Le Spirou d’Emile Bravo fait de la résistance au CHRD de Lyon
Le Centre d’histoire de la résistance et de la déportation (CHRD) de Lyon avait déjà fait entrer la bande dessinée dans ses murs en 2011. Il récidive cette année avec une exposition consacrée au Spirou d’Emile Bravo, dont l’action se situe en Belgique pendant la drôle de guerre et l’occupation allemande. Cases d’Histoire vous propose un tour d’horizon de cette exposition qui dure jusqu’au 2 janvier 2022, en compagnie de Benjamin Roure, son commissaire.
Cases d’Histoire : La précédente exposition sur la bande dessinée au CHRD (« Traits résistants ») montrait la représentation de la Résistance dans le 9e art. Est-ce que cette exposition sur le Spirou d’Emile Bravo se focalise sur le même sujet des réseaux résistants ?
Benjamin Roure : C’est plus large. Au moment où on l’a conçue, le tome 3 de Spirou, plus porté sur la Résistance, n’était pas encore sorti. On m’avait demandé de réfléchir à une exposition tout public. Je voulais focaliser sur la vie quotidienne, et surtout celle des enfants, qui est le cœur des albums. Comment on joue à la guerre, comment on a faim, comment on découvre que son copain est juif ou d’une famille communiste sans savoir ce que c’est. C’était d’ailleurs l’idée d’Emile Bravo. Se projeter dans la période pour ressentir le fait d’être un ado pendant la guerre. Et il a commencé par poser des questions aux membres de sa famille qui ont connu l’occupation.
L’exposition est divisée en panneaux thématiques qui traitent de la vie quotidienne : la Belgique défaite, les pénuries alimentaires, la vie des enfants au quotidien, l’occupation au quotidien, la propagande, les lois anti-juives, le Travail Obligatoire et la Résistance. Il n’y a pas vraiment de fil chronologique, si ce n’est que l’on sent que la situation empire au cours de la guerre. Mes textes, avec ceux de la directrice du centre, sont associés à des vignettes ou des planches des albums, et confrontés à des documents d’archive issus du CHRD.
D’autres panneaux présentent le travail d’Emile Bravo avec des zooms sur les personnages ou les clins d’œil à Tintin. Auxquels s’ajoutent cinq planches originales du Spirou de Bravo. Je les ai choisies pour illustrer la naissance du héros. Ce sont à chaque fois des moments dans la BD plein d’émotion.
CdH : Quel est le degré de réalisme et de précision historique du Spirou d’Emile Bravo ?
BR : Emile Bravo est très bien renseigné. Quand il a fait la visite avec du public, il était intarissable sur le sujet. Il a une connaissance historique très fine, qui s’est constituée au fil du temps, notamment en interrogeant des témoins, ou leur famille. Il s’est également inspiré du Journal de Guerre du Belge Paul Struye qui parle de Bruxelles occupée et qui donne une vision précise du quotidien. Il est d’ailleurs à noter que le CHRD n’a pas mis au jour d’erreurs en relisant les textes.
C’est touffu, mais je crois qu’on sous-estime la capacité des enfants à assimiler autant de connaissances. Pour avoir vu des CM1 / 6e au CHRD, certains avaient tout lu et étaient très pointus sur l’histoire, d’autres avaient vaguement lu mais se précipitaient sur les livres. La densité est surtout visuelle. Comme Bravo ne raconte rien sur la géopolitique, on est sur du quotidien (est-ce que je vais pouvoir payer mon loyer ? Ah bon tu es un résistant ? Comment je vais manger ?) Ce sont des questionnements qui parlent aux enfants. Bravo dit qu’il fait ses Spirou pour les enfants à partir de 8 ans. Moi je conseille plutôt à partir de 9/10 ans.
CdH : Dans l’exposition, les dessins d’Emile Bravo sont mis en connexion avec des objets de la collection du musée. Quelles sont les associations les plus marquantes ?
BR : Les points communs entre la situation en France et en Belgique. On a des photos des queues devant les épiceries par exemple, et ce sont les mêmes à Bruxelles ou à Lyon. On a des objets qui impressionnent les enfants : le casque de SS et la mitraillette britannique que Fantasio a dans le tome 3. Toutefois, nous ne voulions pas trop de décorum nazi, tout comme Bravo évite d’en abuser dans la BD. Venant du Musée de Besançon, il y a un manteau d’adolescente allemande avec une étoile jaune. Très impressionnant. En regard avec la planche qui montre ce genre de vêtement.
Nous avons aussi des jouets de l’époque : une jeep, des avions, des manuels illustrés. Un rideau de défense passive pour faire écho à ce qu’on voit dans la BD. Un numéro du Soir avec le roi belge pour évoquer la politique. Un puzzle de l’Europe occupée dessiné par Emile Bravo (on voit une partie de cette carte dans Journal d’un ingénu).
“Spirou par Emile Bravo, une enfance sous l’occupation”.
Jusqu’au 2 janvier 2022.
CHRD, 14 avenue Berthelot – 69007 Lyon
Tarifs : 6€ / 4€ / Gratuit pour les moins de 18 ans
L’expo se prolonge à la librairie La BD à la Croix Rousse (50 grande rue de la croix-rousse 69004 Lyon) avec une dizaine d’originaux.