Les 7 Vies de l’Epervier T13 : en quête de ses enfants auprès de Louis XIII et Richelieu, Ariane de Troïl mêlée à la conspiration de Cinq-Mars (1642)
Ariane de Troïl est de retour. L’héroïne des 7 vies de l’épervier et de Plume aux vents revient dans un nouvel album de cette saga culte de la BD historique. Avec ce tome 2 de la troisième époque, sous titré …Qu’est-ce que c’est que ce monde ?, Patrick Cothias et André Juillard signent le 13ème volet des aventures mouvementées de la baronne auvergnate, qui se confronte aux intrigues et violences de la France de Louis XIII et Richelieu. Cherchant avant tout à retrouver ses deux enfants, Ariane va être mêlée avec Germain, Beau et Yvon de Troïl, à un complot contre le cardinal, ce que les historiens désignent sous le nom de « conspiration de Cinq-Mars », du nom de celui qui sera accusé d’avoir conduit cette intrigue. Duels à l’épée ou au pistolet et chevauchées de part et d’autre du royaume scandent cet épisode des aventures d’Ariane et des siens pour notre plus grand plaisir.
Les personnages historiques et fictifs de la série-culte sont tous là dans cet épisode ! Mais avant de voir comment ils vont se comporter dans le présent album, il importe de résumer à grands traits les épisodes précédents pour les lecteurs qui ne seraient pas familiarisés avec l’univers foisonnant des séries créées par le scénariste Patrick Cothias.
Ariane de Troïl, création de Patrick Cothias au scénario et André Juillard au dessin, est apparue pour la première fois en 1980 dans une suite de récits complets intitulés Masquerouge, publiés dans le fameux hebdomadaire Pif Gadget. Ariane, toujours flanquée de son valet Germain, est un justicier masqué, une sorte de Zorro féminin du XVIIème siècle avec un Bernardo qui parle. A partir de 1982 dans la revue Circus de Glénat, Cothias et Juillard publient une sorte de préquelle des aventures d’Ariane, qui porte désormais le titre définitif des 7 vies de l’épervier, avec parution en album dès 1983. Les récits complets de Masquerouge, déjà publiés dans Pif Gadget, sortent en trois albums chez Glénat en 1984. Les deux auteurs continuent l’aventure des 7 vies en 1985 dans la nouvelle revue de Glénat, Vécu, publication entièrement consacré à la BD historique avec ce sous tire L’histoire, c’est aussi l’aventure. Les publications en album (encadrés en rouge sur les tableaux ci dessous) suivent jusqu’en 1991, avec la sortie du tome 7 La Marque du Condor.
Mais cette même année, sortent également les premiers tomes de trois nouvelles séries chez Glénat. Elles sont en quelque sorte dérivées de la série principale : le scénariste est toujours Patrick Cothias, mais chaque fois avec un dessinateur différent. En 1991 sortent donc Cœur brûlé, avec Jean-Paul Déthorey, Le masque de fer avec Marc-Renier et une reprise de Masquerouge avec Marco Venanzi. Plus tard, viendront s’ajouter Ninon secrète avec David Prudhomme (1992), Le Fou du roy avec Brice Goepfert (1995), et finalement Le chevalier, la mort et le diable avec Alain Robet et Les tentations de Navarre avec Pierre Wachs (1999). Toutes ces séries « adjacentes » s’arrêtent en 2004.
Mais, depuis 1995, Cothias et Juillard publient cette fois chez Dargaud, la suite des 7 vies, dont le premier cycle prend le titre de Plume aux vents avec un premier épisode intitulé La Folle et l’assassin et qui s’arrête en 2002 avec l’album Ni Dieu ni diable. Cette série repart en 2014 en récupérant le titre Les 7 vies de l’épervier avec quatre rééditions et un nouvel album intitulé Quinze ans après (un clin d’œil à Vingt ans après d’Alexandre Dumas). Donc, après une flopée d’albums entre 1991 et 2004, la série revient à son point de départ et l’opus actuel, sorti le 21 mai 2021, en est le 13ème tome. À la dernière page de celui-ci, le volume suivant est annoncé pour 2022, toujours avec Patrick Cothias au scénario, mais avec un dessin de Milan Jovanovic !
