L.F. Bollée : “On fait de Golgotha le nom d’un lieu magique et un peu secret situé dans la Haute Egypte, où il y aurait une sorte de nouveau prophète encore plus fort que Jésus.“
Publié par les éditions Soleil, le tome 1 de la série Golgotha reprend les codes du péplum traditionnel. Vengeance, jeux du cirque, trahison, repentance construisent le récit mais les auteurs y ont ajouté une bonne dose de fantasy pour donner une image nouvelle et produire des enjeux inattendus. Laurent Frédéric Bollée, co-scénariste avec Alcante, revient sur la genèse de Golgotha, ses personnages et le jeu subtil mené avec la réalité historique.
Cette chronique est la cinquième d’une série de dix sur les bandes dessinées dont l’action se situe pendant l’Antiquité romaine. Elle s’inscrit dans les événements organisés en 2022 pour les dix ans du Muséoparc Alésia. Elle est publiée sur et sur
Lire la chronique de Golgotha sur Cases d’Histoire
Cases d’Histoire : Est-ce que vous pouvez raconter le début de l’histoire, qui assez nébuleuse, mais qui va, j’imagine, se dénouer un peu plus tard ?
Laurent-Frédéric Bollée : Comme j’aime bien le faire, il y a un peu plusieurs actions en même temps qui sont toutes amenées à se rejoindre. Le récit le plus important est le destin de Lucius, un gladiateur star à Pompéi, une grande vedette. Malgré ce qu’on peut croire, il n’y a aucun intérêt à ce que quinze gladiateurs meurent à chaque combat, sinon il n’y en aurait rapidement plus beaucoup. Les gladiateurs les plus doués sont donc réutilisés le plus longtemps possible. Lucius gagne à chaque fois, il fait partie du folklore de Pompéi sauf qu’il annonce au patron de son équipe de gladiateurs, qu’on peut vraiment comparer avec le football actuel, qu’il met fin à sa carrière. Il a d’autres ambitions dans la vie. Il se rapproche d’un notable de la ville qui veut se faire élire à un poste important à Pompéi et qui lui a promis sa fille en échange de son soutien. Son dernier combat sera en quelque sorte son jubilé. Sauf que son patron ne veut pas perdre sa poule aux œufs d’or, il va lui opposer, pour son dernier combat, un autre super gladiateur.
Ce gladiateur est un personnage assez incroyable. C’est une sorte de golgoth monstrueux.
C’est une idée d’Alcante. Il est tombé sur une photo de guerrier africain albinos et il a proposé de créer ce super gladiateur numide albinos. Ce personnage est d’abord une idée visuelle qui permet de créer une opposition avec Lucius. Enrique Breccia s’en donné à cœur joie pour en faire un guerrier très impressionnant et sans pitié qui va couper le bras de notre héros. Devenu manchot, la descente aux enfers de Lucius commence.
Il faut aussi évoquer le troisième grand personnage de la série. C’est un homme mystérieux qui amène une touche puissante de fantasy.
Parallèlement à ce qui se passe dans l’arène, on recueille un bateau de naufragés sur une île près des côtes romaines. Il y a parmi les survivants un jeune homme à l’aspect un peu christique mais qui ne meurt pas. On a beau le priver de nourriture, on a beau le torturer, lui enfoncer des épées dans le cœur. A un moment donné, les soldats qui l’ont recueilli testent un peu sa résistance et on s’aperçoit qu’il est immortel, littéralement. Il raconte qu’il vient d’un lieu où un grand prophète l’a rendu immortel et ce prophète ce serait Al Azar dans un lieu magique qui s’appellerait Golgotha voilà et tout ça va un peu converger…
Ce qui est vraiment génial dans Golgotha c’est cette irruption du fantastique dans un récit historique quand on ne l’attend pas. C’est un récit très historique mais on sent avec l’immortel, avec ce gladiateur albinos qu’on peut se passer dans autre chose que du péplum.
