BD historiques et humour, un ménage heureux qui redevient à la mode
Après un flirt poussé et plus que réussi avec l’humour, la BD historique a pendant très longtemps voulu rester sérieuse. De grands chefs d’œuvres ont vu le jour, mais c’était alors l’aventure et des personnages liés à une certaine rigueur historique qui menaient les auteurs. Depuis quelques années, l’humour potache, la blagounette (en général) de bon goût, sont revenus en force sous la plume et le pinceau d’auteurs reconnus. En quelques semaines, quatre albums très différents rivalisent d’inventivité pour faire de l’Histoire et se marrer franchement.
La drôle de guerre de Papi et Lucien est un album clairement destiné à la jeunesse. Dessiné par Tehem, il est scénarisé par Fabrice Erre qui est aux commandes avec Sylvain Savoia de la collection Le Fil de l’Histoire raconté par Ariane & Nino (dont Cases d’Histoire a déjà parlé ICI, ICI et ICI) publiée par les éditions Dupuis. C’est aussi le scénariste de la série Walter Appelduck avec Fab Caro. Autrement dit, il sait être drôle. Professeur d’Histoire, il se soucie de transmettre de la façon la plus efficace et la plus ludique possible. Des qualités qu’on retrouve dans les aventures de Papi et Lucien. L’histoire commence avec les débuts de la Seconde Guerre mondiale. Papi, ancien de 14-18 est certain que tout recommence « comme en 14 », il ressort son casque Adrian et sa vieille pétoire, mais Lucien, garçonnet fort en Histoire et au courant de l’actualité, le détrompe : « Non Papi, cette fois ce sont des Nazis. », tandis que la radio délivre l’appel du général de Gaulle. Une seule solution, rejoindre Londres et retrouver la mère de Lucien qui a été recrutée comme secrétaire de la France libre. Arriveront-ils en Angleterre ? C’est toute la question de ce premier tome, fils caché de Papi fait de la Résistance et de La Grande Vadrouille. Un album que les enfants peuvent lire à partir de 11 ou 12 ans. Un petit cahier historique met à leur portée les évènements décrits dans l’album.
La drôle de guerre de Papi et de Lucien. Fabrice Erre (scénario). Tehem (dessin). Éditions Auzou. 56 pages, 11,95 euros
Après un premier tome du Petit théâtre des opérations au succès remarquable et remarqué, le deuxième album connait lui aussi un très bel accueil des lecteurs. Il reprend des histoires parues dans Fluide Glacial et mises en vidéo par Odieux Connard pour sa chaine youtube. Le principe est simple et efficace : des faits réels, avérés, documentés, survenus pendant l’une ou l’autre des deux Guerres mondiales, mais des faits tellement incroyables, improbables, qu’ils sont quasiment inimaginables. Mais on trouve aussi dans Le Petit théâtre des opérations des choses absolument banales que le génie de Julien Hervieux (alias Odieux Connard) parvient à mettre en scène sous un jour inédit et totalement hilarant. Les évènements et surtout les personnages sont toujours présentés de façon très factuelle puis peu à peu, les auteurs tordent une première fois la réalité en mettant le doigt sur une bizarrerie. L’enchainement se fait très logiquement vers d’autres bizarreries, si bien que le lecteur se demandent comment on a pu passer à côté de tout ça après toutes ses années, rendant l’affaire encore plus drôle puisqu’elle permet de se moquer gentiment de tous les érudits qui n’ont pas fait profiter le public de cette bonne tranche de rire. Chaque histoire est accompagnée d’un court dossier historique très documenté qui présente des photos des personnages cités pour bien affirmer que tout est vrai.
Le Petit théâtre des opérations tome 2. Julien Hervieux aka Odieux Connard (scénario), Monsieur Le Chien (dessin). Éditions Fluide Glacial. 56 pages, 14,90 euros.
Les 5 premières planches :
Les Vikings ont le vent en poupe depuis longtemps. Séries et films en ont fait des héros voyageurs des mers, aventuriers violents, découvreurs de l’Amérique avant Christophe Colomb. Dans l’histoire de la bande dessinée, le thème est dominé par la série Thorgal, Harald le Viking et Eric Le Rouge mais ce peuple ombrageux fréquente aussi les séries d’humour. Rappelons-nous les aventures d’Ultrasson, de Dicentim ou de Hägar Dunor. Cet album est un détricotage en règle de la culture viking, dont les auteurs se sont visiblement beaucoup imprégnés. Vikings dans la brume n’est pas sans rappeler l’humour de Kaamelott – la série pas le long métrage – par ses décalages incessants entre le monde viking et le nôtre, les dialogues bourrés d’anachronismes, la rapidité des gags (il y en a deux par page). Comme Kaamelott, la rigolade cache une réflexion intéressante. Vikings dans la brume décrit un moment de bascule. Le monde chrétien a de moins en moins d’envahisseurs, les Normands continuent à piller et saccager mais les motivations ancestrales s’effacent doucement. Quand Reidolf et ses guerriers reviennent au village, leurs femmes leur font bien comprendre qu’elles en ont marre de ranger des casques (certains avec la tête de leur ancien propriétaire). D’ailleurs, plutôt que de prendre conseils auprès des bardes, elles vont plutôt consulter les prêtres ramenés comme esclaves. Les deux auteurs proposent un excellent renouvellement du genre « BD Gag » qui se perdait dans la blague convenue, répétitive et sans grand intérêt.
Viking dans la brume. Wilfrid Lupano (scénario), Ohazar (dessin). Éditions Dargaud. 64 pages, 13 euros.
Les 5 premières planches :
Batailles sous la tente est le premier album de Yannick Orveillon et Benoit Pinchon. C’est une belle réussite. Réalisé entièrement au trait avec quelques tâches de couleurs, le dessinateur étonne par sa faculté à incarner un personnage, un évènement avec peu de moyens apparents. Le scénariste réussi lui aussi avec quelques répliques à nous embarquer à Waterloo, à Hastings ou sur le Chemin des Dames. Le principe de Batailles sous la tente est simple : que se disent les hommes, célèbres ou non, avant une bataille majeure de l’Histoire ? Le résultat est souvent inattendu, les auteurs nous surprennent à chaque récit par leur inventivité et leur culture car rien n’est totalement gratuit dans ces dialogues hilarants et surréalistes. Le destin d’une nation peut rapidement dépendre d’un problème insignifiant à l’échelle de l’Histoire. Le lecteur voit se matérialiser les enseignements du grand historien Paul Veyne qui explique dans la préface de Comment on écrit l’Histoire *, que l’historien néglige beaucoup trop les soucis du quotidien des grands hommes et qu’un ulcère à l’estomac a souvent eu plus d’importance qu’une belle analyse stratégique. Pierre de Taillac qui édite ce livre n’est pas encore un acteur majeur du secteur de la bande dessinée, mais il se fait remarquer par des choix audacieux et il donne leur chance à des auteurs talentueux comme Victor Lepointe qui a déjà publié deux albums remarqués sur la Première Guerre mondiale.
* : Comment on écrit l’Histoire. Paul Veyne, Paris, 1971.
Batailles sous la tente. Yannick Orveillon (scénario), Benoit Pinchon (dessin). Éditions Pierre de Taillac. 160 pages, 14,90 euros
Les 5 premières planches :