Alix Senator T14 : en Germanie, Tibère déjà dans la course à la succession d’Auguste
Après l’Égypte puis la Grèce, le voyage d’Alix cheminant vers l’Atlantide passe maintenant par la Germanie. Là, le sénateur est pris dans les tourbillons croisés des ambitions de Livie et les manigances d’un chef de tribu germanique. Alix est enlevé puis séquestré par des guerriers germains, dont il s’apercevra qu’ils sont en fait les instruments d’un complot de la femme d’Auguste. Dans cet album d’Alix Senator, tome 14 de la série, Valérie Mangin et Thierry Démarez mettent en scène les soubresauts occasionnés par les essais de conquête de la Germanie par les troupes romaines à l’époque du règne d’Auguste. Quand on se lance à faire la comparaison entre la présentation d’Arminius dans Les Aigles de Rome d’Enrico Marini et ce Serment d’Arminius par Mangin et Démarez, on se rend compte combien est exacte la phrase inscrite à la page 2 de cet album : « Mais parfois les zones d’ombre de l’Histoire permettent aux auteurs de laisser libre cours à leur imagination ».
Tout commence en 9 av. J.-C. par une simple chute de cheval. Sauf que le cavalier qui se retrouve par terre avec une jambe fracturée est Drusus, gendre de l’empereur Auguste et général de l’armée romaine présente en Germanie. Sous son commandement, les légions romaines se sont avancées vers l’Est jusqu’au fleuve Elbis (l’Elbe).
À cause de la gravité de sa blessure, Drusus est rapatrié vers l’Ouest jusqu’à la vallée du Rhin, au camp de Mogontiacum (aujourd’hui Mayence). Là, il retrouve son frère aîné Tibère. Et bientôt, leur mère Livie, la femme d’Auguste, vient les rejoindre.
Peu après que Titus, le fils d’Alix, ait rejoint son père et ses compagnons de route égyptiens, ils sont attaqués puis retenus prisonniers par des guerriers germains, qu’Arminius, le fils du chef des Chérusques, identifie comme étant des Cattes, ennemis de sa tribu.
Un peu plus tard, Drusus décède des suites de sa blessure et c’est à son frère Tibère de dénouer les manigances de sa mère avec le chef chérusque Sigimer, père d’Arminius.
À la fin du premier siècle avant J.-C., la Germanie est un pays sombre de forêts et de marais. Ce n’est pas un pays riche comme pouvait l’être, avant la conquête de César, la Gaule où se trouvaient déjà de vraies villes. Alors, pourquoi les Romains ont-ils déployé tant d’efforts pour conquérir ce pays où existait une multitude de tribus et de clans bien souvent opposés les uns aux autres ? C’est tout simplement qu’ils cherchaient à avoir une frontière le plus à l’Est possible pour protéger les pays du Sud appartenant à l’Empire. Pour pouvoir avancer dans sa conquête, Drusus passe donc des accords avec certaines tribus de Germanie centrale comme les Chérusques (voir carte ci-dessous), d’où la présence d’Arminius parmi les légionnaires dès le début de cet opus.
Dans les six livres des Aigles de Rome, Enrico Marini développe le tracé de vie de ce jeune chérusque, nommé chez lui Ermanamer et à qui Auguste donne le nom romain d’Arminius.
Très différente est la présentation qui est faite de ce personnage dans Le serment d’Arminius. Ce jeune garçon semble être un auxiliaire des légionnaires de Drusus. Quand ce dernier est blessé après sa chute de cheval, un légionnaire qui transporte le général intime au jeune garçon d’aller chercher la guérisseuse. Jamais il n’est fait usage pour lui d’un autre prénom à consonance germanique. Habillé d’une simple tunique, il récupère un casque sur le cadavre d’un légionnaire. Ce n’est qu’au moment où il retrouve sa tribu germanique qu’il commence à porter des braies comme les autres hommes de son peuple. Quand il s’exprime, il a tout de l’ado en plein âge ingrat, avec la phrase typique « c’est pas juste » à deux reprises. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec cet autre héros de BD qu’est Titeuf, c’est pô juste !
On peut constater la même différence en ce qui concerne la mort du père d’Arminius. Dans Les Aigles de Rome, Sigimer est victime d’un sanglier, mais la scène se place après le retour d’Arminius de Rome. Tandis que dans Le Serment d’Arminius, Sigimer est forcé de se donner la mort sous les yeux de son fils, avant que celui-ci ne soit emmené en otage à Rome.
Qui est donc ce Drusus qui meurt p.20-21 sur son lit de souffrance ? Comme nous pouvons le voir au long de cet album, il est le fils de Livie et le petit frère de Tibère. Il est né en 34 av. J.-C., trois mois après le divorce de Tiberius Claudius Nero et de Livie et le mariage de celle-ci avec Auguste. Ce qui a fait dire aux satiristes : « Quand les gens ont de la chance, ils arrivent à avoir des enfants en trois mois ». Drusus est marié à Antonia minor (fille de Marc Antoine et d’Octavie). Ils ont plusieurs enfants dont survivent Germanicus (15 av. J.-C.-19 ap. J.-C.) (voir Les Aigles de Rome VI), le futur empereur Claude (10 av. J.-C.-54 ap. J.-C.) (voir Murena) et une fille. Devenu un valeureux général, Drusus en est à sa quatrième campagne en Germanie quand il est victime de cette chute de cheval. La ville de Mayence, qu’il a fondée, garde son souvenir avec une construction funéraire appelée la pierre de Drusus (Drususstein). Le nom de Germanicus, qu’il est le premier à porter, passe ensuite à ses descendants.
Nous avons déjà évoqué le personnage de Livie dans l’article sur Les Aigles de Rome VI. Dans la série Alix Senator, c’est un personnage récurrent. Dans Le Serment d’Arminius, l’épouse d’Auguste apparaît dans ses œuvres de femme de pouvoir en complotant avec les Germains afin de peser sur le choix de l’héritier d’Auguste. Mais ses manœuvres sont mises à jour par Alix. Il n’en reste pas moins que la situation politique de Livie n’en est pas entamée, puisque c’est elle qui organise en 14 ap. J.-C., la succession d’Auguste et le début du règne de son fils Tibère (voir Les Aigles de Rome VI).
Par ses conséquences, la chute de cheval de Drusus marque l’arrêt de la progression de la conquête romaine en Europe du Nord. Malgré les campagnes successives des généraux romains ayant tenté de regagner le terrain perdu, et surtout à cause du désastre de Teutobourg en 9 ap. J.-C., la progression de la romanité s’arrête à la ligne du Rhin en Germanie du nord.
Décidément, c’est la deuxième fois qu’Alix est mêlé à ce genre d’événements qui mettent un coup d’arrêt à la conquête romaine, puisqu’au début de sa « carrière » de héros de BD, il côtoie la défaite face aux Parthes du consul Crassus à Carrhes en 53 av. J.-C. (Voir les albums Alix, l’intrépide et Iorix le grand). Ce désastre marque aussi l’arrêt de l’expansion romaine en Orient.
Alix Senator T14 Le Serment d’Arminius. Valérie Mangin (scénario). Thierry Démarez (dessins). Casterman. 48 pages. 14,50 euros.
Les cinq premières planches :