Avec Le Sang des Cerises, Les Passagers du Vent constatent la seconde mort de la Commune
Pour continuer la saga des Passagers du Vent, François Bourgeon a choisi de poser ses valises de scénariste à Paris à la fin du XIXe siècle. Cette fois, c’est la Commune qui est le fil rouge d’une intrigue qui se déroule à Montmartre, avec Zabo pour personnage principal. Mais en 1885, date à laquelle démarre le premier tome de ce diptyque, de l’insurrection de 1871 ne reste plus que le souvenir.
En voyant arriver le nouvel album des Passagers du Vent, on aurait pu craindre que François Bourgeon veuille concurrencer Jacques Tardi et son Cri du Peuple. Comme pour la Première Guerre mondiale, l’auteur d’Adèle Blanc-Sec a posé sa marque sur la Commune de Paris en bande dessinée au point que tout nouvel entrant doit se positionner par rapport à Tardi. Fort heureusement, François Bourgeon ne manque pas d’ambition artistique, et ce huitième tome de la série qui lui a apporté la notoriété est à la fois original, malin et érudit. Plutôt que de s’engager tête baissée dans une intrigue décrivant la période qui court de mars à mai 1871, le dessinateur a préféré faire un pas de côté. Le Sang des cerises commence donc le 16 février 1885, avec l’arrivée dans la capitale de Klervi Stefan, une jeune Bretonne venue de son pays bigouden natal pour travailler comme bonne chez un couple de bourgeois. Il se trouve que le même jour ont lieu les obsèques de Jules Vallès, journaliste fondateur du… Cri du Peuple et un des instigateurs de la Commune. Klervi se mêle à la foule impressionnante qui agite drapeaux rouges et noirs au passage du catafalque qui se dirige vers le cimetière du Père-Lachaise. Elle y croise la route de Zabo, que nous avions quittée à la fin du tome 2 de La Petite Fille Bois-Caïman (sixième volume des Passagers du Vent), en Louisiane en 1865. Une amitié entre les deux femmes se noue alors, dans le Montmartre du tournant des années 1890, haut lieu des débuts de l’insurrection communarde. La butte, encore partiellement recouverte de taudis à la fin des années 1880 et donc accueillant une population très modeste, est en effet le décor idéal pour poser la question qui sous-entend cet album : quel est le souvenir – et l’empreinte – de la Commune, quinze ans après ?
Force est de constater que la IIIe République a su étouffer les appétits révolutionnaires surgis soudainement en 1871. Après les combats, plus de 10 000 communards sont condamnés par les tribunaux, dont près de 4 600 à la déportation en Nouvelle-Calédonie. C’est le cas de Zabo, qui fait le trajet vers Nouméa en compagnie d’Henri Rochefort, et donc de Louise Michel. En 1880, la loi d’amnistie permet aux communards, dont Zabo, de revenir en métropole. La République peut se le permettre car le danger d’une nouvelle insurrection a disparu. La mort de Jules Vallès enterre un peu plus les velléités révolutionnaires. « Ils nous échangé l’amnistie contre l’amnésie ! », s’écrie Zabo à l’issue d’une discussion avec d’anciens communards. Cette nostalgie d’une occasion manquée est au cœur du Sang des Cerises, qui propose une impressionnante galerie de personnages (certains diront qu’elle confine parfois au name-dropping). Georges Clemenceau, Henri Rochefort (journaliste et homme politique), Eugène Pottier (l’auteur de L’Internationale), Elisée Reclus (théoricien anarchiste), Aristide Bruant (chansonnier), Toulouse-Lautrec, Suzanne Valadon, la Goulue et Jane Avril (danseuses), Théophile-Alexandre Steinlen (graphiste et sculpteur) apparaissent aux détours des cases. L’exposition universelle de 1889, la construction du Sacré-Cœur, le cabaret Au Lapin Agile s’invitent également. Au travers des conversations, des pans entiers d’Histoire s’offrent au lecteur, parfois de manière un peu forcée. Mais cette abondance d’informations fait aussi le charme de la narration, tout comme l’usage intensif d’une documentation au millimètre (voir la vidéo plus bas). Du grand François Bourgeon, donc, qui continue à dérouler une chronique familiale qui s’étale désormais sur presque cent ans.
Les Passagers du vent T8 Le Sang des Cerises Livre 1. François Bourgeon (scénario, dessin, couleurs). Delcourt. 88 pages. 17,95 €
Les 5 premières planches :
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[…] Pour en savoir plus lire le billet publié par Thierry Lemaire – 19 novembre 2018 sur le site de Cases d’histoire. […]