La guerre d’Indochine (1946-1954) dans les BD françaises – 1/3 Le corpus
La sortie, le 20 janvier dernier, du deuxième tome de la série Indochine nous amène à faire un bilan de la place que la guerre d’Indochine (1946-1954) tient dans les BD historiques françaises. On peut d’abord constater que ce conflit y est très peu présent. En effet à ce jour, on ne comptabilise que vingt-cinq parutions entre 1990 et 2021 ayant pour cadre « la sale guerre » et certaines de ces sorties ne sont que des rééditions ou des intégrales. On peut aussi s’interroger sur cette absence de publications avant 1990, soit presque quarante ans après la fin des évènements : c’est une des questions à laquelle nous allons nous efforcer de répondre. Dans ce panel de vingt-cinq parutions, on remarquera des BD à but didactique et mémoriel, comprenant souvent des dossiers documentaires, tandis d’autres sont purement fictionnelles en rapport avec les hostilités, et même certaines ne prenant le conflit que comme décor.
Avant tout, il a paru nécessaire de tracer très brièvement le cadre chronologique spécifique au conflit indochinois. Après la Seconde Guerre mondiale, la IVe République s’est révélée incapable d’inventer la décolonisation pour la France. En 1945-1946 en Indochine, face au front Viet Minh dirigé par les communistes, elle s’est laissée entraîner, malgré les bonnes intentions de part et d’autre, dans un conflit qui a fonctionné au début à bas bruit.
À partir du 19 décembre 1946 (début de l’insurrection du Viet Minh), la guérilla se généralise à l’ensemble de la péninsule indochinoise. L’armée française, en l’occurrence le CEFEO (Corps Expéditionnaire Français en Extrême Orient) fonctionne à deux niveaux : il doit diluer ses effectifs terrestres pour tenir un nombre énorme de points d’appuis ou postes isolés, tout en réservant ses meilleures unités (Légion étrangère, parachutistes, commandos de toutes sortes) pour les combats les plus difficiles. En face, l’APV (Armée Populaire Vietnamienne, bras armé du Viet Minh) est organisée sur trois niveaux : les troupes locales, puis régionales, toutes deux mobilisables sur place ou dans la même région, et enfin le corps de bataille, la véritable armée régulière en cours de constitution essentiellement dans la jungle du nord du Tonkin. L’insécurité se répand partout, mais il n’y a encore rien de militairement décisif.
Commençant comme un conflit colonial classique, l’affrontement devient vite un point chaud de la Guerre froide, d’autant plus que les communistes prennent le pouvoir en Chine en 1949 et permettent à l’APV de s’équiper en armes modernes. Les hostilités prennent donc une autre tournure avec un premier désastre en septembre-octobre 1950 : à Cao Bang et sur la RC4 au nord Tonkin, près de la frontière chinoise, les unités régulières du Viet Minh l’emportent sur les troupes françaises. Après un bref redressement français en 1951 surtout grâce à l’aide matérielle américaine, les choses ne vont cesser de se détériorer. L’écrasante défaite historique de Ðiện Biên Phủ en mai 1954 et les accords de Genève en juillet de cette même année marquent la fin de la présence française en Indochine.
Panorama des parutions
Un peu de chronologie….
La publication d’albums concernant la guerre d’Indochine est un phénomène éditorial relativement récent. En effet, il faut attendre 1990 pour voir la sortie des premiers opus. Depuis, il y a eu une production très modeste de dix-neuf volumes, plus trois intégrales et deux rééditions classiques, ce qui donne un total de vingt-cinq albums. Il y a un maximum de trois albums sur une année (1990 et 2003) et beaucoup d’années sans parutions.
On se rend compte qu’il existe quatre périodes de publications séparées chacune par des périodes plus ou moins longues sans sorties d’albums (en jaune sur les tableaux).
