Indians, une autre vision du rêve américain
Après le succès de Go West Young Man, Tiburce Oger développe son pendant amérindien, dans un second album collectif intitulé Indians. Un livre hors du commun, qui dresse le panorama de 350 ans de colonisation nord-américaine, retenu dans la sélection du Prix Cases d’Histoire 2022.
L’année dernière, peu avant la parution de Go West Young Man, nous avions eu l’occasion d’évoquer avec Tiburce Oger et Hervé Richez – directeur éditorial du label Grand angle – les difficultés que rencontrent bon nombre de projets collectifs en bande dessinée. Loin d’être une impression, le désintérêt relatif des lecteurs pour ce type d’ouvrages est un fait, même s’il est loin d’être absolu. Cette situation tient tant au caractère fourre-tout de nombreux ouvrages, qu’à l’exclusivité que manifestent beaucoup d’amateurs de bulles pour certains auteurs en particulier ; se désintéressant au passage des travaux des autres. Il n’en fallait pas plus pour que la plupart des éditeurs rechignent à prendre le risque de publier un album collectif.
Un an plus tard, force est de constater que Go West Young Man réduit à néant pas mal d’a priori. Le moins que l’on puisse dire est que l’album a trouvé son public. Avec plus de 50 000 exemplaires vendus, il s’agit même d’un franc et beau succès, qui s’est d’ailleurs accompagné d’un excellent accueil critique. Évidemment, Tiburce Oger, qui est l’origine de ce projet un peu fou, ne cache pas sa joie : « Go West Young Man a séduit les amateurs du genre, puis le travail des libraires et le bouche-à-oreille en ont fait un succès. Ce résultat est une manière de prendre à contre-pied des certitudes fondées, bien souvent, sur un exemple malheureux ».
Non, les albums collectifs ne font pas forcément un four. Mais encore faut-il se donner les moyens d’en faire autre chose qu’un simple recueil d’histoires courtes ou un produit consommable de plus. C’est sur cette ambition que repose Go West Young Man, scénarisé de bout en bout par un authentique amateur de western ; et mis en scène par des dessinateurs tout aussi fanatiques que lui. Une recette que l’on retrouve dans Indians, qui en constitue la suite philosophique, à défaut d’en être la continuité au sens classique du terme. « Go West Young Man est devenu une véritable drogue. Tous les matins, j’allumais mon ordinateur en me demandant qui m’aurait envoyé une petite page durant la nuit. Quand la fête s’est terminée, après avoir rangé, je n’avais qu’une seule envie : remettre le couvert. Je voulais retrouver cette adrénaline. Tandis que j’écrivais Go West Young Man, j’avais déjà en tête son pendant du point de vue amérindien. J’ai soumis l’idée à Hervé Richez, qui a dit oui tout de suite. Indians a donc été lancé avant même la parution de Go West Young Man », se souvient Tiburce Oger.
Œuvrant une nouvelle fois en tant que scénariste unique, l’auteur n’a pas vraiment eu besoin de forcer le destin pour convaincre seize dessinateurs de renom, passionnés comme lui par le western, de se joindre à l’aventure. Au casting de ce nouvel omnibus, on retrouve donc Dimitri Armand, Laurent Astier, Emmanuel Bazin, Dominique Bertail, Michel Blanc-Dumont, Benjamin Blasco-Martinez, Derib, Paul Gastine, Laurent Hirn, Jef, Hugues Labiano, Mathieu Lauffray, Félix Meynet, Christian Rossi, Corentin Rouge, et Ronan Toulhoat. Excusez du peu…
Tout au long des seize récits courts qui composent l’album, Indians évoque 350 ans d’histoire de la colonisation nord-américaine. Il rappelle au passage que les Anglo-saxons n’ont pas été les premiers à revendiquer ce Nouveau monde réputé vierge de toute présence humaine ; celle des tribus amérindiennes n’étant, par opportunisme, commodité, et racisme, tout simplement pas prise en compte par les envahisseurs. « Pour les Américains qui ont une mémoire très sélective, et qui préfèrent croire aux légendes que l’on veut bien leur raconter, les seuls qui comptent sont les pères fondateurs descendus du Mayflower. Sauf qu’auparavant, des colons français et hollandais s’étaient déjà installés sur la côte Est. Et bien sûr les Espagnols, qui avaient conquis la Floride et le sud-ouest des États-Unis actuels », rappelle Tiburce Oger. « Il ne faut pas oublier que ce sont les Américains qui ont chassé les Mexicains de la Californie, du Nouveau-Mexique, et du Texas. Alamo, c’est quand même une poignée de gusses qui avaient réussi à être plus nombreux que les hispanophones, et qui ont décidé de proclamer leur indépendance ! ».
Cet esprit de prédation né avec l’arrivée des colons européens, les États-Unis contemporains en ont non seulement hérité, mais l’ont également largement accentué. « Les États-Unis sont une nation impérialiste, qui s’est imposée par la force, en premier lieu dans le cadre de la conquête de l’Ouest. Au début du livre, j’évoque un arrêt de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique datant de 1823, et dans lequel elle déclare : « Le droit de conquête s’acquiert et se maintient par la force ». Je crois que tout est dit… ». Une approche qui se traduit quelques années plus tard par l’Indian removal act, un texte permettant aux Blancs de chasser légalement toutes les tribus amérindiennes implantées dans les territoires situés entre les treize états fondateurs et le Mississippi. Y compris des métis bien établi, comme l’illustre le récit signé Benjamin Blasco-Martinez.
Cette politique porte aujourd’hui un nom à glacer le sang : nettoyage ethnique. Assimilable à un crime de guerre ou à un crime contre l’humanité, elle est unanimement dénoncée par les pays membres des Nations-Unies. Mais lorsque l’on évoque les déplacements forcés de populations pratiqués par les États-Unis vis-à-vis des tribus amérindiennes, le terme n’est jamais employé ; quand on ne tente pas tout simplement de justifier purement et simplement l’insoutenable. « La conquête de l’Ouest débouche sur un quasi-génocide, qui doit encore être reconnu officiellement, et figurer dans les livres d’histoire », conclut Tiburce Oger.
Indians. Tiburce Oger (scénario). Collectif (dessin). Éditions Grand angle. 120 pages. 19,90 euros.
Les dix premières planches :