C’est clair qu’on s’est offert une sorte de liberté absolue en délirant parfois et en nous appuyant sur le dessin incroyable de Breccia. Effectivement, le gladiateur s’entraîne avec une sorte de machine qui simule un adversaire, c’était pour offrir l’occasion à Enrique de faire une sorte de machine un peu fantastique et un peu dingue. Comme Enrique sait faire des faciès un peu horrifiques parfois on y va de bon cœur. Pour l’immortel, il a joué sur le côté verdâtre, cadavérique de personnage. Il est humain mais effrayant. Il vient aussi d’un lieu surnaturel, une forteresse dirigée par un prophète situé en plein désert.
Ces détails vous rattachent à la grande tradition du péplum dans la bande dessinée et surtout au cinéma avec un film comme Ben Hur.
Tout à fait. Rome, la grandeur de Rome, l’émergence et l’ascension du christianisme teintée de mystère à la suite du Christ et la réalité de la société romaine avec une hiérarchie très prononcée des peuples, des notables, des puissants, des gladiateurs, on est quand même dans des références évidentes. Mais bon on fait un peu notre tambouille pour être honnête et on s’amuse beaucoup. Si je prends l’exemple de Golgotha. C’est quoi Golgotha ? C’est le lieu où le Christ a été crucifié. C’est une colline à Jérusalem qui veut dire, en araméen ancien, le “Lieu du crâne”, c’est à dire une sorte de petite montagne qui ressemble à un crâne. Nous avons gardé l’identification christique, ça fait vraiment partie de notre projet, c’est trop tentant de ne pas jouer avec les codes du Christ et de ses pouvoirs. Simplement, on aimait tellement ce mot Golgotha qui est vraiment un mot génial faut être honnête, un mot puissant, évocateur, étonnant, original, qu’on a complètement détourné. Non seulement on le garde comme le titre global de notre série mais en plus on en fait le nom d’un lieu magique et un peu secret qui serait situé dans la Haute Egypte et où il y aurait un homme, une sorte de nouveau prophète encore plus fort que Jésus, qui serait donc Lazare, Al Azar dans son nom un peu arabe. Lazare, c’est le seul homme qui a été ressuscité. Nous en faisons donc un homme qui devient spécial, on n’est pas revenu des morts pour rester banal si j’ose dire. Donc Al Azar est devenu une sorte d’ermite prophète un peu dingue réfugié dans une forteresse en Egypte et qui manifestement rend les autres immortels c’est à dire que lui-même a hérité du pouvoir qui lui a été donné en ressuscitant. C’est donc une grande menace pour Rome si quelqu’un commence à faire des armées immortelles. Pour conclure la série, dans le troisième volume, l’idée est de raconter une expédition dans le désert égyptien pour aller voir la réalité de cette forteresse et de ce bonhomme Lazare.
Comment se distribue le travail entre deux scénaristes sur un projet aussi complexe ? Comment travaille-t-on pour raconter une histoire à deux cerveaux et à quatre mains ?
Il y a entre Didier/Alcante et moi, une entente parfaite. Quand nous entamons un projet, on choisit un capitaine de projet. Pour La Bombe, c’était Didier. Pour Golgotha, c’est moi. Il y a une sorte de voie un peu plus tracée par le capitaine que par l’autre mais c’est déjà le résultat d’échanges entre nous. Ensuite, on fait un plan du livre, ce qu’on fait pour tous les livres, ça sera toujours une méthode que je défendrai. Une fois que le plan est réalisé, on sait que la troisième séquence se passe dans le Colisée de nuit avec une poursuite entre un Romain et un ouvrier et que ça débouche sur l’arène centrale puis soudain qu’il y a un lion qui se retrouve face au lecteur. A vue de nez, on sait très bien que c’est une séquence importante parce qu’elle est très visuelle et qu’elle va durer six pages. Didier adore ces scènes, c’est donc lui qui va s’y coller. Pour moi qui suis assez contemplatif, je vais prendre toutes les scènes un peu bavarde avec background phylosophico-religieux, des intérieurs, avec la présence d’un personnage qui a l’air d’être surnaturel. On est vraiment chacun dans les parties qu’on aime bien. Le dialogue est permanent, le scénario est validé quand il nous plait à tous les deux après quatre ou cinq versions.
Golgotha T1, Lucius. Alcante et Laurent-Frédéric Bollée (Scénario). Enrique Breccia (Dessin). Editions Soleil. 56 pages. 14,95 euros.
Les dix premières planches :