Mathurin soldat, un peintre dans la Grande Guerre
Le peintre Mathurin Méheut (1882-1958) a, comme beaucoup d’autres artistes, servi la France pendant la Grande Guerre. Avec Mathurin soldat, Maadiar suit le quotidien de ce poilu dans les tranchées de l’Argonne. Passionnant et très instructif.
Cet article a précédemment été publié sur le site du
Le Breton Mathurin Méheut avait plus d’une corde à son arc. Peintre officiel de la marine, dessinateur, sculpteur et céramiste, il participe à la décoration intérieur de nombreux navires (dont le paquebot Normandie) et réalise maintes illustrations. Comme bien d’autres artistes avec lui, il est pris dans la tempête de la Première Guerre mondiale. Ce sont ces années dramatiques dans la vie de Mathurin Méheut que Maadiar choisit de décrire. Des années d’autant plus intéressantes que le natif de Lamballe, incorporé dans le 136e régiment d’infanterie, les agrémentent de dessins et croquis exécutés sur le vif, au contact des autres poilus. Un témoignage à la fois d’un grand intérêt documentaire et très émouvant, que Mathurin soldat intègre dans sa narration. L’album commence en 1914, lorsque Méheut apprend que la France entre en guerre. Lauréat de la « Bourse autour du monde » accordée par la fondation Albert-Kahn, il dessine au Japon. Il pourrait faire le sourd ou se cacher en Chine. A 32 ans, il préfère répondre à l’appel de sa patrie et, comme l’ensemble de sa génération, faire son devoir. S’il avait su dans quel bourbier on allait l’envoyer, peut-être aurait-il réfléchi à deux fois avant de prendre sa décision ? Toujours est-il qu’en octobre 1914, il est versé en tant qu’homme de troupe au 136e RI. L’enfer ne va pas tarder à entrer dans sa vie.
Sous des dehors naïfs, dus au trait de Maadiar, Mathurin soldat possède une belle profondeur. Certes, les perspectives ne sont pas toujours exactes et les anatomies très caricaturales, mais le dessin faussement enfantin de cet album est l’arbre qui cache la forêt. On pourrait penser en effet que l’horreur de la guerre a peu de chance d’être représentée avec un tel graphisme. En réalité, c’est tout le contraire. Le contraste entre la « juvénilité » du dessin et le drame qu’il décrit créé justement l’émotion. L’expressivité des visages et des corps participe à cette sensation de gravité. Que le lecteur ne s’y trompe pas, le découpage de Mathurin soldat est tout autant réfléchi. Le gaufrier quasi immuable en neuf cases qu’utilise Maadiar ne l’empêche pas de varier la construction de ses planches. De même, l’œil averti remarquera derrière le trait simple une documentation très fournie. Ici et là, les détails de vêtements, d’armement ou d’ouvrages militaires montrent la grande érudition de l’auteur sur la période. Les dialogues sont au diapason, parsemés de tournures de phrases et de termes argotiques propres à replacer dans l’époque. La lecture intensive par Maadiar des documents écrits par Méheut, ou d’autres lettres et carnets de poilus, a nourri ce réalisme. Le jeu des mots et la portée philosophique des réflexions de soldats a souvent le charme des brèves de comptoir, où soumission, devoir, déshumanisation et rébellion se mélangent. Suivre le destin de Mathurin Méheut au fil de la Grande Guerre est ainsi un vrai plaisir de lecture, malgré le caractère tragique des événements décrits. Ce qui ressort, c’est l’état d’esprit des poilus, éreintés par une guerre qui restera à jamais dans leur tête.
Mathurin soldat, Un crayon dans le canon. Maadiar (scénario, dessin et couleurs). Editions du Pelimantin. 108 pages. 21€
Les 5 premières planches :