Le tracé de vie d’Ariane de Troïl est tout à la fois tragique et complexe. Elle nait dans des conditions dramatiques le 27 septembre 1601, le même jour que le futur Louis XIII (La Blanche morte, p.4-6). Son enfance et sa jeunesse sont marquées par la violence, malgré son milieu aristocratique. Elle est fascinée par une sorte de justicier masquée, que l’on nomme « masque rouge » dans ce pays d’Auvergne. Elle va vivre en sa compagnie un certain nombre d’aventures qu’il serait trop long de détailler ici. Parallèlement, les auteurs nous font suivre la destinée de Germain Grandpin, caporal puis capitaine aux Gardes françaises, qui est un temps garde du corps d’Henri IV. Puis, comme il n’a pas pu empêcher l’assassinat du roi par Ravaillac, il doit, après être sorti de prison, fuir Paris pour l’Auvergne, où il rencontre Ariane. Celle-ci part d’Auvergne en compagnie de Germain, devenu son valet à la fin de La Part du diable. Nous les retrouvons dans le tome 7 La Marque du Condor, où Ariane est Masquerouge tout en fréquentant la cour du roi. Mais le chevalier Condor, autre nom d’Yvon de Troïl son véritable père, lui passe par erreur son épée au travers du corps et la laisse pour morte.
Ayant survécu, mais devenue moitié folle, Ariane, après avoir accouché d’une fille, échappe à ses tortionnaires et finit par s’embarquer pour la Nouvelle France (le Québec). Là, elle va être accueillie par les Iroquois et en épousera un du nom de Beau. Puis Germain et son père la retrouvent et ils quittent tous les quatre le Québec (quatre albums : La Folle et l’assassin, L’Oiseau-tonnerre, Beau-ténébreux, Ni Dieu ni diable, Quinze ans après). À la fin de ce dernier album, Ariane, Germain, Beau et Yvon de Troïl, revenus en France, retrouvent à Paris Ninon, la fille d’Ariane, dans des circonstances atroces.
Concentrons-nous maintenant sur ce tome 13 sous-titré …Qu’est-ce que c’est que ce monde ?, en regardant comment ce volume peut reprendre des éléments des autres albums des 7 vies de l’épervier ou en introduire de nouveaux.
Au début de l’album, Ariane et les siens doivent encore affronter en duel à l’épée les sbires du vicomte de Roquefeuille. Ce personnage a eu le nez coupé par Ariane en des circonstances bien particulières (La Folle et l’assassin p.5-8) et il en garde une haine tenace vis-à-vis de notre héroïne (Quinze ans après p.3-6, 40-51). Après ce duel, Ariane doit se rendre au Palais du Luxembourg, demeure de Monsieur, frère du roi, c’est-à-dire Gaston d’Orléans (1608-1660), qu’elle a déjà croisé à de multiples reprises (La Marque du Condor, p.15-17 ; La Folle et l’assassin p.5-8 ; Quinze ans après p.7,18-23). Ce prince lui apprend que le fils qu’elle a eu de Louis XIII, quand ils étaient jeunes, est toujours vivant et se trouve avec le roi dans le Midi pour aller assiéger Perpignan p.7-8.
Revenue avec les siens, Ariane part là-bas avec Beau, tandis qu’Yvon de Troïl se rend à Cologne rencontrer la vieille reine Marie de Médicis en exil et que Germain reste à Paris. Dans le salon de la mondaine Marion Delorme (1613-1650), on apprend à ce dernier l’existence du favori du roi, le marquis de Cinq-Mars (1620-1642). Il y rencontre également le futur fabuliste Jean de la Fontaine (1620-1695). Plus tard au château de St Germain, il est présenté à la reine Anne d’Autriche (1601-1666) auprès de qui il découvre l’existence d’un complot destiné à éliminer Richelieu. De son coté, à Cologne, Yvon de Troïl rencontre deux personnages : le futur Saint Vincent de Paul (1581-660), qui est déjà apparu dans La Folle et l’assassin p.3-5 et un jésuite qu’il a croisé dans Ni dieu, ni diable p.3-9, 13-16 lors de son exécution manquée.
