André Chéret laisse Rahan, le fils des âges farouches, orphelin
Le dessinateur André Chéret, cocréateur de Rahan aux côtés du scénariste Roger Lecureux, est décédé à l’âge de 82 ans. Auteur discret, il laisse une œuvre importante, dont pas moins de 4 000 planches des aventures préhistoriques du fils des âges farouches.
Rahan est orphelin. Après le scénariste Roger Lecureux, disparu le 31 décembre 1999 à l’âge de 74 ans, puis la coloriste Chantal Chéret – décédée en 2017 –, le dessinateur André Chéret nous a quitté le jeudi 5 mars. Il avait 82 ans. « André est décédé ce matin en région parisienne. Il s’en est allé tranquillement, sans souffrir », a expliqué sa fille Corine dans un communiqué. « Il sera incinéré, et ses cendres iront rejoindre celles de sa femme Chantal, la coloriste de Rahan, dans le jardin du souvenir en Sologne, près de leur maison où ils vivaient depuis presque trente ans », a de son côté précisé Jean-François Lecureux, fils de Roger Lecureux, qui s’est associé à la douleur de la famille Chéret.
Né le 27 juin 1937 à Paris, André Chéret est essentiellement connu pour être le cocréateur de Rahan, l’un des personnages emblématiques de la bande dessinée franco-belge. Apparu pour la première fois en février 1969 dans le numéro inaugural de Pif Gadget, Rahan est l’un des rares héros vivant à la Préhistoire, une période qui n’a pas vraiment passionné les auteurs de bande dessinée. Figure de proue du célèbre magazine jeunesse des éditions Vaillant – historiquement associées au Parti communiste français –, le fils des âges farouches a longtemps tenu la dragée haute aux héros des revues de bande dessinée concurrentes (Spirou, Tintin, Pilote…). Ses aventures ont marqué toute une génération de lecteurs, bien au-delà des milieux communistes ou plus largement de gauche. Rahan n’en a pas moins indirectement souffert du déclin du PCF dans les années 1980, de même que de celui des journaux de BD jeunesse. La version hebdomadaire de Pif Gadget cesse d’ailleurs sa parution en février 1993.
Contrairement à Jacques Martin dans Alix, Roger Lecureux et André Chéret n’ont pas cherché à faire une bande dessinée purement historique. Rahan est même dénué de toute approche scientifique dans son traitement de la Préhistoire. Il côtoie par exemple des dinosaures, disparus plusieurs millions d’années avant l’apparition des premiers hominidés. Il est en revanche porteur de valeurs universelles – générosité, courage, ténacité, loyauté et sagesse –, matérialisées par les cinq griffes de tigre à dents de sabre qui composent le collier hérité de son père adoptif, Craô le Sage. Des valeurs qui se veulent celles véhiculées par le communisme. Physiquement très proche de Tarzan – peau blanche, physique athlétique, vêtu d’un pagne en peau de bête –, Rahan va porter la bonne parole de clan en clan, oubliant les querelles passées, et ne regardant que vers l’avenir. C’est un internationaliste avant l’heure. Curieux insatiable, il partage ses connaissances patiemment acquises avec ses frères humains, appelés « ceux qui marchent debout ». Il lutte ainsi contre l’obscurantisme et les superstitions. Et s’il ne va pas jusqu’à affirmer que la religion est l’opium du peuple, il s’oppose sans cesse aux sorciers et aux chamans dont il croise la route.
Au total, André Chéret a réalisé environ 4 000 planches de Rahan entre 1969 et 2015, année au cours de laquelle il a décidé de mettre un terme à sa carrière de dessinateur pour des raisons de santé. Durant cette période, l’auteur s’est quasiment exclusivement consacré à Rahan. « Avec Rahan, j’ai trouvé une série à ma convenance, qui met en valeur l’anatomie humaine et animale, la nature à l’état brut. Je m’y sens bien, ce qui peut expliquer que mon graphisme se soit rapidement affiné », déclarait André Chéret au magazine Hop! en 2005 à propos de sa plus célèbre création. L’évolution du dessin d’André Chéret est en effet notable lorsque l’on relit aujourd’hui les aventures de Rahan, même si ses principales qualités sont présentes dès le début : finesse du trait, expressivité, élégance du mouvement, compositions riches… Toutes ces pages ont récemment été rassemblées dans une édition intégrale en 26 volumes publiée par les éditions Soleil à l’occasion du 50e anniversaire de la création de la série. A noter que Mourad Boudjellal, fondateur de la maison d’édition toulonnaise, avait commencé à bâtir son catalogue avec la réédition en albums d’anciennes gloires du 9e art, et en premier lieu Rahan. Le héros au coutelas en ivoire a également connu deux adaptations en série télévisée d’animation – en 1986 et 2008 –, qui ne sont néanmoins pas allées au-delà de la première saison. A partir de 2003, un projet de long-métrage réalisé par Christophe Gans est même en développement, avant de connaître un coup d’arrêt brutal en 2006.