Monument amour, l’anti monuments aux morts de la Première Guerre mondiale
Avec le diptyque Monument Amour, Didier Quella-Guyot et Arnaud Floc’h amalgament dans un même récit deux aspects très éloignés de la Première Guerre mondiale, les monuments aux morts et les chiens de guerre. Le point commun de ces deux composantes du conflit est Camille Le Moall, sculpteur rendu inconsolable par la perte de sa femme.
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On avait déjà vu avec Au revoir là-haut (chroniqué ici) l’importance des monuments aux morts érigés dans toutes les communes de France après la Première Guerre mondiale. Dans le roman de Pierre Lemaître, adapté en bande dessinée par Christian De Metter, les cénotaphes en hommage aux poilus tombés au front font l’objet d’une gigantesque escroquerie. Dans Monument Amour, ils sont la chance que Camille Le Moall, sculpteur de son état, ne veut pas saisir. Mobilisé au début de la guerre, l’artiste nantais avait accueilli la conscription comme une délivrance. Bouleversé par le décès récent de sa femme, de son modèle, de sa muse, il s’était lancé à cœur perdu dans les combats. Une fois le conflit terminé, le retour à la vie civile, sain et sauf, est une nouvelle épreuve. Toujours aussi désabusé, Camille fait tout de même l’effort de visiter les marbreries pour reprendre une activité. Et le travail ne manque pas pour un sculpteur. Chaque commune veut en effet son monument pour saluer la mémoire de ses résidants masculins morts à la guerre. Mais les projets que propose Camille – des femmes alanguies accompagnées d’un chien – ne correspondent pas à ce qu’attend le public. Plutôt que de se plier aux injonctions, le sculpteur retourne dans sa bulle pour tenter de retrouver une inspiration qui le fuit depuis le décès de son épouse. Préférant le monument amour au monument aux morts, et plus prosaïquement « célébrer la vie, pas les macchabées », il n’hésitera pas à choquer la bienséance des habitants de sa commune en plaçant une de ses œuvres face à l’ouvrage commémoratif officiel.
Parallèlement à l’intrigue principale de ce diptyque, un autre thème en lien avec la Première Guerre mondiale est développé. Déjà évoqué indirectement plus haut, l’affection de Camille pour les chiens joue un rôle important dans le récit. Si le sculpteur est encore en vie après la guerre, c’est grâce à un chien errant qui a signalé sa présence sous des gravas, après un tir d’artillerie allemande. Juste retour d’ascenseur, l’artiste réussit à garder le cabot ange gardien auprès de lui. Pendant son rétablissement au casino mauresque d’Arcachon transformé en centre de convalescence militaire, Camille attire l’attention d’un officier, qui remarque son talent pour sculpter les femmes et dresser les canidés. En échange d’une œuvre pour son jardin, le lieutenant parvient à transférer l’artiste à Satory, le chenil central pour former les chiens militaires, pouvant accueillir 200 bêtes. Depuis décembre 1915 en effet, un service des chiens de guerre a été créé au sein de l’infanterie par Alexandre Millerand, le ministre de la Guerre de l’époque. Les animaux sont utilisés comme sentinelles, pour transmettre des messages, tirer des petits chariots (ou des traîneaux dans la neige) et trouver les blessés sur le champ de bataille. Ils sont jusqu’à 12 000 dans les troupes françaises. Après guerre, comme montré dans l’album, les chiens sont démobilisés, rendus à leurs propriétaires ou donnés à des société de protection animale, parfois abattus. Camille choisit de rentrer chez lui avec les grands blessés. Une autre façon pour lui de reprendre goût à la vie. Si l’on ajoute à tout cela la présence – très musclée – des camelots du roi, service d’ordre de L’Action française (mouvement politique d’extrême droite, nationaliste et royaliste), on aura avec Monument amour une photographie sociologique – certes fragmentaire – de la France de l’immédiat après-guerre.
Monument Amour T1. Didier Quella-Guyot (scénario). Arnaud Floc’h (dessin). Sébastien Bouët (couleurs). Grand Angle. 48 pages. 14,50 €
Monument Amour T2. Didier Quella-Guyot (scénario). Arnaud Floc’h (dessin). Sébastien Bouët (couleurs). Grand Angle. 48 pages. 14,50 €
Les 5 premières planches :