Dobbs : “Avec Nicolas Le Floch, on voit bien qu’il y a deux poids deux mesures entre la plèbe et l’aristocratie.”
L’adaptation d’un roman en bande dessinée est toujours délicate. Et lorsqu’il s’agit des enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, on peut parler de morceau de bravoure tellement ces récits policiers fourmillent de détails. En 62 pages, Dobbs et Chaiko réussissent le tour de force de faire un album clair, rythmé et riche en évocation d’une période qui annonce la Révolution. Pour Cases d’Histoire, Dobbs revient sur la création de Nicolas Le Floch, version bande dessinée.
Cases d’Histoire : Quelle est votre formation ?
Dobbs : J’ai suivi des études en sociologie et anthropologie jusqu’au doctorat. Puis un Master Histoire militaire et études de défenses et parallèlement un diplôme universitaire en criminologie.
Est-ce que ça a servi pour arriver dans le projet ?
Hachette m’avait contacté pour une histoire liée à la criminologie. Ça ne s’est pas fait. Nous avions un projet avec Chaiko, qui n’a pas été retenu. Mais Hachette a voulu conserver le duo pour adapter Nicolas Le Floch. On a sauté sur l’occasion. Je connaissais les romans et la série télé, les prémices d’une certaine police m’intéressaient beaucoup.
Vous êtes revenu à la source du roman pour faire l’adaptation ?
Oui, l’intérêt c’était de pouvoir travailler sur les romans de Jean-François Parot. Un processus que j‘ai déjà pu suivre avec la collection HG Wells chez Glénat ou Les mines du roi Salomon pour Soleil. Donc, l’idée ce n’était pas de transformer ou d’enrichir, mais de moderniser un petit peu. Quelques modifications de rythme par exemple, pour que ça tienne en 62 pages. Un nombre de pages assez confortable, qui permet de traiter tous les lieux.
Quelle était la marge de manœuvre pour adapter le roman ?
Il y a eu un regard direct par Hachette. La transmission du synopsis paginé chez Jean-Claude Latès [NDR : l’éditeur du roman]. La validation par Parot quand il était encore en vie. Mon seul regret est de ne pas avoir pu le rencontrer physiquement et d’avoir pu échanger sur le ressenti du personnage, son ressenti d’auteur par rapport à l’adaptation. Si ça ne trahissait pas son œuvre. Je ne pense pas, parce qu’on a eu de bons échos d’Hachette et de Jean-Claude Latès.
Comment ça s’est passé pour la documentation ?
La série télé était intéressante, parce qu’il y avait un certain nombre de lieux montrés. On a aussi été piocher dans d’autres films comme Barry Lindon ou Capitaine Alatriste par exemple, qui donnent des idées de couleurs, de textures, de lumières. Mais c’est plus pour des ambiances que pour des informations historiques. Après, on a fait systématiquement des recherches sur les costumes, les appellations, les lieux emblématiques (Bastille, Châtelet, Montfaucon, la campagne de l’époque). Mais c’est plus un travail sur les ambiances, les atmosphères, que de précision absolue. Les puristes pourront dire qu’il faut 500 bougies de tel style pour illuminer la pièce correctement, mais bon, on est plus sur du poétique que du réaliste.
Pour les visages des personnages, est-ce qu’il y a eu la tentation de passer par la série télé ?
Non, justement, on voulait vraiment s’en affranchir. Chaiko a fait plein de tests qui ont été envoyés et on a eu des retours spécifiques de Parot. Notamment sur Sartine, qui a été modifié pour être plus inquiétant et machiavélique. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a travaillé pour ce personnage des ambiances avec ombres portées près d’une cheminée. Et puis, petite anecdote au passage, Chaiko a donné mes traits au bourreau Samson.
Au cœur de la série, il y a le système carcéral de l’époque. Est-ce que vos vous êtes renseigné sur le sujet ?
