Indochine T2 : Un pilote de chasse dans le ciel d’une bataille oubliée, celle de la RC 4 (Tonkin 1950)
Que le diable t’emporte, c’est le sous-titre de ce deuxième album de la série Indochine, de Jean-Pierre Pécau, Maza et Jean-Paul Fernandez, très librement inspirée de la biographie d’un pilote militaire français, Armand Baverel (1929-2015), ancien d’Indochine et d’Algérie. Dans le premier tome, le héros, pilote de chasse casse-cou et indiscipliné, se voit contraint en 1945 de passer des US Army Air Forces à l’Armée de l’air française. Toujours aussi tête brulée, il est expédié pour raisons disciplinaires en Indochine. Dans ce deuxième album qui couvre la fin de l’année 1950, il va vivre un certains nombre d’aventures plus véritablement guerrières et donc plus périlleuses, du fait de l’aggravation de la situation militaire du CEFEO (Corps Expéditionnaire Français en Extrême Orient) face au Vietminh communiste dirigé par Ho Chi Minh.
En effet, la victoire des communistes en Chine en 1949 a permis au Vietminh de s’équiper en armes modernes et de passer à l’offensive. Le conflit prend donc en 1950 un tournant très défavorable aux troupes françaises bien que, dans le cadre de la Guerre froide, les Américains les aident maintenant en leur fournissant du matériel et en particulier des avions. C’est ainsi qu’au début de l’album, après avoir été confronté (p. 4-7) dans le nord du Tonkin à des chasseurs chinois (des Mustangs américains pris par les communistes aux nationalistes), Armand Baverel va abandonner le vieux P-47 Thunderbolt, sur lequel il volait depuis son arrivée en Indochine en 1946.
En échange, et comme les autres pilotes, il aura un P-63 Kingcobra américain tout neuf (p. 12-15).
Ce drôle de « héron perché » au moteur situé derrière le pilote, est l’évolution du P-39 Airacobra, qu’on a pu voir dans une autre série d’aviation de guerre Le grand duc t.2, Camarade Lilya de Yann et Hugault sorti en 2009 chez Paquet.
Au début, ce Kingcobra n’enthousiasme guère Armand Baverel. C’est pourtant avec cet appareil qu’il va participer le long de la frontière chinoise à ce qu’on a appelé « la bataille de la RC 4 » (Route coloniale n°4, parallèle à la frontière chinoise entre Cao Bang et Lang Son) en septembre-octobre 1950.
Sur cet axe sinueux qui traverse une zone montagneuse et boisée, les troupes vietminh infligent une sanglante défaite au CEFEO, lors de l’évacuation tragique de la garnison de Cao Bang, qui se solde pour les Français par des milliers de morts, blessés, disparus dans la jungle ou prisonniers. Comme les autres aviateurs français, Armand Baverel se démène pour limiter les dégâts en servant d’appui aérien par bombardement et mitraillage au sol des troupes vietminhs (p. 19-21).
À l’issue de cet épisode, il fait la connaissance de l’adjudant Willsdorff, qui va l’aider à récupérer un pilote tombé dans la jungle (p. 25-33). Ce personnage de fiction est tout droit tiré du film de Pierre Schoendoerffer, La 317e section (1965), où il est incarné par Bruno Cremer.
S’ensuit une scène de beuverie (p. 40-41), où grâce à Willsdorff et au tenancier corse du bar, Armand Baverel découvre la figure de l’amiral Thierry d’Argenlieu (1889-1964), présenté comme responsable du déclenchement de la guerre avec le Vietminh.
Plus tard à la fin 1950 et plus à l’Ouest au dessus du « Fleuve rouge en amont de Tao Cai » (p. 48-50), l’avion de Baverel est touché par la DCA vietminh. Il en est donc quitte pour « aller aux vaches » (faire un atterrissage forcé) dans le cours d’eau.
Tiré d’affaire grâce à une unité de parachutistes, Baverel rencontre une certain « sergent-chef Perrin » (p. 54), dont le personnage de fiction sort peut-être lui aussi de La 317e section à double titre, car dans le film, ce nom est celui du radio de la section et aussi celui de Jacques Perrin, l’acteur qui joue le rôle du jeune sous-lieutenant Torrens.
Là, pour permettre au groupe de fuir, Baverel guide par radio des B-26 pour un bombardement de nuit. La représentation des explosions des bombes (p. 55) fait indubitablement penser à du napalm.
Car c’est à cette époque que cette arme terrifiante est utilisée pour la première fois en Indochine. Cette fourniture du napalm par les Américains a ensuite permis aux troupes françaises, sous le commandement du général de Lattre, arrivé le 6 décembre 1950 en Indochine avec les pleins pouvoirs civils et militaires, de redresser provisoirement la situation après le désastre de la RC 4. En janvier 1951, l’offensive vietminh sur Hanoi a en effet été stoppée par ces bombardements au napalm, arme inconnue des Vietnamiens à cette époque.
Mais en attendant ces évènements à venir, Baverel, pilote sans avion et en compagnie des « biffins » rescapés, va devoir rentrer à sa base à pied pour y fêter son retour.
Ce deuxième tome d’Indochine, malgré des inexactitudes qui sont encore un peu trop visibles (cartes approximatives, uniformes et insignes de grades erronés, etc…), colle mieux que le premier album à la réalité évènementielle du conflit indochinois. Cette BD est d’ailleurs la seule pour l’instant qui couvre le champ de l’arme aérienne durant les hostilités entre le CEFEO et le Vietminh de 1946 à 1954. Elle est à rapprocher du livre très bien illustré de Jean-Pierre Simon, Les aviateurs dans la guerre d’Indochine (1945-1954) (Témoignages, Les Editions du Grenadier/Anovi, 2016), dans lequel on trouve par exemple cette photo de mécaniciens posant assis sur un Kingcobra (p. 120).
Sur la quatrième de couverture du présent album est annoncé un tome 3 intitulé : La ville du ciel. S’agira-t-il de la bataille de Ðiện Biên Phủ, où la maîtrise du ciel par les Français n’empêcha pas le désastre ?
Indochine T2. Jean-Pierre Pécau (scénario). Maza (dessin). Jean-Paul Fernandez (couleurs). Manchu (couverture). Delcourt. 56 pages. 14,95 euros
Les 5 premières planches :