamment par une focalisation à hauteur de visages. Une histoire profondément humaine, entre ombre et lumière.
Les auteurs parviennent à éviter une surcharge d’informations biographiques en ne sélectionnant que des épisodes significatifs des grands moments de la vie de l’illustre athlète. Ce parti pris dynamise la lecture tout en permettant d’appréhender pleinement ce destin
hors norme. On peut toutefois regretter quelques longueurs dans le récit et certaines planches où le texte prend beaucoup de place, mais cela est clairement dû à une nécessité scénaristique afin de bien présenter les différentes pièces du puzzle que les autres tomes de la série devraient assembler afin de résoudre l’énigme.
Une vie en forme de manifeste pour la libération de la femme, mais aussi une réflexion sur un passé qu’il est parfois difficile de regarder dans les yeux.
La fiction est ici au service de l’Histoire. Sorti de l’imaginaire des auteurs, le personnage de Lucie Blumenthal nous prend par la main afin de nous emmener sur les traces d’une femme au destin exceptionnel. Les auteurs abordent sa fin tragique et sa vie sulfureuse
en prenant soin de ne pas prendre parti, de ne pas porter de jugement sur les décisions prises, et parviennent à nous peindre une première esquisse de la personne que fut Violette Morris, pleine d’ambiguïtés et de contradictions, et qui joua un rôle nécessaire, bien que méconnu, dans la reconnaissance des droits de la femme. L’amitié qui lie les deux protagonistes renforce l’identification du lecteur qui subit les mêmes errances sentimentales que la détective, tiraillée entre un passé lointain, globalement joyeux, et un passé plus récent où la trahison et la douleur sont omniprésentes. Le questionnement qui imprègne le récit est résumé page 54 par Lucie Blumenthal : « Mon problème est de comprendre comment on peut passer à ce point de la lumière à l’ombre. Pour éviter qu’un jour, quand nos vies ne seront plus que quelques souvenirs dans des discours fanés, tout cela ne recommence ».
Tel est le chemin que l’on va parcourir aux côtés de la détective, une histoire faite de résistances, de trahisons et de victimes. Et finalement, peut-être saura-t-on si Violette Morris est morte pour son histoire collaborationniste ou pour avoir été une femme ouvertement libre, « une femme comme les autres hommes, homosexuelle, d’une liberté absolue et par là même scandaleuse », comme le dit Lucie Blumenthal page 55. Une belle amorce pour entrer dans l’histoire de cette femme et de son temps. Une histoire que les autres tomes définiront ou non comme une légende noire.
Violette Morris T1 A abattre par tous moyens. Kris, Bertrand Galic et Marie-Jo Bonnet (scénario). Javi Rey (dessin et couleurs). Futuropolis. 72 pages. 16 €
Les 6 premières planches :
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