- 1990-1992 : 5 sorties
- 2000-2009 : 10 sorties, mais 2 rééditions et 2 intégrales de la même série
- 2011-2014 : 7 sorties, mais 1 intégrale
- 2020-2021 : 3 sorties
On peut d’abord se demander pourquoi le thème de la guerre d’Indochine est apparu si récemment dans la BD francophone. Et pourquoi 1990 ? Pour tenter de trouver une explication, il nous faut remonter un petit peu en arrière. En 1986, après un accord signé entre le France et le Viet Nam, la ville de Fréjus organise l’érection du « Mémorial des guerres en Indochine », où seront rassemblés les ossements de 17 255 militaires identifiés et rapatriés depuis le Viet Nam entre octobre 1986 et octobre 1987. C’est cette arrivée, évoquée dans les trois première planches de la série Les oubliés d’Annam, qui pourrait être le déclencheur de l’intérêt mémoriel et par capillarité celui des auteurs de BD pour ce conflit qui reste pour une grande partie des Français « la sale guerre ».
Nous allons maintenant détailler un peu plus ces albums, en ordre chronologique de parution des séries d’abord, puis des one-shots.
Les six séries
D’après ce qu’on peut voir, la guerre d’Indochine se prête assez mal au cadre de la série. En effet la première tentative en 1990, Une épopée française ne dépassera pas le stade du premier tome. Quant à la suivante, Victor Levallois, l’Indochine n’est concernée que par les deux premiers albums sur les quatre que comprend la série. Les quatre autres séries ne dépassent pas le tome 3.
Une épopée française, T.1 : Indochine
Cet opus de Jan Bucquoy et Erwin Sels a d’abord été publié dans le magazine Vécu, puis est sorti en album en 1990 chez Glénat. André Marchal, orphelin et enfant de troupe, n’a pas connu autre chose que l’armée. En 1950, quand il sort officier de l’Ecole de Saint Cyr, il part pour l’Indochine, où il est nommé aussitôt chef du petit poste de Lang Son au Tonkin. Là il va vivre la réalité de la guerre coloniale : contact de toutes sortes avec la population indigène, attaques soudaines, répression et torture. Malgré les tensions avec un de ses sous-officiers, il réussit à ramener son unité dans un endroit encore tenue par les Français.
Ce premier tome d’une série qui ne comptera que celui-ci, malgré ses nombreuses erreurs (uniformes inexacts, cartes fantaisistes, etc…), a au moins le mérite de présenter ce que furent les conditions dans lesquelles les soldats français des postes perdus eurent à affronter un ennemi multiforme et omniprésent, avec toutes les violences que ça comportait.
Victor Levallois : Trafic en Indochine, La route de Cao Bang
En 1990 et 1992 sortent chez Alpen Publishers deux albums de Laurent Rullier et Stanislas Barthélémy, sous le titre général Une aventure de Victor Levallois et respectivement sous-titrés Trafic en Indochine et La route de Cao Bang. En 2003, ces deux albums sont réédités chez Les Humanoïdes Associés avec un titre général qui est devenu La vie de Victor Levallois, des sous titres identiques, mais des couvertures redessinées. Si celle de Trafic en Indochine est un simple lifting sans changement iconographique très notable, il n’en est pas de même pour La route de Cao Bang. Au premier plan, le héros abandonne son chapeau de brousse, sa cigarette et sa sacoche pour serrer dans ses bras une jeune femme éplorée en costume vietnamien. Au second plan et en arrière-fond, le paysage a changé : on est passé d’un panorama de poste militaire de jungle avec broussaille et palmier à un environnement plus évocateur de la petite ville de montagne qu’était Cao Bang. En outre, l’avion Junkers Ju 52 de la couverture de 1990 est devenu un C-47 Dakota sur celle de l’édition de 2003. De plus l’attitude plus dramatique des personnages est mieux représentative des heures tragiques de l’évacuation de Cao Bang et du désastre de la RC 4 : en fait le dessinateur a préféré illustrer sa couverture de 1993 avec une scène différente de l’album, car plus en adéquation avec le titre.
