Fabrice Erre : “Le Fil de l’Histoire fait le tour d’un sujet en le problématisant à l’échelle des enfants”
Il a fallu du temps pour que Fabrice Erre arrive à concilier, en même temps, ses deux passions, l’Histoire et la bande dessinée. Ce professeur d’histoire-géographie, docteur en histoire, est un dessinateur de bande dessinée d’humour reconnu depuis une douzaine d’années. Ce n’est pourtant qu’au printemps 2018 qu’il se lance dans la BD historique en scénarisant pour Sylvain Savoia la nouvelle collection des éditions Dupuis, Le fil de l’Histoire, raconté par Ariane & Nino. De petits ouvrages, pédagogiques et amusants, protégés par une couverture cartonnée que les élèves du primaire et du collège peuvent donc manipuler sans soucis.
Introduit par un questionnement entre deux enfants, la bande dessinée répond à la problématique ainsi posée. Un court dossier en fin d’ouvrage permet d’en apprendre davantage sur un sujet abordé de façon on ne peut plus rigoureuse. Les jeunes lecteurs sont pris en considération ; ils peuvent se frotter gentiment à la complexité du monde. Les premiers volumes traitent de la pyramide de Khéops, des Gaulois, d’Albert Einstein et de la guerre des tranchées. Fabrice Erre a bien voulu évoquer pour nous son parcours en histoire et dans le neuvième art, jusqu’à son travail pour cette nouvelle collection.
Cases d’Histoire : Bonjour Fabrice Erre, pouvez-vous vous présenter ?
Fabrice Erre : Bonjour, je suis enseignant et auteur de bande dessinée, ce qui me conduit à travailler parfois dans la même journée pour l’Education nationale et Fluide glacial ou Spirou. J’ai publié une douzaine d’albums, seul ou avec Fabcaro qui me confie des scénarios, mais aussi prochainement avec Terreur graphique, Jorge Bernstein…
Vous avez une double passion, le dessin et l’Histoire. Vous avez réussi à les conjuguer depuis toujours (lauréat du concours Fluide glacial en 1995 pendant la préparation de l’agrégation et d’un doctorat). Comment organisez-vous vos journées depuis 20 ans ?
Pendant longtemps j’ai pu facilement passer de l’un à l’autre. Avec les prémisses de la sénilité midlife, je suis obligé de cloisonner beaucoup plus. Il a fallu faire des choix, comme exercer à mi-temps au lycée, sinon la fatigue s’installe et plus rien n’est possible.
Vos premiers albums publiés, Demonax, Le Roux, ne relèvent aucunement du genre historique mais du domaine de l’humour. Peur d’aborder ne manière trop académique la discipline que vous enseignez ou simplement envie de distraire les lecteurs ?
Ah, oui, la question ne m’a même pas effleuré pendant longtemps. Je voulais faire de la bande dessinée d’humour, rien n’indiquait dans mon esprit qu’il était possible de conjuguer les deux. C’est confortable d’avoir deux univers bien distincts où se réfugier sans songer à l’autre.
Vous vous spécialisez donc dans le registre de l’humour, du pastiche de Z comme Don Diego aux strips de Mars, en assurant la partie graphique sur des scénarios de Fabcaro. Comment avez-vous connu cet autre auteur montpelliérain et comment avez-vous travaillé ensemble ?
On s’est rencontré tôt dans nos « carrières », parce qu’on est de la même génération, on vit pas très loin l’un de l’autre, on a commencé à publier en même temps et chez un éditeur commun, 6 pieds sous terre. Il m’a demandé un jour si ça m’intéresserait de dessiner certains de ses scénarios pour Fluide glacial, j’ai bien sûr dit oui et c’est une relation qui s’est installée tout de suite dans une sorte d’évidence très agréable.
Finalement vous abordez l’histoire, et la géographie, par le biais de la vie en classe d’un enseignant dans Une année au lycée – Guide de survie en milieu lycéen, blog accueilli par le site du journal Le Monde puis trois albums publiés. Comment vous en est venu l’idée ? Avez-vous rencontré des soucis avec des élèves, des parents d’élèves ou votre hiérarchie suite à ces publications ? Avez-vous toujours des idées de gags pour continuer votre série ?
L’idée est venue alors que je cherchais à monter une série pour une revue numérique destinée aux ados, qui n’a finalement pas vu le jour. Pour parler aux jeunes, je me suis demandé quoi aborder, et finalement j’ai réalisé que je vivais au milieu d’eux une bonne partie de mon temps, au lycée. C’était donc assez naturel d’aller sur ce terrain. J’ai toujours essayé de l’aborder sous un angle positif, parce que c’est la vision que j’ai de ce métier, donc dans l’ensemble cette série ne m’a jamais apporté de soucis, au contraire : les élèves et leurs parents m’en parlent à l’occasion, toujours de manière discrète ; ma hiérarchie regarde tout ça avec bienveillance. C’est merveilleux.
Finalement, ce n’est qu’en 2018 que l’on retrouve le domaine historique dans vos publications dessinées avec les quatre premiers volumes de Le Fil de l’Histoire raconté par Ariane & Nino. Aviez-vous d’autres projets BD concernant l’Histoire qui n’ont pas pu aboutir précédemment ?