Chez Parot, il y a déjà tout ce qui faut. La Bastille, la fonction de Samson, la question, tout cela est très expliqué dans les romans. Jusqu’où le bourreau peut aller. La description des espions, des mouches. Toute la pyramide du pouvoir. Les romans de Parot sont très détaillés sur ces questions. Dans cet épisode, on voit bien qu’il y a deux poids deux mesures entre la plèbe et l’aristocratie. Le traitement des accusés n’est absolument pas le même suivant leur classe sociale. C’est la base de Nicolas Le Floch, on va de la rue jusqu’à la cour, le tout jusqu’à la Révolution. C’est un temps de changement. Le Floch va changer, Sartine, son supérieur hiérarchique, et le roi aussi. Le fil rouge, c’est l’ascension de Nicolas dans un milieu très politisé. Dans les prochains tomes, on va travailler aussi sur la rue, les mouvements populaires.
En ce qui concerne les bordels de luxe, au cœur du premier tome, est-ce qu’il y avait aussi suffisamment d’informations dans le roman ?
Oui, tout à fait. Et là encore, il y a deux niveaux. Les bordels de luxe sont réservés aux notables, et à l’intérieur il y a même des jetons pour que certains accèdent à l’ultraprivé. Et puis il y a des prostitués de rue, dans des quartiers sordides. Qu’on voit aussi dans l’album.
Et toute la partie des autopsies ?
C’est extrêmement détaillé pour le médecin, le chirurgien qui pouvait être mandaté par le pouvoir en place. Et aussi pour Samson, qui n’est que bourreau, mais qui a une grande science anatomique. Il n’a pas eu un enseignement de médecin, il n’en souffre pas, et il sait où est sa place. Il a le même processus déclaratif qu’un médecin légiste. Une analyse très factuelle des choses.
Quel est l’équilibre entre le réalisme de la série et mettre un peu de modernité ?
C’est surtout au niveau des dialogues. J’ai conservé énormément de phrasé typique et de phrasé vulgaire. Il y a toujours cette distinction entre éducation et langage de la rue. Mais j’ai beaucoup coupé les grands monologues que pouvaient faire certains personnages. Je n’avais pas la place.
Ça concerne la forme. Et sur le fond, est-ce qu’il y a des choses un peu modernes ?
Pour les autopsies, on tire un peu sur la modernité au niveau des analyses. Mais la science médicale, la science des viscères, est très ancienne. Ce sont des leçons antiques qui remontent jusqu’au siècle des Lumières. Mais encore une fois, plus que l’ultraréalisme, c’est surtout l’ambiance qui doit plonger le lecteur dans l’époque.
On a tendance à vous voir un auteur qui traite le XIXe siècle. Avec Nicolas Le Floch, c’est la première fois que vous abordez le XVIIIe siècle dans une bande dessinée. Quelle différence ?
Pour moi, le XVIIIe siècle est une question de politique et d’atmosphère alors que le XIXe siècle est plutôt porté sur la science et le social. Et puis le XVIIIe siècle me rappelle plein de films que j’ai adoré (j’ai enseigné l’Histoire du cinéma pendant quinze ans). C’est drôle de pouvoir utiliser toutes ces ambiances dans une bande dessinée.
L’objectif c’est d’adapter tous les romans en bande dessinée ?
Je ne pense pas que tous les romans soient adaptables en bande dessinée. Le plus important, c’est de montrer qu’il y a une progression, celle de Nicolas Le Floch (et de Sartine). Car arrivé à un certain point, ce provincial va gêner. Il va prendre un retour de bâton et devenir suspect, subir un complot. Pour l’instant, il n’y a pas de plan précis avec Hachette. On va voir comment se comporte ce premier tome et après aviser. Combien de tomes ? Quels romans adapter ? Doit-on augmenter la pagination ? Ce seront des questions techniques importantes à fixer avant de commencer l’écriture des suivants.
Nicolas Le Floch T1 L’Enigme des Blancs-Manteaux. Parot & Dobbs (scénario). Chaiko (dessin et couleurs). Hachette Comics. 64 pages. 14,95 €
0 Comments Hide Comments
[…] Pour en savoir plus lire le billet publié par Thierry Lemaire – 15 octobre 2018 sur le site de Cases d’histoire […]