Cocardes contre Balkenkreuz, la guerre aérienne à l’Ouest (1940-1945) dans les BD francophones (3/3) Bombardement de l’Allemagne et dernières batailles aériennes
Après les batailles de France (1940) et d’Angleterre (1940-41), les affrontements aériens majeurs de la Seconde Guerre mondiale se situent en Allemagne, où les Alliés décident d’utiliser l’arme des bombardements massifs sur les grandes villes, et les Ardennes, théâtre d’une spectaculaire contre-offensive de la Wehrmacht. Comment la bande dessinée a-t-elle traité ces derniers mois du conflit mondial ? C’est ce que nous allons voir avec ce troisième et dernier volet de notre dossier sur la guerre aérienne à l’Ouest pendant la Seconde Guerre mondiale.
LIEN VERS LA PREMIÈRE PARTIE DU DOSSIER
LIEN VERS LA DEUXIÈME PARTIE DU DOSSIER
Les bombardements de l’Allemagne (1943-1945)
1943 marque la deuxième phase de la guerre aérienne à l’ouest pendant la Seconde Guerre mondiale : commence alors la période des grands bombardements anglo-américains, essentiellement sur l’Allemagne. La RAF et l’USAAF ont maintenant les avions adaptés à cette offensive aérienne, principalement l’Avro Lancaster anglais et le Boeing B17 américain, des bombardiers quadrimoteurs à long rayon d’action.
Face à cette offensive, la Luftwaffe déploie des chasseurs perfectionnés, comme le Heinkel 219 (Le grand duc) équipé d’un radar et le Messerschmitt 262 à réaction. La RAF bombarde de nuit les grandes villes allemandes et l’USAAF effectue des attaques de jour sur les usines stratégiques. Certains dirigeants anglo-américains espèrent ainsi amener la défaite de l’Allemagne nazie. Cet aspect de la guerre aérienne est décrit dans la deuxième partie de l’album didactique Les batailles aériennes de la Seconde Guerre mondiale de 1983, réédité en 2001 et 2010.
Puis, en 1994, sort chez Dupuis dans la collection Air libre, un album de Marvano intitulé Les Sept nains. Cet opus sera réédité chez Dargaud comme premier volet d’une trilogie du même auteur sous le titre Berlin en 2007 et 2008. Le scénario des Sept nains a la simplicité d’une tragédie classique. Unité de temps (quelques jours en août 1943), de lieu (un bombardier anglais de type Lancaster répondant à l’indicatif de S-Snow white (= Blanche neige, d’où Les Sept nains : les 7 hommes d’équipage)), et d’action (la courte idylle du pilote et d’une WAAF, Women’s Auxiliary Air Force, force féminine auxiliaire de la RAF).
Le terrible bombardement anglo-américain de Dresde (13-15 févier 1945, 35 000 morts) est évoqué dans les dernières planches de l’album Le Grand duc T2 Camarade Lilya de Yann et Hugault sorti en 2009 chez Paquet.
Il faut ensuite attendre douze ans pour que les Lancaster reviennent dans la bande dessinée à Hambourg en juillet-août 1943 avec Inferno T1 Verticale Hambourg, sorti en 2021 chez Paquet. Comme l’annonce le titre, c’est d’une mission sur la grande ville hanséatique qu’il s’agit ici.
Il existe un certain nombre de points communs entre le fil narratif des Sept nains, d’Inferno et du film américain Memphis Belle de Michael Caton-Jones sorti en 1990. Certes il s’agit dans ce film de la dernière mission du tour d’opération d’un Boeing B17 américain Forteresse volante. Et les dix membres de son équipage composent un panel de personnalités plus diverses que les sept nains. Mais la comparaison avec les deux bandes dessinées se tient, même si des détails diffèrent. Par exemple, au retour de la mission le Memphis Belle et le Dante’s Daughter (dans Inferno) ont tous les deux, une des roues du train d’atterrissage qui est bloquée. Les Américains réussissent in extremis à la débloquer, tandis que les Britanniques doivent se poser sur une seule roue et donc se crasher.
