Waterlose, ou Napoléon Ier côté perdants.
Après l’hilarant Salade César où ils tournaient Jules César en ridicule, Karibou et Josselin Duparcmeur reviennent en s’attaquant à un autre grand homme de l’histoire : Napoléon Bonaparte. Après sa cuisante défaite à Waterloo et l’échec des Cent Jours, Napoléon est définitivement exilé à Sainte-Hélène, une île où, tout aussi définitivement, il n’y a rien à faire. Sous le regard vigilant – mais un tantinet lassé – des soldats anglais commandés par l’amiral Hudson Lowe, il enchaîne toutes sortes d’activités absurdes dans le seul but de se distraire. La principale d’entre elle étant d’écrire ses mémoires, qu’il dicte au fidèle Emmanuel de Las Cases, lequel est bien déterminé à démêler le vrai du faux dans ce que lui raconte Napoléon… Des gags en série où l’on croise, donc, un empereur déchu, des dragons, des bicornes et des boules de pétanque.
Les auteurs se complètent parfaitement : le comique tient autant au parti-pris du scénario qu’au style. Le scénario, d’abord : en jouant sur le décalage comique entre l’histoire quasi mythique de l’empereur conquérant et la bêtise très « premier degré » de leur personnage, les auteurs tournent en dérision ce héros de l’histoire de France, et avec lui tout le sacro-saint « roman national ». Le style, ensuite, où le comique tient au contraste entre la fixité du dessin, avec des postures reprises d’une case à l’autre, et la vivacité des dialogues. La bichromie rose de Duparcmeur sert au mieux cette économie graphique qui concentre l’attention du lecteur sur les échanges absurdes entre les personnages.
Le gag se loge aussi dans les mots et le langage utilisés. Lui qui importe tant dans une bande dessinée historique (faut-il opter pour le langage moderne ou au contraire « faire époque » ?), il est ici très contemporain. On oscille perpétuellement entre jargon psychologisant (Napoléon fait une « gestion d’hubris due au choc de sa destitution »), langage familier et réactions dignes de la cour de récré (lors de son couronnement, Napoléon se met à chouiner « MAMAAAN ! Il veut pas prêter ! » parce que le pape ne veut pas lui donner sa couronne). Hilares, on n’en finit pas de se demander, avec les soldats anglais, comment Napoléon a bien pu réussir à conquérir l’Europe…
On a particulièrement aimé les moments où les auteurs s’amusent avec la relation entre l’empereur déchu et son geôlier, le général Hudson Lowe. Les auteurs tordent d’une manière très réjouissante la réputation d’homme à femmes de Napoléon en faisant de lui le soupirant assidu (à tendance lubrique) de Lowe, dans un éclatant exemple du syndrome de Stockholm. Alors même que l’Anglais et le Français sont censés se détester, Lowe n’est pas insensible au à la drague lourde de Napoléon, ce qui donne lieu à des dialogues savoureux.
Enfin, on apprécie également la manière dont les auteurs réfléchissent à leurs propres procédés humoristiques. Ils ajoutent un troisième degré d’humour avec une planche qui explique la défaite des armées russes et autrichiennes à la bataille d’Austerlitz par la distraction de leur général, trop occupé à observer Napoléon raconter une blague à ses soldats. Il apprécie même tellement le « décalage comique » (on le cite) qui produit le gag, qu’il ne voit pas ses troupes se faire massacrer par les Français.
Finalement, cette satire se savoure comme un bonbon : il n’y a pas tant de bandes dessinées comiques qui s’attaquent intelligemment à des personnages ou à des périodes canoniques de l’histoire de France. D’autant que l’humour est là non pas pour faciliter l’apprentissage, comme dans une bande dessinée pédagogique, mais pour le plaisir de faire tomber Napoléon de son piédestal. Et cela, surtout après les célébrations du Bicentaire en 2021, c’est vraiment rafraîchissant !
Waterlose. Karibou (scénario), Josselin Duparcmeur (couleur). Delcourt, coll. Pataquès. 62 pages. 13,50 euros.
Les dix premières planches :