Dans Trafic en Indochine, Victor Levallois est un jeune aide-comptable sans histoire qui entre en possession d’une énorme somme en liquide avec mission de la transmettre à un marin, ce qu’il va tenter de faire. Mais les évènements vont s’enchaîner implacablement et amener le jeune homme jusqu’à Saïgon. Là, il va se lier d’amitié avec une bande de joyeux fêtards et finalement récupérer les billets qu’il conservera. Dans La route de Cao Bang Victor Levallois, toujours à Saïgon, tombe amoureux de Thuyet, une jeune vietnamienne qui devient sa compagne, mais qui malheureusement se révèle dévorée par la passion du jeu. C’est dans cet enfer qu’elle disparaît et que Victor Levallois doit aller la chercher jusqu’à Cao Bang, où il la découvre mourante. Après son décès, Victor Levallois est pris dans le désastre de la RC 4 et est fait prisonnier par les soldats du Viet Minh. Mais il réussit à s’évader et à regagner la zone française d’où il est finalement expulsé.
Les auteurs nous livrent là une excellent histoire, très attachante, et retraçant bien l’atmosphère de l’Indochine de la fin des années 1940 : trafic des piastres, jeu et prostitution, sur l’arrière-fond d’une guerre pouvant devenir rapidement désastreuse. Servie par un dessin original et une qualité optimale de reconstitution, la densité de l’intrigue tient en haleine et nous offre un excellent moment de lecture.
Les oubliés d’Annam
Ces deux albums de Giroud et Lax sont sortis en 1990 et 1991 chez Dupuis avec deux éditions de l’intégrale en 2000 et 2003. Le thème est le suivant : Nicolas Valone, journaliste d’investigation à la télévision, se lance sur les traces d’Henri Joubert, un déserteur de l’armée française passé au Viet Minh en 1947 et qui a disparu, son corps ne faisant pas partie de ceux rendus par le Viet Nam à la France en 1986. Cette enquête mène d’abord Valone à Berlin, puis ensuite au Viet Nam. Il y fait la connaissance de Kim, la fille de Joubert, qui va l’aider à trouver la vérité sur la disparition de son père.
Mais ces recherches en France et même au Vietnam sont constamment empêchées par des gens dont on finit par découvrir qu’ils sont des agents de la DGSE (service de renseignements français), dont le Directeur se révèle être coupable de la mort de Joubert en 1952. Finalement à la suite de pressions politiques, le reportage de Valone ne sera pas diffusé à la télévision. Le scénario haletant et plein de rebondissements de Giroud, servi par le très beau dessin de Lax, met d’entrée la barre très haut pour décrire le destin tragique de ce « soldat blanc d’Ho Chi Minh ».
Tramp, T.7-8-9
Sortis en 2005, 2007 et 2009 et en intégrale en 2011 chez Dargaud, ces trois albums de Kraehn et Jusseaume forment le troisième cycle des aventures de l’officier de marine marchande Yann Calec. Le héros est envoyé par sa compagnie en Indochine pour prendre le commandement d’un « stationnaire », un cargo qui transporte des marchandises civiles et militaires entre le sud et le nord du Vietnam. Dans le premier tome, sous-titré Escale dans le passé, Calec, avant de partir, propose à un vieux voisin de retrouver son fils, parti comme militaire en Indochine et dont il est sans nouvelles. Ces recherches amènent Calec sur les traces de son propre père décédé et qui était une « sorte de gloire locale » à Saïgon. La sale guerre, le second tome, nous renseigne un peu plus sur ce personnage qui se révèle avoir été un petit seigneur de la guerre, dont son fils doit trouver des traces dans le milieu interlope de Saïgon, ce qui le remet aussi sur la piste du fils de son voisin.
