Angel Wings T8 Anything goes, tout est permis pour se débarrasser de Marilyn Monroe
Comme dans l’album précédent, ce huitième tome (et dernier) de la série Angel Wings de Yann et Hugault se déroule en Corée. Mais Américains et Nord-coréens ont signé un armistice le 27 juillet 1953 et les combats se sont arrêtés. Pour distraire les milliers de GI’s stationnés en Corée, le commandement américain leur a réservé une surprise : Marilyn Monroe va venir faire un show chez les boys entre le 15 et le 19 février 1954. Le sous-titre de l’album, Anything goes (“Tout est permis”), est le nom de l’orchestre qui accompagne la star. Et c’est Angela Mc Cloud, l’héroïne de la série, qui est chargée du bon déroulement et de la sécurité de cette tournée. Seulement tout n’est pas rose au pays du matin calme et Angela va découvrir qu’on cherche à assassiner Marilyn. Qui veut donc tuer le sex-symbol de l’Amérique ?
Angel Wings raconte les aventures d’une femme pilote Angela Mc Cloud et de son compagnon Robbins Clower, pilote lui aussi. De la campagne de Birmanie (1943) à la guerre de Corée (1953-1954) en passant par les rives du Pacifique (1945), ils affrontent les dangers en pilotant des avions. Le présent album commence le 17 février 1954 dans un camp américain en Corée du sud, où plus de 10 000 GI’s attendent l’arrivée de Marilyn Monroe. À bord de l’hélicoptère qui l’amène, la star ne ménage pas ses effets, tandis qu’Angela dévoile le timing de sa tournée.
Malgré la pluie glaciale, l’actrice fait un tour de chant fantastique. Mais Angela, qui travaille depuis quelques années pour la CIA, découvre des impacts de balle sur l’hélicoptère qui les a transportées. Marilyn poursuit néanmoins sa tournée éblouissante, faisant chavirer tous les cœurs sur son passage.
Une rapide exploration d’Internet permet de se rendre compte que cette tournée de Marilyn Monroe en Corée a produit beaucoup de documents photographiques et cinématographiques. La star est en effet suivie par de nombreux professionnels de l’image, sans compter tous les photographes amateurs que sont les soldats possédant un appareil *. Les auteurs de la BD n’ont eu que l’embarras du choix en ce qui concerne la documentation iconographique. Il est à noter qu’ils n’ont mis en scène que deux prestations de Marilyn Monroe sur les quatre qu’elle a effectuées.
En ce début 1954, Norma Jeane Mortenson de son vrai nom est une actrice mondialement reconnue grâce notamment au récent film d’Howard Hawks Les hommes préfèrent les blondes (sorti en juillet 1953 aux États-Unis) où elle interprète le chanson Diamonds Are a Girl’s Best Friend (reprise p.16, 17 et 18 de l’album). Ceci explique pourquoi les soldats américains se sont déplacés en foules considérables pour venir la voir.
Témoignage d’Edward J Barrus, un soldat du 160e régiment d’infanterie, qui se souvient avoir dû faire une longue route sur une piste poussiéreuse pour l’admirer : « C’était Marilyn que nous étions venus voir. Elle apparut soudain dans un tank, je ne lui reproche pas : c’était ce qu’il y avait de plus sûr. Elle sortit du tank et nous la vîmes de dos. Tous les GI’s criaient. On ne se souciait pas qu’elle sache ou non chanter, nous voulions juste être là pour la regarder. Elle était magnifique. J’ai pensé que j’avais eu raison de m’enrôler pour trois ans, même si j’étais au quarantième rang. »
Concentrons-nous maintenant un petit peu sur le personnage d’Angela. Dans cet épisode, elle est seule. Rob, son compagnon n’apparaît que de dos à la dernière case. Angela se définit elle-même dans la présente aventure comme : « baby-sitter pour starlettes qui viennent amuser les troupes » (p.5). Ce n’est pas la première fois qu’Angela remplit ce rôle. En effet, dès le second album de la série, Black Widow, elle vient en aide à Jinx, la vedette perdue dans la jungle. Plus tard, dans le Pacifique, elle s’occupe de Betty Lutton, autre starlette en tournée (t4 Paradise Birds et t5 Black Sands). Mais là, le rôle d’Angela est plus officiel si l’on peut dire. Comme elle appartient maintenant à la CIA, elle a aussi une fonction d’agent secret d’où le nom d’Olive Palmer qu’elle se donne.
