Mitsubishi Zero, grandeur et décadence d’un avion surdoué de la chasse embarquée japonaise
Dans la chronologie d’un conflit, les dates les plus importantes ne sont pas toujours celles des grandes batailles. Des évènements moins spectaculaires peuvent aussi avoir des répercussions décisives sur le cours d’une guerre. C’est le cas de la découverte fortuite par la marine américaine, le 9 juillet 1942 sur l’île d’Akutan dans l’archipel des Aléoutiennes (Alaska), de l’épave intacte d’un chasseur japonais A6M, le redoutable Mitsubishi « Zéro ». L’étude de cette prise de guerre permit aux Américains de comprendre les raisons de la suprématie de cet appareil nippon et de mettre au point des avions capables de le surclasser, tandis que les Japonais n’avaient plus la capacité de produire des successeurs valables au Zéro. Mitsubishi Zéro, de Pécau et Gibelin, deuxième album de la collection Ailes de légende, permet de suivre, en arrière fond de la Guerre du Pacifique, les recherches américaines pour l’emporter sur cet avion exceptionnel, œuvre du génial ingénieur aéronautique japonais Jiro Horikoshi (1903-1982).
Le récit commence donc par une courte séquence où, le 9 juillet 1942, au cours d’une mission de reconnaissance, l’équipage d’un hydravion américain PBY Catalina repère et identifie un Zéro immobilisé dans un marais de l’île d’Akutan, comprenant aussitôt la portée de leur trouvaille.
L’album suit alors les progrès de l’étude des capacités de l’appareil nippon par l’armée américaine. En septembre 1942, le major Eddie Sanders, pilote d’essai de la Navy, est ainsi dépêché à San Diego pour tester les qualités en vol du Zéro capturé. Ce fil rouge est entrecoupé de nombreux flashbacks qui entrainent les lecteurs en 1938 au Japon chez Mitsubishi industrie et en 1940 en Chine où des Zéros japonais anéantissent des chasseurs de fabrication soviétique appartenant à l’aviation du général Tchang Kaï Chek. Puis le récit se déplace en 1943 dans le ciel autour de l’île de Guadalcanal, et en 1944 autour de l’île de Guam.
Le lecteur se rend vite compte qu’il n’est pas toujours aisé de rétablir une chronologie claire, tant les flashbacks sont nombreux dans cet opus : par exemple il n’est pas toujours décelable que la narration en début d’album de la découverte de l’épave du Zéro dans les Aléoutiennes se situe le 9 juillet 1942, alors que la bataille de Midway qui s’était déroulée le mois précédent (4-7 juin 1942), n’est évoquée qu’aux pages 48-53. Il est donc nécessaire de rétablir mentalement la succession des événements.
Cet inconvénient signalé, il convient de souligner l’ampleur de la documentation nécessaire à une telle entreprise. Exposer les raisons techniques de la supériorité aéronautique du Zéro n’est pas chose facile et c’est toute la maîtrise du scénariste comme du dessinateur que de les mettre à la portée du lecteur. Ce qui est également à souligner, ce sont les raisons idéologiques qui pèsent sur l’appréciation de certaine supériorité : par exemple le fait que les dirigeants américains aient gravement sous-estimé les possibilités militaires et technologiques japonaises. Comme il est dit page 24, « Cette sous-estimation nous a coûté une partie de notre flotte à Pearl Harbor ». Mais, malgré les exploits initiaux du pot de terre, le pot de fer finit toujours par l’emporter. L’industrie de guerre américaine était trop puissante pour être surclassée par le Japon. C’est particulièrement visible dans la seconde partie de cet opus, où les nouveaux chasseurs américains, le Chance Vought F4U Corsair (l’avion des Têtes brûlées) et le Grumman F6F Hellcat, sont conçus pour l’emporter sur le chasseur japonais, comme il est dit page 69.
Il semble également nécessaire d’éclairer un peu plus un personnage qui pages 27–29 représente la marine japonaise à la commission d’avril 1938 qui décide de la construction du Zéro. Il s’agit de Minoru Genda (1904–1989), alors capitaine de frégate, qui mettra au point en 1941 les modalités de l’attaque sur Pearl Harbor. Il apparaît dans Tora ! Tora ! Tora ! le film de Richard Fleischer, Kinji Fukasaku et Toshio Masuda, sorti en 1970 et qui raconte la préparation et le déroulement de cette attaque (photo centrale ci-dessous). Après la guerre, Genda devint de 1959 à 1962 le chef de la Force aérienne d’autodéfense japonaise (la nouvelle armée de l’air nipponne).
Cet opus très fouillé au niveau de la documentation aéronautique nous aide à comprendre pourquoi le A6M « Zero » fut l’instrument privilégié de la politique belliqueuse d’extension impérialiste du Japon au XXe siècle, culminant avec l’attaque sur Pearl Harbor du 7 décembre 1941 et l’occupation des possessions occidentales en Asie Pacifique. Par ses prouesses techniques, ce chasseur embarqué assura un temps la suprématie des forces nipponnes.
Mitsubishi Zero. Jean-Pierre Pécau (scénario). Christophe Gibelin (dessin). Delcourt. 80 pages. 19,99 euros.