Hyver 1709 : le Royaume de France crie famine
Passé de mode en littérature ou encore au cinéma, le récit de cape et d’épée a encore de beaux jours devant lui dans le domaine de la bande dessinée. Qui plus est quand Nathalie Sergeef et Philippe Xavier en proposent une interprétation originale en se penchant sur la grande famine de 1709, qui a coûté la vie à plus de 600.000 personnes.
Avec le règne de Louis XIV (entre 1643 et 1715, le plus long de l’Histoire de France), on assiste à l’avènement d’une monarchie absolue de droit divin, qui ne sera renversée – provisoirement – que par la Révolution française, en 1789. Souverain tout puissant d’un état centralisé, le Roi-Soleil est aussi connu pour avoir été un insatiable conquérant. Guerroyer contre les autres couronnes européennes semble même avoir été l’un de ses passe-temps favoris. Il faut bien occuper 72 années de domination sans partage… Parmi les nombreux conflits auxquels le Royaume de France a pris part durant cette période figure la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), qui a débouché sur le traité d’Utrecht et une victoire en demi-teinte. Mais l’issue de la confrontation aurait pu être bien pire pour Louis XIV. Fin 1708, après sept années de combats, la France, exsangue, sur le point d’être envahie par les forces de la Grande Alliance (notamment l’Autriche, la Prusse, et la Grande-Bretagne), demande la paix. Mais des conditions jugées humiliantes ont pour conséquences une poursuite de la guerre. Un malheur n’arrivant jamais seul, l’hiver 1709, particulièrement rigoureux, affame littéralement la population. Ce sont plus de 600.00 personnes qui meurent alors de froid et, surtout, de faim, en raison de la flambée des prix des céréales.
C’est dans ce contexte de fin du monde que se déroule Hyver 1709. Pour leur première collaboration, Nathalie Sergeef et Philippe Xavier – en couple à l’écran comme à la ville – ont opté pour cet épisode et cette période peu exploités en bande dessinée. L’intrigue est centrée sur le personnage de Loys Rohan, chargé de négocier l’achat d’une importante cargaison de blé à des corsaires (1). Il était prévu qu’un ami, et associé dans cette affaire, lui indique personnellement le lieu convenu pour la livraison. Ce messager a malheureusement croisé la route d’un soi-disant moine que la faim a poussé à commettre un geste abominable. Il s’agit en réalité d’un camisard, du nom de ces protestants cévenols en guerre contre le roi de France après la révocation de l’Edit de Nantes, en 1685 (2). Lorsque Loys Rohan découvre le cadavre mutilé de son camarade, il sait qu’il ne lui reste que très peu de temps pour retrouver son assassin, venger sa mort, et surtout récupérer la sacoche dans laquelle se trouve la précieuse missive. Commence alors une traque infernale dans le froid et le blizzard, à travers une campagne recouverte d’un épais manteau de neige. Une course-poursuite qui voit Loys Rohan gagner sans cesse du terrain sur une proie dont les desseins semblent bien plus complexes qu’une soudaine poussée d’anthropophagie.
Comme précédemment pour Croisade ou Conquistador, le diptyque Hyver 1709 se présente avant tout comme un récit d’aventure dans un contexte historique. Un cocktail somme toute assez classique, qui fait ses preuves depuis plus de trente ans. Le principal avantage de la formule étant d’éviter les récitatifs interminables et les longues explications de texte parfaitement indigestes (ce que certains auteurs et éditeurs ne semblent toujours pas avoir compris). Ce premier tome présente un bon équilibre entre la nécessaire contextualisation des événements, et une chasse à l’homme assez surprenante ; le décor enneigé aidant. L’intrigue n’est jamais figée, le héros toujours en mouvement, et la mort omniprésente, ne serait-ce que sous la forme de congères trompeuses. Philippe Xavier confirme qu’il est actuellement l’un des meilleurs dessinateurs de BD historique, même si certaines scènes d’action, que l’auteur voulait dynamiser par un découpage saccadé, manquent paradoxalement de lisibilité (3). Mention également pour les couleurs de Jean-Jacques Chagnaud, qui nous font littéralement grelotter de froid.
(1) Précisons que le protagoniste n’entretient aucun rapport avec la maison de Rohan, famille princière du duché de Bretagne, dont plusieurs membres furent cardinaux du puissant évêché de Strasbourg au XVIIIe siècle.
(2) Entre juillet 1702 et décembre 1704, la guerre des Cévennes oppose les troupes royales aux camisards.
(3) Notamment p.43-44.
Hyver 1709 – Livre I. Nathalie Sergeef (scénario). Philippe Xavier (dessin). Jean-Jacques Chagnaud (couleurs). Glénat. 48 pages. 13,90 €
Les 5 premières planches :