Dans Le trésor du Tonkin, troisième tome, Calec apprend la vérité sur la mort de son père parti chercher un trésor dans la haute région du Tonkin et, s’y rendant lui-même, retrouve le fils disparu de son voisin et le trésor, tout en tirant vengeance des assassins de son père. Avec un scénario haletant et un superbe dessin réaliste, cette série ne peut qu’emporter l’adhésion des lecteurs les plus exigeants. Même si les combats sont absents et le Viet Minh invisible, et que le récit nous amène dans des bars et le lit d’une « taxi-girl » chinoise, on sent toute la tension d’un territoire en guerre. Celle-ci n’apparaît qu’en référence au désastre de la RC4 en octobre 1950 (p.123-127). Les auteurs ont intégré dans leur intrigue le personnage célèbre du journaliste et écrivain Lucien Bodard (1914-1998), grand spécialiste de l’Indochine (p.63-77). Et Kraehn et Jusseaume se sont même donnés le luxe d’un clin d’œil à Tanguy et Laverdure en baptisant « Tanguy-la-vie-dure » le « pilote cinglé » qui transporte le père puis le fils Calec avec son vieux Ju 52 (p.129, 134, 148-151).
La rafale
Cette trilogie de Cothias, Ordas et Winoc, sortie en 2012, 2013 et 2014 chez Bamboo, se déroule en 1948-1949 dans le sud du Viet Nam autour de « La rafale », le fameux train blindé de la Légion étrangère, qui permettait la circulation ferroviaire en force entre le nord et le sud du pays. Chaque tome est centré sur un déplacement du train blindé. Dans le premier Les rails rouges, Frédéric Daguet, jeune ingénieur des chemins de fer et ancien maquisard FTP, est réquisitionné par la Légion pour assurer la maintenance technique du train. Il va faire la connaissance d’un certain nombre de légionnaires et en particulier du caporal Pascual Paco, ancien républicain espagnol, dont la congaï (compagne vietnamienne), My Linh, est en fait aux ordres du Viet Minh. Cette jeune fille travaille dans un bar en même temps qu’Anne-Marie (ou Amalie) une Française ouvertement prostituée. Au cours de ce premier déplacement de « La rafale », le train est attaqué et Daguet manque d’y laisser la vie. Dans le second album, Les traverses de Song-Lap, c’est à des assauts beaucoup plus longs et meurtriers que les légionnaires de « La rafale » venus renforcer la garnison d’un petit poste fortifié, sont confrontés de la part des guérilleros du Viet Minh. L’album se termine par le retour du train à la ville de Nha Trang, et un attentat au cours duquel Amalie échappe à la mort. Le troisième tome Terminus Saïgon est essentiellement consacré à l’évacuation de civils de Nha Trang vers Saïgon au moyen de « La rafale ». Et c’est au cours de ce voyage que My Linh meurt en évitant de faire sauter une bombe dans le train, et que Daguet et Amalie entament une relation qui semble se terminer tragiquement.
Pleine de rebondissements et de personnages divers, tant du côté français que du côté Viet Minh, cette série a le mérite de se dérouler dans la période de la guérilla, avant que le conflit prenne un tour plus dramatique lors des grandes batailles au Tonkin entre 1950 et 1954.
Indochine
Cette série Indochine, de Jean-Pierre Pécau au scénario, Maza au dessin et Jean-Paul Fernandez pour la couleur (les couvertures étant de Manchu), comporte pour le moment deux tomes. Le premier sous-titré Adieu vieille Europe est paru en août 2020 chez Delcourt et le second Que le diable t’emporte est sorti chez le même éditeur en janvier 2021. Ce deuxième tome annonce en quatrième de couverture un tome 3 à paraître avec le sous titre La ville du ciel. Quand on sait que Ðiện Biên Phủ veut dire « chef-lieu d’administration préfectorale frontalière » en langue vietnamienne, mais que le nom ancien de cette agglomération était en langue thaï Muong Tènh, qui signifie « ville du ciel », il y a fort à parier que l’action de ce troisième album se déroulera durant la célèbre bataille (20 novembre 1953 – 7 mai 1954) !