Je travaille sur des projets de bande dessinée d’Histoire avec mon prof d’Une année au lycée, mais ça n’a pas encore abouti, c’est un travail assez long. Le Fil de l’Histoire raconté par Ariane & Nino m’a été proposé par Frédéric Niffle, de Dupuis, et Lewis Trondheim, en 2017 : j’ai trouvé que l’idée était vraiment stimulante, et du coup c’est la première fois que je fais des scénarios seuls, et dans le domaine de l’Histoire.
Pouvez-vous nous présenter la série et votre méthode de travail avec le dessinateur Sylvain Savoia ?
La série propose de faire le tour d’un sujet en présentant les faits essentiels et en le « problématisant » à l’échelle des enfants auxquels elle est destinée : les Gaulois sont abordés sous la question des « ancêtres », la Première Guerre mondiale sous celle des tranchées… ce qui conduit à une mise en scène introduisant l’histoire dans la vie quotidienne des enfants qui en sont les héros, Ariane et Nino. La grande sœur joue le rôle du « professeur », son frère celui du candide. J’écris le scénario, sous la direction de Frédéric Niffle et Lewis Trondheim, puis il est transmis à Sylvain Savoia, qui a déjà travaillé sur plusieurs projets historiques, qui le met en images. Il a un dessin à la fois clair et très vivant, qui permet de rendre dynamique le récit.
Comment vous êtes-vous documenté sur les premiers sujets traités comme La Pyramide de Khéops ou La Guerre des tranchées. Avez-vous trouvé quelques anecdotes amusantes qui peuvent intéresser les jeunes lecteurs sur les sujets traités ?
Je multiplie les sources autant que possible : des ouvrages pour les enfants, car je dois m’adapter à un certain niveau de langage auquel je ne suis pas tellement habitué, mais aussi des livres de chercheurs, des sites d’information, tout ce qui peut me permettre de faire la sélection la plus pertinente d’informations, et de croiser les regards. Il y a une recherche d’anecdotes bien sûr, pour de temps en temps fixer l’attention, mais j’essaie, comme en classe, d’en faire simplement un moyen d’aller vers un fond plus solide. Pour Einstein par exemple, j’ai consulté la biographie chez Bayard jeunesse de Anne Francou et Nicolas Wintz, ainsi que celle de Silvio Bergia chez Belin. J’ai lu aussi Comment je vois le monde d’Einstein lui-même (Champs Flammarion). Enfin, je suis allé interroger un ami physicien qui occupe actuellement à Berlin le poste tenu par Einstein il y a un siècle !
Quels sont les prochains thèmes abordés par la série ? Y-a-t-il d’ores et déjà un nombre minimum d’albums prévu ?
Nous allons parler de la conquête du pétrole, de la Grande muraille de Chine, de la découverte des dinosaures, de Gandhi… Le but est de diversifier les sujets, et de sortir un peu aussi d’une histoire trop nationale. Une douzaine d’albums est prévue pour l’instant.
Vous êtres maintenant un auteur connu et reconnu, publié dès la page 2 du journal Spirou, quels sont vos projets en bande dessinée ? Un projet dans le domaine historique ravirait la rédaction et les lecteurs de Cases d’Histoire.
Je dois dire que d’avoir vu les portes du journal Spirou s’ouvrir ainsi, ça a été un événement important pour moi. On essaie avec Fabcaro de tenir le rythme et d’être à la hauteur ! Nous y développons une série aussi, un western autour de Walter Appleduck, cowboy stagiaire, mais ce n’est pas très historique… En revanche, j’ai tenu avec Terreur graphique une chronique dans La Revue dessinée sur l’Histoire de la presse satirique, dont l’ensemble sera publié en avril 2018 par Dargaud sous le titre Le Pouvoir de la satire : là, c’est une bande dessinée pleinement historique. Et j’entame un projet sur des complotistes, qui ont souvent une vision très particulière de l’Histoire, avec Jorge Bernstein.
Vous êtes aussi docteur en Histoire, après votre essai Le Règne de la Poire, caricatures de l’esprit bourgeois de Louis-Philippe à nos jours, paru en 2011 aux éditions Champ Vallon, comptez-vous publier de nouveau le résultat de vos recherches en Histoire contemporaine ?
Je n’ai plus le temps de faire des recherches approfondies en Histoire, ce que je regrette. Pendant un temps, j’arrivais à alterner festivals de BD et colloques sérieux les week-ends, une sorte de garde partagée. Dès que du temps se libère, j’espère bien pouvoir m’y remettre : l’Histoire culturelle est un domaine vraiment passionnant.
L’entretien avec Frédéric Niffle, le directeur de la collection, ICI.
Le fil de l’Histoire T1 Albert Einstein, un physicien de génie. Fabrice Erre (scénario). Sylvain Savoia (dessin). Dupuis. 48 pages. 5,90€Le fil de l’Histoire T2 La pyramide de Khéops, la première merveille du monde. Fabrice Erre (scénario). Sylvain Savoia (dessin). Dupuis. 48 pages. 5,90€Le fil de l’Histoire T3 Les Gaulois, sacrés ancêtres. Fabrice Erre (scénario). Sylvain Savoia (dessin). Dupuis. 48 pages. 5,90€Le fil de l’Histoire T4 La guerre des tranchées, l’enfer des poilus. Fabrice Erre (scénario). Sylvain Savoia (dessin). Dupuis. 48 pages. 5,90€