Bérézina. Et le succès de Napoléon Ier dans le froid russe devint défaite cuisante.
Après La Bataille, qui décrivait la confrontation d’Essling, Frédéric Richaud et Ivan Gil adaptent Il Neigeait, un autre roman de Patrick Rambaud. Sous le titre Bérézina, le triptyque s’attache à replacer le passage de la rivière du même nom, dans le contexte de la retraite de Russie. Un moment clef de la fin de l’année 1812, considéré rapidement – et à tort – comme une cuisante déroute par l’imaginaire collectif français.
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Les défaites militaires qui sont passées dans le langage français courant concernent en premier lieu la période napoléonienne. Contrairement à Crécy ou Azincourt – pourtant très bien placées dans le classement des pires déconfitures françaises – Trafalgar, la Bérézina et Waterloo se sont transformées en expressions illustrant ici une déroute, là une déculottée. A croire que la domination de Napoléon Ier sur l’Europe a été telle que ses défaites ont marqué au fer rouge l’inconscient collectif français. Mais là où la Bérézina se distingue des batailles citées plus haut, c’est qu’elle n’est pas un affrontement perdu par les restes de la Grande Armée, mais au contraire une opération réussie pour éviter l’anéantissement.
Son positionnement dans une campagne de Russie aux conséquences désastreuses pour les troupes de l’Empereur en a fait, à tort, le symbole de l’échec de Napoléon Ier. C’est ce que montre très bien les trois tomes de Bérézina en démarrant leur récit au moment où la Grande Armée entre dans Moscou, vidée de ses habitants. L’histoire aurait pu remonter une semaine plus tôt, lors de la bataille de la Moskova, sanglant face à face (et premier véritable affrontement de la campagne de Russie) entre les troupes de Napoléon et celles de Koutouzov. La victoire, revendiquée par les deux camps, est tout de même évoquée dans une vignette apocalyptique. Et elle imprègne également les trois albums, car le capitaine d’Herbigny, un des personnages principaux du récit, y a perdu une main suite à une blessure mal soignée.
D’Herbigny, capitaine des dragons de la Garde et amputé de la main droite, Paulin, son aide de camp et homme à tout faire, et Sébastien Roque, secrétaire de l’Empereur et adjoint du baron Fain, sont les trois témoins et acteurs de la retraite de Russie que le lecteur va suivre durant 170 pages. La moitié du récit a lieu dans Moscou, avant, pendant et après l’incendie. A la prise de la ville, les priorités de d’Herbigny et Paulin sont de trouver un logement, du ravitaillement, et d’échapper aux attaques surprises des quelques Russes qui errent dans les rues, l’arme au poing. Roque a plus de chance, lui qui voyage avec le service particulier de l’Empereur. Parallèlement, sont montrées les décisions d’un haut commandement où Napoléon subit les événements, agacé par la prudence – ou devrait-on dire la lucidité – du maréchal Berthier, véritable souffre-douleur, et du ministre secrétaire d’Etat Daru. Après quelques hésitations, le repli est ordonné. D’Herbigny, Paulin et Roque intègrent alors les colonnes de dizaines de milliers de militaires et de civils, sur le chemin du retour.
La seconde moitié du récit décrit la progression dantesque dans un enfer blanc où les températures glaciales (jusqu’à – 37,5 °C), la malnutrition et les maladies font beaucoup plus de dégâts que le harcèlement des cosaques. Après plus d’un mois de marche harassante, le passage de la rivière Bérézina, qui malgré des conditions climatiques extrêmes n’est pas entièrement gelée, apparaît comme la clef pour atteindre Vilna où les rescapés pourront refaire leur force. Douze pages seulement sont consacrées à un épisode qui dure trois jours et donne son titre au triptyque (contrairement à celui du roman de Patrick Rambaud, allusion au poème Expiation de Victor Hugo, qui souligne les exécrables conditions météorologiques de la retraite). D’Herbigny, Paulin et Roque vivent le passage homérique de la rivière sans se douter des efforts consentis pour parvenir à ce résultat. Pas le lecteur, qui voit Napoléon décider avec son état-major de faire diversion sur les ponts contrôlés par les Russes, pour, dans le même temps, en construire d’autres de toutes pièces un peu plus loin, afin de faire traverser une colonne de plusieurs dizaines de milliers d’individus. Presque acculées par les armées ennemies, les troupes de l’Empereur réussissent la prouesse de suivre à la lettre la tactique arrêtée.
On aurait aimé voir le sacrifice des pontonniers hollandais pour construire les ponts dans une eau glaciale (la quasi-totalité des 400 hommes y laisseront la vie) ou les efforts du général Eblé pour faire passer le plus de personnes possible avant d’incendier ces structures en bois. Le choix est fait par les auteurs de ne pas s’attarder plus que ça sur les circonstances de la bataille de la Bérézina. Le triptyque ne s’achève d’ailleurs pas sur la traversée de la rivière. L’arrivée à Vilna, puis la rencontre à Rouen, au printemps suivant, de quelques survivants de cette aventure hors du commun, viennent clore le récit. Ces dernières scènes montrent par les yeux de ses rescapés que les combats sur les rives d’une rivière de Biélorussie ont permis aux restes de la Grande Armée de revenir en France. La lecture – passionnante – de ce triptyque très détaillé, contribuera certainement à la réévaluation de la bataille dans l’esprit du grand public. Un jour peut-être, la Bérézina sera synonyme de succès, sinon de victoire.
Bérézina – Intégrale. Frédéric Richaud (scénario). Ivan Gil (dessin). Dupuis. 192 pages. 35 euros
Les 10 premières planches :