Capitaine Tikhomiroff dans la débâcle de l’Armée blanche après la Révolution bolchévique
Dans Capitaine Tikhomiroff, Gaëtan Nocq met en images les souvenirs d’Alexandre Tikhomiroff, officier d’une armée blanche en déroute. Après les âpres combats de la Première Guerre mondiale, le jeune capitaine fidèle au tsar reprend du service en 1918, dans un pays en pleine guerre civile, où l’ennemi bolchévique est partout et nulle part à la fois.
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L’armistice du 11 novembre 1918 ne signifie pas à proprement parler la fin totale des combats en Europe. Dans plusieurs pays, les bouleversements engendrés par la Première Guerre mondiale entraînent un climat de guerre civile qui fait encore parler la poudre. C’est le cas notamment en Russie. En février 1917, les tensions accumulées depuis des décennies, exacerbées par les défaites militaires et un hiver très rigoureux, donnent lieu à une révolution qui aboutit à l’abdication du tsar Nicolas II. Les réformes liées à l’insurrection de 1905 n’auront donc pas suffit à sauver l’aristocratie russe. De ce changement de régime initié à Petrograd naît un pouvoir bicéphale avec d’un côté un gouvernement provisoire en faveur d’un capitalisme sur le modèle des pays d’Europe de l’Ouest, et de l’autre, des soviets (assemblées d’ouvriers et de soldats) aux idées socialistes. La volonté des deux camps de continuer la guerre, qui empêche de faire de grandes réformes, renforce l’influence du Parti bolchevique, jusque là assez discret, dont le slogan est « la paix, le pain et la terre ». En octobre 1917, dirigés par Lénine et Trotski, les bolcheviks prennent le pouvoir par la force, au nom des soviets. C’est à peu près à cette époque qu’une armée contre-révolutionnaire hétéroclite se constitue, dont fait partie Alexandre Tikhomiroff. Une armée formée de fidèles au tsar, de républicains, mais aussi de socialistes révolutionnaires, voire même d’anarchistes, et de quelques troupes extérieures, fournies par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale.
Si Alexandre Tikhomiroff a participé à la Grande Guerre comme mitrailleur, il apparaît au début de l’album en 1918, lorsque l’Armée blanche (en opposition à l’Armée rouge organisée par Trotski) commence à être en difficulté. Sur proposition de son père Tikhomiroff s’est engagé quelques mois auparavant, de même que ses quatre frères (qu’ils ne reverra pas vivants), pour laver « l’honneur du tsar et de la Sainte Russie ». Mais après des premiers succès marquants, le fragile conglomérat des forces contre-révolutionnaires, mal commandé, recule devant les assauts de l’Armée rouge. Et la campagne militaire du capitaine Tikhomiroff n’est plus qu’une fuite éperdue, à tenter de retrouver des troupes amies pour réintégrer un régiment. En pleine guerre civile, alors que les uniformes des deux armées ne sont pas encore différenciés, il faut bien choisir sa réponse lorsqu’on est tenu en joue par un homme armé qui demande nerveusement de quel camp on fait partie. Dans un pays exsangue, déjà sévèrement affaibli par la Première Guerre mondiale, le périple est oppressant et poignant. La lecture de l’album tout autant. Avec un traitement graphique singulier, qui mêle réalisme et expressionnisme, Gaëtan Nocq traduit au plus près les sensations d’Alexandre Tikhomiroff, jeune officier à la dérive dans une patrie qui le rejette. Les dialogues ne sont pas moins justes et traduisent parfaitement l’absurdité d’une situation où les soldats sont souvent livrés à eux-mêmes. La pudeur avec laquelle le capitaine transmet, plus tard, ces souvenirs à son fils, est tout aussi émouvante. Il faut avoir vécu ces périodes un peu folles pour savourer à sa juste valeur la paix revenue.
Capitaine Tikhomiroff. Gaëtan Nocq (scénario, dessin et couleurs). La Boite à Bulles. 192 pages. 28 €
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