Quant à Ariane, que Beau a quittée pour aller voir Richelieu à Carcassonne, elle est parvenue à Perpignan, au camp du roi et a une entrevue avec lui en compagnie de Cinq-Mars. C’est sous la tente de celui-ci qu’elle est hébergée. À Carcassonne, Richelieu, en compagnie de Mazarin, est conquis par Beau, qui s’est présenté comme « prince héritier d’Iroquoisie ». Puis au camp du roi, la conspiration est découverte : Cinq-Mars et son ami de Thou sont arrêtés en présence d’Ariane p.34.
Presque quarante ans après la naissance de la série, les deux auteurs des 7 Vies de l’épervier ont conservé toute la force de cet opus, avec le dessin lumineux et précis de Juillard au service des péripéties et des rebondissements inventés par Cothias. Les Trois mousquetaires et Vingt ans après d’Alexandre Dumas, dont nous trouvons les personnages d’Athos, Porthos et Aramis à deux reprises (dans La Marque du Condor p.19-21 et dans Quinze ans après p.46-48) est une influence majeure pour le scénariste.
On peut citer également la suite romanesque de Robert Merle Fortune de France, qui couvre à peu près la même tranche chronologique que Les 7 Vies de l’épervier et où la famille des Siorac de Périgord n’est pas sans rappeler celle des de Troïl d’Auvergne.
La mise en scène de Cothias et le graphisme de Juillard ont évolué, bien sûr. Les cadrages sont plus verticaux, les plans larges et les panoramiques moins nombreux, au profit des gros plans et des portraits. Les séquences sont plus courtes, parfois même de quelques cases seulement. Les monuments et autres édifices urbains ou ruraux ne forment plus que des arrières plans lointains sans trop d’amplitude, comme Narbonne (p.19), Perpignan (p.21) ou Carcassonne (p.22). Le dessin est moins fouillé, mais l’utilisation des ombres douces, en particulier pour les scènes nocturnes a gagné en maturité.
On cherchera en vain les caméos qu’on découvrait au détour de certains albums. Ainsi aux p.37 et 38 de L’arbre de mai Gunther et Pritz, les deux reîtres des Chemins de Malefosse ; ainsi Tintin et le capitaine Haddock assis face à Ariane à la p.45 de La folle et l’assassin.
Tout au plus peut-on remarquer le clin d’œil du « bouchon du pont de St Cloud » à la p.16, allusion aux célèbres embouteillages contemporains ?
Par ailleurs, si nous examinons la case 4 de la page 3, nous pouvons identifier un chapiteau sculpté qui représente trois petits singes, chacun dans une attitude différente. Ce symbole oriental est bien connu de nos jours, mais sans doute pas en France au XVIIème siècle. C’est une représentation de la sagesse, déjà utilisée par Juillard dans La Folle et l’assassin, page 39 case 4. Dans Ni dieu, ni diable p.3-9 et 13-16, le jésuite dont nous avons parlé plus haut, forme avec deux autres religieux de son ordre une sorte de tribunal chargé de juger Germain Grandpin. Juillard les dessine un peu à la manière des trois petits singes de la sagesse évoqués plus haut, chacun d’entre eux ayant une attitude différente.
Une autre constatation dans ce volume : l’évolution des personnages « diaboliques » qui ne laisse plus apercevoir que le seul Léonard-langue-agile, fantomisé et visible dans cet album seulement par Beau comme par exemple page 20.
Bref, un récit et un graphisme qui ont tendance à se rapprocher de plus en plus des standards des œuvres de cape et d’épée, en raréfiant les amusants clins d’œil ainsi que l’aspect justice sociale présent au commencement de la série. « Néanmoins », comme dirait Gaston d’Orléans à la page 9 de La Folle et l’assassin, il n’en reste pas moins vrai que ce treizième album des maîtres Cothias et Juillard ne démérite pas, bien au contraire, et que c’est un plaisir toujours renouvelé d’en faire la lecture.
Les 7 Vies de l’Epervier T13 …Qu’est-ce que ce monde ?. Patrick Cothias (scénario). André Juillard (dessin). Dargaud. 56 pages. 14,50 euros.
Les 5 premières planches :