Petra chérie, adorable espionne pendant la Grande Guerre
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Avec l’élégance qui le caractérisait, dans l’écriture comme dans le dessin, Attilio Micheluzzi (1930-1990) a toujours pris les chemins de traverse pour nouer les intrigues de ses albums. Sur la période de la Première Guerre mondiale, il a préféré zigzaguer, en choisissant pour Tanganyika un fait de guerre inconnu du grand public et pour Petra chérie, une héroïne (une rareté pour ce genre de récit dans les années 80) dont les aventures la conduiront aux quatre coins de l’Europe et du Proche-Orient. D’origine franco-polonaise, Petra de Karlowitz est une femme moderne, en avance sur la plupart de ses contemporaines, profitant de la fortune de son père pour vivre comme bon lui semble. C’est l’une des rares pilotes féminines à cette époque, et elle use de son Sopwith Camel comme d’autres d’un cabriolet (le père de Micheluzzi ayant été officier aviateur, les avions tiennent une place importante dans l’œuvre de l’Italien). Présentée à juste titre par l’éditeur comme la petite sœur de Mata Hari et de Louise Brooks, Petra a le goût du risque, un talent sûr pour l’espionnage, l’indépendance chevillée au corps et le tort de se laisser souvent guider par ses sentiments. Ajoutez à cela de réelles compétences pour le combat, et vous aurez le portrait d’une femme redoutable pour ses ennemis.
Mais quels sont-ils justement ? Basée aux Pays-Bas, Petra se bat plutôt contre les forces de la Triplice. Mais ses motivations ne sont pas portées par un patriotisme exacerbé. La jeune femme est un électron libre qui réagit le plus souvent dans l’instant et parfois selon les inclinaisons de son cœur. Elle peut ainsi s’éprendre de T.E. Lawrence comme de Manfred Von Richthofen. Représentante d’une aristocratie qui vit ses derniers feux dans bon nombre de pays européens, elle évolue dans des sphères où les pires actions se font en gants blancs. Les seules fois où elle verra les tranchées, ce sera à bord de son biplan sans cocardes. Les situations auxquelles elle est confrontée n’en sont pas moins violentes. Petra fait feu de tout bois en alternant renseignement, sabotage, combat aérien, sauvetage, embuscade, désinformation, le tout au péril de sa vie bien évidemment. Les Flandres, Paris, un château en Bavière, Zurich, Venise, Trieste, les Balkans, Istanbul, Alep, Jaffa, la Russie qui se soulève, les destinations défilent avec toujours le même souci du détail de la part de Micheluzzi, qu’il s’agisse d’un bâtiment, d’un véhicule ou d’un uniforme. L’arrière-plan géopolitique est tout aussi finement décrit. Les enjeux souterrains des différents belligérants sont parfaitement cernés et alimentent la narration. Les épisodes se succèdent à un rythme trépidant, laissant en mémoire une galerie de personnages hauts en couleurs, dont les lignes de démarcation ne sont pas franches. Chaque camp possède ses philanthropes et ses salauds, renforçant un peu plus le réalisme d’un panier de crabes dans lequel s’ébat et se débat la belle Petra. Et c’est un peu l’envers du décor qui apparaît de cette manière au lecteur.
Petra chérie. Attilio Micheluzzi (scénario & dessin). Mosquito. 336 pages. 35€
Les 5 premières pages :