Cette troisième séquence des aventures d’Armand Baverel viendra compléter les deux premiers volets de cette fiction très librement inspirée de la figure d’un pilote militaire français (1929-2015), ancien d’Indochine et d’Algérie. Dans la BD, il est un pilote du genre de ceux de l’escadrille de Greg « Papy » Boyington dans la série télévisée Les têtes brulées de 1976-1978. Dans le premier album, Baverel est pilote de chasse dans les US Army Air Forces et son manque de respect des règles de sécurité fait qu’il manque de se tuer et doit être transféré dans l’Armée de l’air française. Comme il ne s’assagit pas, on l’envoie pour raisons disciplinaires en Indochine en 1946. Là, les hostilités étant encore dans la phase de guérilla, Baverel participe à des missions spéciales et vit sa passion pour la guitare la nuit dans les bars. Dans le second tome, le conflit se militarise un peu plus et le pilote devient partie prenante d’un certain nombre d’actions de guerre à la fin de l’année 1950.
Avec Indochine, nous avons la première BD de fiction couvrant tout la longueur des hostilités entre le CEFEO et l’APV.
Les sept one-shots
La particularité de ces récits complets est que, comme leurs couvertures l’indiquent, quatre sur cinq ont pour titre Ðiện Biên Phủ. C’est dire l’importance que cette bataille revêt dans la mémoire collective française et résume à elle seule le souvenir cuisant que nous gardons de la fin de « la sale guerre ».
La Légion, t. 3 : Diên Biên Phu
Cet album de Philippe Glogowski et Marien Puisaye sorti en 2004 aux Editions du triomphe, est une BD purement documentaire et évènementielle, qui décrit les combats auxquels la Légion étrangère a participé de 1946 à 1962. Les vingt trois premières pages sont consacrées à la guerre d’Indochine et seulement six pages racontent plus en détail la participation de la Légion à la bataille de Diên Biên Phu.
Un dessin classique illustre cette trame militaire et chronologique, qui couvre l’ensemble du conflit indochinois de 1945 à 1954.
Diên Biên Phu, de Tuot et Casanave
Adaptation en BD de la pièce de théâtre de Noël Tuot, ce petit roman graphique de Daniel Casanave, sorti en 2004 chez Les rêveurs, représente en trois actes le cheminement d’un soldat français sur la scène de la bataille, l’acte III se déroulant dans l’improbable laboratoire de Pasteur. En avant-propos, un texte de Jean-Pierre Sicre a pour titre Le bal des zigouillés, ce qui résume assez bien l’action de cet opus. À l’acte I, après une petite introduction : « On ne… pas à Dien Bien Phu », le héros cherche à ressusciter Jules, son camarade de combat, tué par un cadavre qu’ils ne voulaient pas enterrer. Dans l’acte II, au PC du général de Châtre (de Castries), le soldat zigouille successivement le général, un colonel anonyme et le colonel Bizzard (Bigeard) qui n’arrivaient pas à rendre Jules à la vie. Et finalement il part vers le laboratoire de Pasteur sur l’avis d’un gamin qui se présente comme « le zizi de rechange du général Giap ». Plus court, l’acte III nous montre le soldat chez Pasteur, qui, pas plus que son assistante, n’arrive à ressusciter Jules et qui se font tuer par le soldat, qui finalement va enterrer Jules.
