Frédéric Niffle : “Contrairement aux séries pour enfants, les héros du fil de l’Histoire n’influent pas sur le cours de l’Histoire.”
En 2008, Frédéric Niffle est rédacteur en chef du journal Spirou et il invente des pages éducatives sur la science et la nature. Il manque une série historique mais aucun projet ne répond à son exigence de divertissement sérieux et documenté. 10 ans après, Lewis Trondheim lui souffle la bonne idée. Naît alors la collection Le fil de l’Histoire, raconté par Ariane & Nino, scénarisée par Fabrice Erre et dessinée par Sylvain Savoia, dont les quatre premiers volumes paraissent en février dernier.
Cases d’Histoire : Pourquoi publier une telle collection ?
Frédéric Niffle : C’est une idée que j’ai eue en 2008 quand je suis arrivé à la rédaction en chef du journal Spirou. J’avais très envie d’une ligne didactique, il y a eu une rubrique d’art, scientifique et même nature. Je voulais parler d’Histoire, de donner le goût de l’Histoire aux enfants. Je ne voulais pas le faire d’une manière austère, trop professoral à la manière de l’oncle Paul comme ça avait été la tradition dans le journal. Mais on se rend compte de la difficulté de résumer en quatre ou six pages, une vie entière de Richard Cœur de Lion, ou des événements denses comme la Première Guerre mondiale. Je cherchais la formule pour avoir un équilibre entre le sérieux et le côté agréable qu’il faut pour les enfants.
Vous avez fait des essais ?
Oui, mais sans parvenir au résultat que j’avais en tête. C’était souvent trop austère.
Quelles ont été les difficultés à dépasser pour faire une BD historique pour les enfants ?
Il y a mille façons de raconter à des enfants. On peut avoir des gamins qui se déguisent et rejouent l’Histoire, une machine à remonter le temps, mais il y a toujours un truc qui me gênait. Dans les séries historiques pour enfants comme Il était une fois l’homme, vous avez un cadre historique mais c’est difficile de distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Les personnages historiques racontent n’importent quoi, on s’amuse mais il faut un décodeur pour savoir la vérité. Je voulais de la fantaisie mais aussi que les enfants apprennent des choses.
Qui a eu l’idée des enfants qui guident le lecteur et qui rendent la lecture très vivante ?
Des années plus tard, je travaillais dans le même studio que Lewis Trondheim. On en a discuté. J’avais le cadre : le petit format, l’objet. Je coinçais sur le plan du scénario. Lewis a pris une feuille de papier et a commencé à imaginer les deux petits personnages qui se ballade dans la rue et qui découvrent un nouveau supermarché. Ils entrent et se disent qu’ils vont découvrir un nouveau monde et du coup on bascule dans la découverte de l’Amérique. Ce truc-là a tout dénoué. Il fallait partir du réel des enfants d’aujourd’hui pour aller vers l’Histoire en passant par l’imaginaire sans artifices, sans machine, ni rien d’autre qu’eux-mêmes. J’ai appelé Sylvain Savoia, j’ai mis une demi-heure à le convaincre et c’est parti.
C’est Sylvain Savoia qui va dessiner tous les albums ?
Oui car c’est important qu’on s’attache à des personnages. Si on change tout le temps, ça va devenir une marque mais il n’y aura pas le côté émotionnel.
Quelle est la place de Lewis Trondheim dans la collection ?
Il m’a aidé à créer la collection, il relit tout, il fait les croquis des couvertures.
Au long des récits, on voit les deux héros assister aux événements mais pas en être acteurs. C’est un choix délibéré ?
Absolument et c’est très important. Contrairement aux séries pour enfants, Ariane et Nino n’influent pas sur le cours de l’Histoire. C’est le meilleur moyen pour indiquer aux lecteurs ce qui est vrai. Tout ce qu’il observe est avéré, quand un personnage historique dit un truc, c’est vrai. J’insiste sur ce point car je suis certain qu’on transmet mieux comme ça. Nino est à l’image du lecteur, il pose des questions, découvre. Sa sœur est plus dans l’explication, elle sait des choses en plus et à travers son commentaire, les images arrivent.
Quel public visez-vous avec cette collection ?
Ça commence à partir de sept ans, après c’est pour tout le monde. Ce sont des livres de culture générale. Les adultes apprendront beaucoup de choses dans ses petits livres, comme moi d’ailleurs. Faire ces livres est un vrai plaisir pour moi, se plonger dans l’Histoire est un vrai plaisir. Quand on fait un bouquin sur Einstein, on se replonge dans l’Histoire pour être juste, pour trouver les informations justes. J’ai envie qu’on ait autant de connaissances dans ces petits livres que dans un film d’une heure trente sur Einstein. Il faut que ce soit dense mais pas écœurant.
Pourquoi avoir choisi Sylvain Savoia ?
Son dessin est riche et épuré. Il y a beaucoup d’information transmises par le visuel mais sans submerger le lecteur. Son dessin n’est pas totalement réaliste mais il l’est suffisamment pour que la valeur documentaire pour les enfants soit équilibrée. Il travaille beaucoup les détails, les objets, les décors pour que tout soit juste, bien représenté. S’il doit dessiner la caravelle de Christophe Colomb, on reconnaîtra le bateau sans problème. Son dessin permet aussi de montrer les choses telles qu’elles sont, comme dans le volume sur la Première Guerre mondiale, où il y a des morts, des fusillés. On ne voulait pas laisser croire aux enfants que la guerre c’est jouer aux soldats.
Comment choisissez-vous les thèmes ?
C’est tellement énorme qu’il n’y a pas vraiment de logique, c’est en fonction de nos intérêts personnels. La seule cohérence est la liste des quatre genres que nous avons définis : les hommes célèbres comme Louis XIV, Einstein ; les événements comme le premier pas sur la lune, la Première Guerre mondiale, les Croisades ; les communautés comme les Incas, les Vikings ou les Gaulois et la quatrième, c’est le génie humain avec la muraille de Chine, la pyramide de Khéops ou la Tour Eiffel. C’est un projet qui a mis du temps à sortir mais je pense qu’on a trouvé une bonne formule, j’espère que les enfants vont apprécier.
L’entretien avec Fabrice Erre, le scénariste de la série, ICI.
Le fil de l’Histoire T1 Albert Einstein, un physicien de génie. Fabrice Erre (scénario). Sylvain Savoia (dessin). Dupuis. 48 pages. 5,90€Le fil de l’Histoire T2 La pyramide de Khéops, la première merveille du monde. Fabrice Erre (scénario). Sylvain Savoia (dessin). Dupuis. 48 pages. 5,90€Le fil de l’Histoire T3 Les Gaulois, sacrés ancêtres. Fabrice Erre (scénario). Sylvain Savoia (dessin). Dupuis. 48 pages. 5,90€Le fil de l’Histoire T4 La guerre des tranchées, l’enfer des poilus. Fabrice Erre (scénario). Sylvain Savoia (dessin). Dupuis. 48 pages. 5,90€