Inferno, Verticale Hambourg, dans l’enfer des bombardements alliés de 1943
La couverture d’Inferno, Verticale Hambourg l’album de Philippe Pinard et Antoine Crespin répond à un standard iconographique, celui qui montre un grand oiseau de métal à quatre moteurs survolant une mer de flammes. Dans la bande dessinée franco-belge, c’est la représentation traditionnelle d’un bombardier britannique venant de larguer ses bombes de nuit sur une ville allemande : Berlin, Hambourg, Cologne ou Dresde, on ne sait pas. Peu importe, à la verticale, les brasiers n’ont pas de nom et on n’y distingue pas les victimes. Depuis Guernica en 1937, la chose est rentrée dans la logique implacable de la guerre industrielle. C’est toute cette mécanique d’une seule mission de bombardement de la RAF sur Hambourg en juillet 1943 qu’expose ce nouvel opus.
Pourquoi spécifiquement placer l’action de cette BD en juillet 1943 ? C’est qu’au mitan de la quatrième année du second conflit mondial, les Anglo-américains commencent la conquête de l’Italie par le débarquement en Sicile. Malgré cela, l’URSS, par la voix de Staline, réclame aux Anglo-américains d’en faire plus pour soulager l’effort de guerre et les souffrances des peuples soviétiques. N’étant au contact de l’ennemi qu’en Italie, c’est donc dans les airs que les Alliés portent leur effort stratégique. Conformément à leur expérience, la RAF se charge des bombardements nocturnes, tandis que le VIII Bomber Command américain a pour objectif les pilonnages de jour *. A noter que le résultat des quatre jours de largage de bombes incendiaires sur Hambourg par la RAF entre le 27 juillet et le 4 août 1943 est évoqué à la page 33 du tome 4 de Biggles, pilote de la RAF, La Bataille d’Angleterre.
La trame narrative d’Inferno, Verticale Hambourg est très simple. À l’aube du 28 juillet 1943, un bombardier britannique Avro Lancaster, le « D for Dog », rentre en Angleterre après une première mission de bombardement sur Hambourg. Au sol, après son temps de repos, l’équipage apprend qu’un nouveau raid sur Hambourg est organisé la nuit suivante. Le « D for Dog » décolle donc à la tombée de la nuit du 29 au 30 août et met le cap sur le port allemand avec des centaines d’autres bombardiers. Tout le reste de l’album décrit par le menu les diverses péripéties de la mission de l’appareil, avec comme suspense final l’incertitude sur la capacité de l’appareil à rentrer à sa base.
À la lecture d’Inferno, Verticale Hambourg, la comparaison avec Les 7 Nains de Marvano sorti en 1994 chez Dupuis, vient à l’esprit presque immédiatement : similitudes du scénario, de certains cadrages, de certaines situations. Toutefois, dans Inferno, tout est strictement « reconstitué » : le matériel au boulon près, les situations, les dialogues étroitement fonctionnels. En fait, si l’on pousse plus loin l’analyse, les personnages d’Inferno fonctionnent, ils ne vivent pas, ils ne paraissent pas éprouver de sentiments autres que ceux liés à la mission. Et c’est ce qui fait la différence avec Les 7 Nains de Marvano, qui rient, qui délirent et qui aiment. En fait, ce qui humanise Les 7 nains, c’est surtout le récit en voix off du skipper et c’est ce qui manque dans Inferno.
Il y a en particulier une scène dans Inferno qu’on ne peut comprendre que si on a lu auparavant Les 7 Nains. Sans cet éclairage, il n’est pas possible de saisir ce que font à la page 11 les membres de l’équipage du « D for Dog » (Inferno) à l’arrière de l’avion. « Chaque équipage a ses propres rituels avant le départ. Nous, nous pissons en chœur sur la roue arrière », dit le skipper du « S for Snowwhite » (Les 7 Nains) à la page 27.
En revanche, deux éléments marquent l’originalité du présent opus. Tout d’abord, un procédé graphique : toutes les planches dont l’action se déroule la nuit sont imprimées sur du papier noir au lieu du blanc habituel. Ensuite, par une nouveauté dans le scénario : l’apparition des Allemands dans le déroulé de l’action, chasseurs de nuit (page 18) et surtout civils victimes des bombardements (page 28).
À remarquer que le terme Terroristenflieger (« aviateurs terroristes »] de la mère de famille de 1943 s’est transformé en Schokoladenflieger (« aviateurs de chocolats ») ou Rosinenbombers (« bombardiers de raisins secs ») dans la bouche des populations allemandes lors du blocus de Berlin (24 juin 1948 – 12 mai 1949). Ainsi le montrent les pages 9 et 13 de l’album Reinhard le goupil, tome 2 de la série Berlin, de Marvano, où un ancien de l’équipage du « S for Snowwhite » largue des friandises aux petits Berlinois affamés et revit ses missions de bombardements nocturnes durant la guerre.
Comme quoi, les nuits comme les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. Quant à l’efficacité et donc à la raison d’être de l’action guerrière minutieusement décrite dans Inferno, Verticale Hambourg, il vous reste à vous reporter à la mise en recul exposée à la fin de l’article de synthèse Cocardes contre Balkenkreuz, la guerre aérienne à l’Ouest (1940-1945) dans les BD francophones (3/3) Bombardement de l’Allemagne et dernières batailles aériennes. pour en juger.
* : Plus de détails dans notre article Cocardes contre Balkenkreuz, la guerre aérienne à l’Ouest (1940-1945) dans les BD francophones (3/3) Bombardement de l’Allemagne et dernières batailles aériennes.
Inferno T1, Verticale Hambourg. Philippe Pinard (scénario). Antoine Crespin (dessin et couleurs). Paquet. 46 pages. 14,50 euros.
Les cinq premières planches :