À quelques mois de la fin du conflit, la guerre aérienne se réactive.
Les batailles aériennes de la fin de la guerre (décembre 1944-mai 1945)
Le 15 décembre 1944, alors que sur le front de l’Ouest les Alliés se préparent à fêter Noël, le territoire français est presque entièrement libéré et il semble que l’étape suivante sera l’invasion de l’Allemagne. C’est sans compter sur la Wehrmacht qui lance à ce moment précis une contre-offensive dans les Ardennes, mettant ainsi en péril la stabilité du front. Du fait de la mauvaise météo, les Alliés ne peuvent pas profiter de leur maîtrise du ciel. Ce qui explique les succès initiaux de cette attaque. Quelques cases de la page 157 de Biggles, pilote de la RAF exposent le fait que l’aviation alliée ne peut intervenir que tardivement pour contrer l’offensive allemande en pleine progression. Mais c’est surtout dans les tomes 5 et 6 de la série Airborne 44 de Philippe Jarbinet, que sont décrites les caractéristiques de cet affrontement. Nous suivons l’héroïne du tome 5 S’il faut survivre, la convoyeuse d’avion Tessa, qui est abattue en pleine zone allemande et doit son salut à l’aide de la population civile. Dans le tome suivant L’hiver aux armes, le temps s’étant éclairci, l’aviation américaine peut ravitailler les parachutistes de la 101e division aéroportée encerclés dans Bastogne et, par des mitraillages au sol, permettre à Tessa d’échapper aux soldats allemands qui la pourchassaient.
Mais alors même que l’offensive terrestre allemande marque le pas, la Luftwaffe lance le 1er janvier 1945 sa dernière grande attaque l’opération Bodenplatte, espérant clouer au sol l’aviation alliée. Deux cases des pages 157 et 158 de Biggles, pilote de la R.A.F., évoquent rapidement cet effort vain de l’aviation allemande. Par contre dans Indochine, T1 Adieu vieille Europe, de Jean-Pierre Pécau et Maza sorti en 2020 chez Delcourt, c’est toute la première séquence des pages 3 à 11, qui est consacrée à la manière bien à lui dont le héros va prendre part à ces combats du 1er janvier 1945.
Et pour terminer ce panorama de la guerre aérienne à l’Ouest, n’oublions pas de mentionner les trois albums de la série Ciel sans pilote de Wallace et Stephan Agosto sortis chez Zéphyr en janvier et juillet 2020 et en aout 2021. Les deux auteurs de F.A.F.L. Forces Aériennes Française libres mêlent dans cette nouvelle série, combats aériens, drame familial, histoires d’amour et d’espionnage autour des V1 et des V2.
Tout ayant une fin même les Guerres mondiales, voici comment le 8 mai 1945 est décrit dans Biggles, pilote de la R.A.F page 160.
Ce constat établi en 1983 par Francis Bergèse est aussi celui de l’historien américain Howard Zinn (1922-2010), dans son livre La bombe. De l’inutilité des bombardements aériens, Lux Éditeur, 2011. L’auteur sait de quoi il parle. En effet, il a été bombardier durant la guerre sur un B17 de la 8th Army de l’USAAF et a pris part au bombardement au napalm de Royan (15 avril 1945). Plus tard, il retourne dans cette petite ville de Charente-Maritime pour se documenter et écrire son livre.
Ce panorama de la production de bande dessinée concernant la guerre aérienne à l’Ouest pendant la Seconde Guerre mondiale, nous montre combien cette forme nouvelle qu’ont prises les hostilités a marqué les mémoires. Non seulement le conflit était mondial mais surtout il était total par cet aspect de danger venu du ciel qui pouvait frapper quasiment n’importe où, avec une capacité de destruction sans cesse grandissante jusqu’au feu nucléaire.