Darnand, quand le héros de la Grande Guerre plonge dans l’abjection
Première partie d’un triptyque biographique, Darnand, bourreau français démarre son récit avec les combats de la Première Guerre mondiale. Dans cet album, Fabien Bedouel et Patrice Perna décrivent la trajectoire d’un héros de la Grande Guerre devenu pendant l’Occupation l’un des pires collabos.
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Les individus les plus abjects peuvent-ils aussi être des héros ? C’est un peu la question a laquelle répond en filigrane ce premier tome de Darnand, bourreau français. Pour ses faits d’armes pendant la Première Guerre mondiale, Joseph Darnand reçoit la médaille militaire, la Croix de Guerre – française et belge – et la Légion d’honneur. Il hérite également, rien que ça, du titre « d’artisan de la victoire », comme Foch et Clemenceau. A la tête de son corps franc le 14 juillet 1918, ce nettoyeur de tranchées subtilise en effet les derniers plans d’attaque allemands en date, donnant à la France un avantage déterminant lors de la quatrième bataille de Champagne, l’ultime grande offensive de l’ennemi. Au début de la Seconde Guerre mondiale, à 42 ans, il s’engage comme combattant volontaire, commande une nouvelle fois un corps franc et réalise encore des exploits. Il est nommé « premier soldat de France » et promu officier de la Légion d’honneur. Mais à la défaite, Darnand rallie sans hésiter celui qui lui avait remis la médaille militaire, le – désormais – maréchal Pétain. Il plonge sans ambages dans la collaboration, la Légion française des combattants, le Service d’ordre légionnaire, la LVF, s’engage dans les Waffen-SS, prête serment à Hitler, et devient surtout secrétaire général de la Milice, dont il préconise, encourage et justifie les nombreuses et écoeurantes exactions. Darnand, un des plus farouches partisans de l’ultracollaboration avec les nazis, est condamné à mort et fusillé en octobre 1945.
Que l’on ne s’y trompe pas, être un héros de la Grande Guerre n’implique pas forcément d’être un homme bon. Les premières pages de Darnand, bourreau français montrent la froide détermination, l’absence de scrupules et de compassion pour l’ennemi du sergent Darnand. A la tête d’un corps franc, adepte des missions périlleuses et sauvages dans les tranchées adverses, le sous-officier n’en est pas moins un militaire d’exception, que ses hommes sont prêts à suivre jusqu’en enfer. Et cela tombe bien, car l’enfer n’est jamais très loin sur le front. Même dans son propre camp, lorsque Joseph Darnand exécute de sang froid des soldats désarmés qui se rendent. A la guerre comme à la guerre pourrait-il dire cyniquement, en portant le proverbe au paroxysme de l’ignominie. Une fois la paix revenue, l’individu galvanisé à tuer continue de déverser sa haine de l’autre. Darnand, bourreau français insiste sur cette période de l’entre-deux-guerres marquée par l’influence majeure des anciens combattants. Membre de l’Action française à partir de 1925, Joseph Darnand est partie prenante de cette mouvance nationaliste, royaliste, antibolchévique, antisémite, qui utilise la violence armée pour tenter de prendre le pouvoir. L’album souligne bien les obsessions et les contradictions d’un personnage qui exècre l’Allemagne avant de se soumettre avec passion aux nazis. Ainsi que sa fascination morbide pour l’héroïsme militaire (il tente en vain de s’engager en 1914 alors qu’il n’a que 17 ans).
Darnand, le bourreau français 1/3. Patrice Perna (scénario). Fabien Bedouel (dessin). Sandrine Bonini (couleurs). Rue de Sèvres. 56 pages. 15 €
Les 10 premières planches :