Cette œuvre philosophique peut être considérée comme une réflexion sur la mort, la célèbre cuvette et ses combats se prêtant bien à en être le décor. Par exemple cette planche, où le cadavre informe les deux soldats de Diên Biên Phu que « Hier, le colonel Bizzard a fait fusiller Jeanne d’Arc… Elle avait refusé de se baigner dans la flaque d’eau de la beauté. C’est une flaque d’eau que les parachutistes ont trouvée en creusant les tranchées ». Cette exécution est dessinée en imitation du Tres de mayo le tableau de Goya. Reste la question : pourquoi Pasteur à Diên Biên Phu ? Ce grand savant n’a rien à voir avec l’Indochine. Mais alors, ne serait-ce pas parce que le paquebot « Le Pasteur » est le navire que faisait le transport des troupes de Marseille à l’Indochine et retour entre 1945 et 1956 ?
Ðiện Biên Phủ, de Nishijima
Toute l’action de ce manga sorti en 2007 chez Kana se passe entièrement en 1965-1966 au sud-Viet Nam. Ce sont les aventures de guerre de Hikaru Minami, photographe américano-japonais de 17 ans. On se demande bien pourquoi cet album a été intitulé Ðiện Biên Phủ, car rien dedans ne fait référence à la période du conflit de 1946-1954.
Dans la nuit la liberté nous écoute
Intitulé suivant une phrase du Chant des partisans, ce roman graphique de Maximilien Le Roy sorti en 2011 chez Le Lombard est sous-titré D’après le récit d’Albert Clavier. C’est en effet l’autobiographie en BD d’un « rallié », comme Henri Joubert, le héros des Oubliés d’Annam. Cet ancien soldat décrit comment il rejoint le Viet Minh en 1947, écœuré, comme beaucoup d’autres, par les agissements de l’armée française dans laquelle il a commis l’erreur de s’engager. Il ne quittera le Viet Nam qu’en 1964 pour la Hongrie et, amnistié, rentrera en France en 1968. Il y meurt en 2011, à peine quelque mois avant que Maximilien Le Roy n’achève sa BD. Cet opus comporte également un dossier final avec des photos et reproductions d’affiches encadrant une interview de l’historien Alain Ruscio, spécialiste du Viet Nam contemporain.
Exécuté en bichromie noire et verte, le dessin impressionniste de Maximilien Le Roy colle bien au récit en mettant en valeur les réflexions et états d’âme du héros. Le tracé de vie de celui-ci nous permet de découvrir l’autre face de la guerre d’Indochine : celle du peuple vietnamien en lutte pour son indépendance et sa liberté.
La concubine rouge
Sorti en 2012 dans la collection Bayou chez Gallimard BD, ce petit roman graphique de Clément Baloup et Mathieu Jiro raconte l’histoire d’Olivier Bertaud, capitaine français issu de la Résistance communiste resté dans l’armée et envoyé prendre le commandement d’un petit poste isolé dans la jungle. Il est le seul Français de la garnison et finit par développer une sérieuse antipathie pour le sous-officier métis et défiguré qui est sous ses ordres. La situation se complique lorsque le capitaine prend comme congaï Maï, une jeune vietnamienne soupçonnée d’appartenir au Viet Minh. Puis le poste tombe aux mains du Viet Minh mais Olivier Bertaud est évacué en camion. Finalement, le poste est réoccupé par les Français sous les ordres d’un officier français « bien plus aguerri ».
Cette tranche de vie, superbement illustrée par un dessin sans encrage, décrit très bien les contradictions et les cruautés auxquelles est confronté le héros, qui n’arrive pas à surmonter les difficultés de sa situation, et qui s’en sort beaucoup plus mal qu’André Marchal, le jeune lieutenant d’Une épopée française.
La Grande évasion, T.4 : Diên Biên Phu
L’album de Thierry Gloris et Erwan Le Saëc, sorti en 2013 chez Delcourt, raconte le devenir d’un groupe de soldats français, allemands, maghrébins et africains entre novembre 1953 et mai 1954 dans le camp retranché de Diên Biên Phu. Ils y combattent durant ces longs mois de siège, que l’historien Alain Ruscio a qualifié de « Verdun sans la voie sacrée, un corps sans poumon, destiné à mourir ». Certains parviennent à s’échapper de la fameuse cuvette, avant la reddition définitive du 7 mai 1954.
