Une Génération française t.1 : une vision manichéenne de la France sous l’Occupation
Après avoir commis Malgré nous, le scénariste Thierry Gloris, connu pour ses bandes dessinées à caractère historique, lance une nouvelle série consacrée à la France sous l’Occupation. Le moins que l’on puisse dire est que ce premier tome ne nous a pas convaincus.
Paris, 6 février 1934. Martin Favre assiste à la poussée des ligues et à la manifestation antiparlementaire qui dégénère et fait plusieurs morts à quelques centaines de mètres à peine de l’Assemblée nationale. Quatre ans plus tard, le voilà étudiant à la Sorbonne. Pour payer sa chambre de bonne, il donne des cours particuliers dans les beaux quartiers de la capitale. Et comme la bourgeoise s’ennuie ferme dans sa tour d’ivoire, il s’autorise quelques dérapages lubriques. Durant ces années de répit, le jeune homme assiste à l’irrésistible montée en puissance de l’Allemagne nazie. Jusqu’à ce jour de septembre 1939 où la France entre en guerre.
Si la Seconde guerre mondiale et l’Occupation continuent à intéresser le public, cette nouvelle série en bande dessinée (six tomes répartis en trois diptyques) ne va en revanche pas apporter de nouvelle pierre à l’édifice. L’idée de suivre le cheminement de plusieurs personnages tout au long de l’Occupation a, en effet, été récemment portée à la télévision, à travers la saga Un Village français. On notera d’ailleurs la similitude gênante entre les deux titres, qui ne laisse malheureusement que peu de doutes quant aux motivations de l’éditeur de la BD. Précisons aussi que Soleil est, en plus, à l’origine de l’adaptation en bande dessinée d’Un Village français (par Jean-Charles Gaudin et Vladimir Aleksić). Ayant été contraint de n’en proposer que le prologue – les producteurs de la série télévisée ne voulaient pas d’une adaptation au sens stricte du terme –, l’éditeur se rattrape aujourd’hui en remaniant le concept et en le transposant dans un décor urbain (là où Un Village français se déroule en milieu rural).
Plus encore que son manque d’originalité, c’est le concept de cette nouvelle série qui se révèle décevant. Tout dans ses personnages comme dans sa trame invite au manichéisme et à la caricature. Les trois protagonistes incarnent trois attitudes face à l’Occupation : l’engagement auprès du général de Gaulle, la Résistance, et la collaboration. Les auteurs occultent donc délibérément le comportement de l’immense majorité de la population française, à savoir filer droit en attendant que l’orage passe. Bien sûr, la passivité est plus difficile à mettre en scène. Elle invite moins à la dramaturgie. Mais, quand on a la prétention de dresser le portrait d’une génération française sous l’Occupation, laisser de côté la majeure partie de celle-ci pour des raisons scénaristiques est plus que contestable. Comme dans Malgré-nous, où l’on avait affaire au bon Alsacien francophile opposé au méchant Alsacien germanophile (et donc forcément nazi, cela va de soi), ce premier tome d’Une Génération française met face à face des personnages aux comportements grotesques, dont les propos sonnent parfaitement faux. On a cette fois le père fervent communiste – dont la sagesse ne saurait être dépassée que par celle de Gandhi –, le camarade de régiment juif – qui devient un bouc émissaire naturel et évident –, ou encore l’officier modèle – « hautain, cassant, suffisant ; la crème de l’armée française ». L’ensemble est entrecoupé de longue séquences convenues, qui ressassent encore et encore les même poncifs vus cent fois sur la débâcle de l’armée française. Sans oublier ce zeste d’érotisme désormais devenu la norme, sans que l’on sache pour autant en quoi des corps dénudés apportent quoi que ce soit à l’intrigue.
Pire que tout, le récit est truffé d’erreurs factuelles. Nous ne souhaitons pas en établir une liste complète – la démarche serait trop fastidieuse –, mais nous allons relever quelques exemples. Il n’a ainsi pas neigé le 6 février 1934, contrairement à ce qu’indique la séquence d’ouverture de ce premier tome. Quand au titre du journal Gringoire – “Léon Blum est un homme… à fusiller dans le dos !” –, il ne date pas du 6 février 1934, mais il est tiré d’un article de Charles Maurras paru en avril 1935 dans L’Action française. Les armes et les équipements des soldats manquent eux aussi de précision. Le fusil de Martin Favre ressemble ainsi plus à un Karabiner 98k qu’à un Berthier, sans parler des Lebel et MAS 36 de formes totalement différentes. Autre exemple : la version du canon de 75 mm modèle 1897 qui est systématiquement représentée comporte les modifications apportées en 1938 et 1940 (notamment des pneumatiques et des jantes), même si des modèles plus anciens étaient toujours largement utilisés. Mais le principale problème provient des véhicules, en particulier les chars et les avions qui sont complètement difformes. Les Panzer I, II, et III sont à peine reconnaissables, tandis que ce qui ressemble à un StuG III équipé d’un canon long est parfaitement anachronique (p.47). Les Junkers Ju-87 Stuka, grossièrement dessinés, larguent quant à eux leurs bombes en vol horizontal !
Autre point noir : le dessin. Si Eduardo Ocaña n’a pas un trait d’une élégance bluffante, il avait livré une copie satisfaisante dans Les Carnets de Darwin ou encore dans Histoires de France. Les premières pages d’Une Génération française sont dans cette même veine, avec un résultat tout à fait correct. Mais l’attention se relâche très vite, peut-être après la signature du contrat avec l’éditeur. Au fur et à mesure, le dessin perd en qualité. On ne peut s’empêcher de penser qu’Eduardo Ocaña a manqué de temps pour boucler son album dans de bonnes conditions. C’est ce qui explique sans doute également les trop nombreuses erreurs de documentation pour une bande dessinée qui revendique son caractère historique, et qui se devrait donc d’être pratiquement irréprochable à ce niveau-là.
Une Génération française t.1 – Nous vaincrons !. Thierry Gloris (scénario) & Eduardo Ocaña. Soleil. 48 pages. 14,50 €
Les 5 premières planches :