Saint-Barthélemy T1, Sauveterre : quand la vendetta vire au crime d’État
Selon les Évangiles, Barthélemy fut l’un des douze apôtres du Christ. Qui aurait pu imaginer qu’en l’an de grâce 1572, son nom serait associé à l’un des pires massacres commis en France au nom de Dieu et de la religion ? Dans Saint-Barthélemy, publié aux éditions des Arènes, Pierre Boisserie, Éric Stalner et Florence Fantini nous racontent ce pic de haine fratricide entre papistes et huguenots. Ce premier tome, intitulé Sauveterre, rappelle les prémices de l’hécatombe ayant mené l’un des plus puissants royaumes d’Europe au bord de l’abîme.
Quand Élie et son père, le baron d’Estac, montent à Paris pour assister aux noces d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois, le royaume de France est secoué depuis dix années déjà par les guerres de religion. Le massacre perpétré à Wassy* le 1er mars 1562 par le duc de Guise a provoqué une succession de batailles rangées et d’assassinats ciblés, enfonçant davantage à chaque fois le pays dans le chaos. Ce n’est pourtant pas a priori la haine des Guisards qui a poussé le jeune Élie à rejoindre l’armée protestante du prince de Condé. En effet, s’enrôler est le seul moyen qu’il a trouvé pour partir à la recherche de son frère Clément et de sa sœur jumelle Loïse, tous deux enlevés par une escouade papiste dans le château familial au printemps 1562. Les années passent et sa quête infructueuse se mue peu à peu en une suite de combats sanglants, rythmés par des prières comme des absolutions. Condé tué à Jarnac en mars 1569, c’est l’amiral Gaspard de Coligny qui prend la tête du parti huguenot. Sa victoire inattendue d’Arnay-le-Duc (juin 1570) et sa stature d’homme d’État le hissent jusqu’à la cour et lui permettent d’avoir l’oreille du roi Charles IX, sans trop indisposer sa mère Catherine de Médicis.
En août 1572, La France et Paris s’apprêtent à célébrer des noces royales, pensées en haut lieu comme une entreprise de réconciliation entre confessions ennemies. L’action principale de ce premier tome repose donc sur la semaine de réjouissances qui débute le 16 août. Le 18, le jeune prince protestant Henri de Navarre épouse la « Reine Margot », Marguerite de Valois, jeune sœur de Charles IX. Princes catholiques et protestants ripaillent en grande connivence. Mais le 22 août, Coligny est victime d’une tentative d’assassinat commanditée par le duc de Guise. La spirale de la haine peut alors s’enclencher…
Dès lors, Élie devient le témoin impuissant de la poussée de fièvre papiste et de la fuite en avant vers le premier acte du carnage, opéré dans et aux abords du palais du Louvre. Son rôle d’homme de confiance lui permet d’accomplir plusieurs missions pour le compte d’Henri de Navarre. Les auteurs mettent à profit ces discussions diverses pour estimer la part de responsabilité des protagonistes de la Saint-Barthélemy. Charles IX, influençable et bientôt dépassé, ordonne le massacre dans un accès de paranoïa. Sa mère Catherine de Médicis, montrée plus opportuniste qu’instigatrice, y voit l’occasion d’affermir l’État tout en rejetant la responsabilité du bain de sang sur le duc de Guise, ce qui disculpe le roi aux yeux de son peuple. Le duc d’Anjou, relayant la rumeur d’un complot huguenot pour assiéger Paris, alourdit une atmosphère déjà pesante. Le duc François de Guise, catholique fanatique assoiffé de vengeance, a projeté le meurtre de Coligny – est-il possible d’imaginer pire provocation ? – et jouit du spectacle de sa défenestration en l’hôtel de Béthisy. Marguerite de Valois sauve courageusement la vie de son jeune époux qui, du haut de ses dix-neuf ans, n’a pas encore la trempe nécessaire pour agir en chef de parti.
Originaire du Sud-Ouest, Pierre Boisserie a sans doute été sensible aux ravages que ces guerres de religion ont engendrés sur ses terres de cœur par le passé. Mais en évoquant les fanatismes d’hier, les auteurs ne cachent pas leur inquiétude sur le monde actuel. Tuer au nom de Dieu dans n’importe quelle langue semble encore de nos jours une voie respectable pour faire triompher des idées ou des intérêts plus matérialistes. Les deux auteurs font ici œuvre de mémoire utile. Par son dessin plein de maîtrise, Éric Stalner, vieux complice de Pierre Boisserie et coscénariste de la série, n’épargne au lecteur aucune des atrocités commises dans les deux camps. Les dernières paroles du Christ en croix placées dans la bouche du jeune Jacob laissent toutefois paraître de quel côté penche le cœur des auteurs. Mais il est vrai que la tournure des événements lors de cette Saint-Barthélemy met nettement l’un des deux camps en position de victime.
Le temps d’un Henri IV caracolant à la tête de ses troupes, auréolé de son panache blanc, consentant bientôt à la messe pour entrer dans Paris est encore loin. Pour l’heure, l’intrigue cède un peu le pas au contexte historique exceptionnel. À l’aube du deuxième tome de cette saga, le jeune Élie d’Estac pense plus à sauver ceux qui se terrent dans le palais du Louvre qu’à comprendre ce que font son frère et sa sœur à la cour. Comme tous les Parisiens, Élie entend le tocsin annonçant la curée. Guisards, papistes, ou simples catholiques s’apprêtent à écrire une des pages les plus sombres de l’histoire de la monarchie française, convaincus en cela d’agir en vrais croyants.
* Ce 1er mars 1562, le duc François de Guise et sa troupe cheminent vers Paris en provenance de leurs terres de Lorraine. À Wassy (ou Vassy), en Champagne, ils prennent le prétexte d’une trop grande proximité entre l’église du bourg et le lieu de l’office protestant pour massacrer les soixante-quatorze hommes, femmes et enfants qui y assistaient. A-t-il agi conformément à l’édit de janvier 1562 qui autorisait le culte réformé seulement en dehors des villes ? Ne s’est-il pas plutôt vengé de son éloignement de la cour par Catherine de Médicis et Michel de l’Hospital, enclins à cette époque à la tolérance ?
Saint-Barthélemy T1, Sauveterre. Pierre Boisserie (scénario). Eric Stalner (dessin). Florence Fantini (couleurs). Les Arènes. 64 pages. 15€
Les 5 premières planches :