Les deux grandes nouveautés de cet album sont qu’Angela porte des lunettes de vue et ne pilote qu’à la toute fin de l’album, par accident. Une misère pour une pilote confirmée comme elle. Ainsi qu’elle le rappelle page 32, elle a fait partie des WASP (Women Airforce Service Pilots, “Service de pilotes féminines de l’Armée de l’air”), « fifinella » en argot d’aviateur (cf Angel Wings t1 Burma Banshees p.5). Elle a donc fait du pilotage de transport sur C-47 Dakota dans le tome 1 ; du vol air secours sur North American P-51 Mustang dans le tome 5 Black Sands et des missions spéciales en Corée sur Grumman F7F Tigercat dans le tome 7 Mig Madness.
En dehors de Marilyn Monroe, une autre célébrité américaine est évoquée : il s’agit de son mari, Joe Di Maggio (1914-1999), fils d’immigrés siciliens et qui a été un des plus grands joueurs de base-ball de l’histoire des États-Unis. Son mariage avec Marilyn ne survit que quelques mois à la tournée de l’artiste en Corée.
Il y a également le général américain Mark Wayne Clark (1896-1984), qui a joué un rôle important en 1943-1944 durant la campagne d’Italie pendant la Seconde Guerre mondiale (prise de Rome en juin 1944). Il a pris le 12 mai 1952 la suite du général Ridgway (1895-1993), lui-même successeur le 10 avril 1951 du général MacArthur (1881-1965) comme commandant en chef des troupes de l’ONU en Corée. Comme mentionné dans l’album page 30, le général Clark est bien le signataire pour l’ONU des accords d’armistice dit de Panmunjom le 27 juillet 1953 mettant fin aux combats en Corée. Rappelons-nous que depuis cette date, il n’y a toujours pas eu de traité de paix.
Et pour finir cette galerie de portraits, un personnage tient une place importante en arrière-fond à la fin de l’album, il s’agit du dirigeant coréen Syngman Rhee (1875-1965), descendant d’une famille régnante coréenne et résistant à l’occupant japonais. En 1945, à la chute de l’empire japonais, il revient dans son pays grâce à l’avion personnel du général MacArthur. Devenu président de la République de Corée du Sud, il devient de plus en plus autoritaire et devant l’agitation grandissante provoquée par cette politique, il doit démissionner en 1960.
En guise de conclusion, revenons un peu sur la façon positive dont cet opus nous présente le personnage de Marilyn Monroe. À la page 22, son « indestructibilité » est mise en exergue. Mais laissons à Angela le soin d’exprimer page 24 ce qu’elle pense de la star. On peut dire que la jeune femme sait de quoi elle parle, vu ses expériences antérieures avec des starlettes. Plus largement, c’est une tendance de l’historiographie actuelle sur Marilyn Monroe de voir en elle beaucoup plus qu’un sex-symbol sans cervelle au destin tragique. N’oublions pas qu’elle est revenue de Corée avec une pneumonie contractée lors de ses tours de chant.
* : En 2009, dans la première saison des documentaires Mystères d’archives, Arte, en partenariat avec l’INA, consacre un épisode à la tournée de Marilyn en Corée.
Angel Wings T8 Anything goes. Yann (scénario). Romain Hugault (dessin). Paquet. 48 pages. 14,50 euros.
Les trois premières planches :