Un récit assez trépidant, se terminant par l’opposition p.63 entre ces quelques rescapés fêtant leur évasion dans un bar d’Hanoï et l’évocation de camps de prisonniers, dont moins de 3 000 captifs sur 9 500 reviendront.
Rendez-vous avec X, t.5 : Diên Biên Phu
Cet album didactique de Dobbs et Mr Fab, sorti en 2020 chez Comix buro/Glénat est une enquête en BD sur les tenants et les aboutissants de Diên Biên Phu, ainsi que sur le déroulement des combats sur le terrain. Cet album est le cinquième tome de la série Rendez-vous avec X, d’après l’émission de France Inter. Toute la partie bataille est vécue par un personnage de fiction sensé être un officier des Forces spéciales, le « capitaine Le Merbod du 11e choc, détaché comme conseiller et observateur » (p.19), qui conclut l’album par une réflexion quelque peu prémonitoire sur l’avenir du Viêt Nam en 1954 face aux Américains (p.56).
LIRE LA 2ème PARTIE DU DOSSIER
LIRE LA 3ème PARTIE DU DOSSIER
Une Epopée française T1 Indochine. Jan Bucquoy (scénario), Erwin Sels (dessin). Sonja L’Hoest (couleurs). Glénat. 46 pages.
Victor Levallois T1 Trafic en Indochine. Laurent Rullier (scénario). Stanislas (dessin). Christine Couturier (couleurs). Les Humanoïdes Associés. 48 pages.
Victor Levallois T2 La Route de Cao Bang. Laurent Rullier (scénario). Stanislas (dessin). Dominique Thomas (couleurs). Les Humanoïdes Associés. 48 pages.
Les Oubliés d’Annam – Intégrale. Frank Giroud (scénario). Lax (dessin et couleurs). Dupuis. 96 pages. 24,95 euros.
Tramp – Intégrale tome 3 – Tome 7 à 9 – Cycle asiatique. Jean-Charles Kraehn (scénario). Patrick Jusseaume (dessin et couleurs). Dargaud. 176 pages. 29 €
La Rafale T1 Les Rails rouges. Patrick Cothias et Patrice Ordas (scénario). Wino (dessin). Bamboo. 48 pages. 14,50 euros.
La Rafale T2 Les Traverses de Song-Lap. Patrick Cothias et Patrice Ordas (scénario). Wino (dessin). Bamboo. 48 pages. 14,50 euros.
La Rafale T3 Terminus Saïgon. Patrick Cothias et Patrice Ordas (scénario). Wino (dessin). Bamboo. 48 pages. 14,50 euros.
Indochine T1 Adieu vieille Europe. Jean-Pierre Pécau (scénario). Maza (dessin). Jean-Paul Fernandez (couleurs). Manchu (couverture). Delcourt. 56 pages. 14,95 euros.
Indochine T2 Que le diable t’emporte. Jean-Pierre Pécau (scénario). Maza (dessin). Jean-Paul Fernandez (couleurs). Manchu (couverture). Delcourt. 56 pages. 14,95 euros.
Diên Bên Phu. Noël Tuot (scénario). Daniel Casanave (dessin). Les Rêveurs. 10,20 euros.
La Liberté nous écoute. Maximilien Le Roy (scénario et dessin). Le Lombard. 200 pages. 25,50 euros.
La Concubine rouge. Clément Baloup (scénario). Mathieu Jiro (dessin et couleurs). Gallimard BD. 112 pages. 16,50 euros.
La Grande évasion T4 Diên Biên Phu. Thierry Gloris (scénario). Erwan Le Saëc (dessin). Johann Corgié (couleurs). Delcourt. 64 pages. 15,50 euros.
Rendez-vous avec X – Diên Biên Phu. Dobbs (scénario). Mr Fab (dessin). Comix Buro/Glénat. 56 pages. 14,95 euros.