Saboteuses dans la zone occupée, la mission des femmes du SOE pendant la Seconde Guerre mondiale
« Aiguille », c’est le nom de guerre que s’est donnée Paulette Kincaid. En 1942, l’existence morose de cette jeune franco-britannique est bouleversée par un extraordinaire concours de circonstances l’amenant à intégrer les services secrets britanniques. A travers la mission de sabotage d’Aiguille en France occupée, c’est le Special Operations Executive, et plus particulièrement la place des femmes dans ce service, qui est abordé par Jean-Claude Van Rijckeghen et Thomas du Caju dans Saboteuses. Une facette méconnue des actions militaires en France pendant l’occupation.
Après une première planche montrant l’héroïne effondrée et au bord du suicide, le reste de Saboteuses est un flash-back racontant comment Paulette en est arrivée là. Nous la découvrons « petite main » dans la boutique de lingerie féminine de sa tante à Londres en 1942. Son destin bascule quand une cliente perd les eaux devant la boutique. Paulette s’empare alors d’une jeep militaire pour amener cette femme à l’hôpital. L’officier qui récupère ensuite le véhicule, est conquis par l’audace de la jeune fille. Tenant compte du fait que celle-ci est parfaitement bilingue, plutôt que de sévir, il intègre Paulette dans le SOE (Special Operations Executive, « Direction des opérations spéciales »). Ce service secret britannique, destiné à faire du renseignement et du sabotage dans tous les pays occupés (même en Extrême Orient) et d’y soutenir les mouvements de résistance, a été créé par Churchill en juillet 1940. Un des faits d’armes les plus connus du SOE est la destruction de l’usine de production d’eau lourde en Norvège, destinée à fournir la bombe atomique au IIIe Reich. C’est ce que raconte le film d’Anthony Mann, Les héros de Télémark.
Pour faire partie du SOE, on attendait des agents (environ 13 000 au cours de la guerre) d’avoir principalement deux qualités : pouvoir se fondre dans la population sans être repéré et avoir des nerfs d’acier. Leur affectation dans le SOE n’était définitive qu’après un long passage dans des centres d’entraînement. Ce sont les déboires de Paulette lors de cet entraînement qui sont racontées dans une longue séquence de dix pages.
Parachutée en Normandie avec deux autres anglaises, « Aiguille » (puisque c’est maintenant le nom de clandestinité de Paulette) rencontre dès l’atterrissage un jeune garçon boucher, René. Celui-ci et sa famille aident les Anglaises à mettre en place leur action de sabotage et une idylle s’ébauche entre les deux jeunes gens.
Une petite invraisemblance à la page 31, Mouche, qui dirige la mission, ordonne à Aiguille d’aller faire leur première transmission radio dans de drôles de conditions : seule, en plein jour, dans les bois et sous la pluie ! En réalité, les agents chargés des vacations radio opéraient de nuit, toujours protégés par des guetteurs et certainement pas dans un endroit où l’appareil radio risquait d’être mouillé et donc définitivement endommagé.
Il n’est pas impossible que les auteurs aient puisé leur inspiration dans le roman de Joël Dicker, Les Derniers jours de nos pères, Editions de Fallois, 2015, où Paul-Emile, le héros de cette fiction, est un jeune français engagé dans le SOE. Plus documentaire est l’ouvrage historique de Geneviève Moulard, Les Femmes de la Royal Air Force, 1918-1945, Engagées vers la victoire, Marines éditions, 2012, qui comporte un important chapitre consacré aux combattantes du SOE, ces femmes dont beaucoup ont payé de leur vie leur engagement dans ce combat clandestin.
On ne peut qu’être séduit par le rythme soutenu de cette histoire de Jean-Claude Van Rijckeghen dont l’héroïne énergique est en quelque sorte atypique par rapport aux standards de cette époque, à tel point qu’on se demande s’il n’y aurait pas là un petit parfum d’anachronisme. Cet intérêt est renforcé par l’élégant et expressif dessein de Thomas du Caju. Dans ce diptyque, les deux auteurs reprennent leur féconde collaboration de la série Betty Dodge.
Ils nous donnent à voir là une brillante illustration de cet aspect méconnu de la Seconde Guerre mondiale. Il faut dire aussi que dans l’historiographie française depuis 1945 sur la Résistance, l’étude du combat en France des hommes et des femmes du SOE passe après celle des composantes purement françaises : gaullistes, communistes et autres.
Les Saboteuses T1 Aiguille. Jean-Claude Van Rijckeghem (scénario). Thomas du Caju (dessin et couleurs). Paquet. 56 pages. 14,50 euros.
Les cinq premières planches :