Joseph Smith et les mormons, apparition d’un prophète et naissance d’une secte au milieu du XIXe siècle
Évoquer les mormons, dans l’imaginaire collectif européen, c’est surtout parler de l’Utah, de Salt Lake City et de Brigham Young. Ces facettes ne témoignent que d’une partie de l’histoire du mormonisme. Dans son album, Noah Van Sciver, lui-même mormon dans ses jeunes années, revient sur la création de l’Église de Jésus Christ des saints des derniers jours, antérieure à l’exode des mormons vers l’Ouest américain, en décrivant la vie de Joseph Smith, son fondateur. Joseph Smith et les mormons, très solidement documenté, relate l’apparition et l’ancrage d’une communauté fondée sur les visions mystiques d’un prophète autoproclamé. L’album raconte en détail la mise en place d’un culte religieux mené par un leader omnipotent. Édifiant.
Comme l’auteur le précise dans sa postface, il a quitté l’environnement mormon quand ses parents ont divorcé, et sa mère a tout fait pour déconstruire ses convictions religieuses, acquises dans son jeune âge. Tiraillé entre les deux positions antagonistes de ses parents, il décide de réaliser une biographie du créateur de l’Église de Jésus Christ des saints des derniers jours pour y voir plus clair. “Je me suis rendu sur tous les sites historiques, précise-t-il, je suis allé dans leurs églises, j’ai lu tous les livres, écouté leurs cantiques.” Le résultat est une tentative de récit objectif qui en dit long sur les origines d’une confession religieuse qui compte aujourd’hui plusieurs millions d’adeptes (16 millions dans le monde selon les mormons, plutôt la moitié pour de nombreux observateurs).
Avec un dessin au style presque naïf, Noah Van Sciver donne la part belle aux dialogues pour dérouler la vie de Joseph Smith, né dans une famille de travailleurs agricoles qui habite dans le Vermont, le New Hampshire puis l’Etat de New York, pour trouver un meilleur sort. A 20 ans, le jeune homme démarre un carrière de chercheur de trésors, activité qui a un certain succès à cette époque sur la côte nord-est des Etats-Unis. Il prétend découvrir des richesses enterrées en regardant une pierre au fond de son chapeau. Les résultats sont peu probants et on commence à le traiter de charlatan (il est même jugé pour cela). Sa vie bascule en 1827, lorsqu’il affirme avoir déterré, sur les conseils d’un messager céleste qui lui apparaît depuis quatre ans, des plaques en or couvertes de caractères égyptiens. Il le nomme Livre de Mormon, du nom d’un prophète imaginaire ayant vécu au IVe siècle ap. JC en Amérique du Nord. Noah Van Sciver montre le travail de traduction titanesque mené par Joseph Smith sur ces objets exceptionnels que seuls onze proches du “prophète” ont attesté avoir vu (la damnation éternelle étant promise à celles et ceux qui auraient posé les yeux sur les plaques). Cette traduction est, pour le moins, sujette à caution.
D’abord, parce que l’universitaire sollicité en 1828 pour authentifier l’alphabet déclare que celui-ci est un canular, formé de caractères hébreux, grecs et romains, plus ou moins modifiés. Ensuite, parce que le “Livre de Mormon” affirme que les peuples amérindiens ne sont rien moins que les descendants des tribus d’Israël et développe une saga digne du Mahabharata pour raconter leur histoire. Curieusement, ce récit invraisemblable (pour nos connaissances modernes) ne sort pas de l’imagination de Smith. Il se nourrit de publications de l’époque, dont par exemple View of the Hebrews, d’un certain Ethan Smith, publié en 1823.
Joseph Smith profite du grand bouillonnement (ou questionnement) religieux dans lequel baignent les États-Unis (depuis toujours ?). Les visions mystiques y sont monnaie courante et le jeune homme n’est pas en reste. Après Dieu et Jésus en 1820 et l’ange Moroni en 1823, il affirme être visité par Jean-Baptiste, Pierre, Jacques et Jean (1829), Moïse, Elias et Elie (1836). Au fil des ans, son statut de prophète s’affermit, légitimé par son prétendu contact direct avec l’au-delà. Comme bon nombre de ses contemporains, il profite de l’attente des populations pour ajouter un mouvement religieux à ceux, issus du protestantisme, déjà abondamment présents aux États-Unis. Sincérité d’un illuminé ou machiavélisme d’un ambitieux, Noah Van Sciver laisse le bénéfice du doute à Joseph Smith. Mais insiste sur les éléments qui vont sonner le glas d’un meneur qui parvient en quelques années à créer une forte communauté de fidèles et même une milice.
Le principal point d’achoppement avec l’extérieur de sa communauté est l’apparition soudaine du mariage plural dans l’enseignement de Joseph Smith, nourri par ses discussions fréquentes avec Dieu. La polygamie est en effet liée à jamais aux mormons, même si elle est abandonnée par l’Église de Jésus Christ des saints des derniers jours en 1890. Noah Van Sciver fait le lien direct entre l’émergence du mariage plural dans le discours de Smith et les premières infidélités faites à son épouse. La vie est plus simple quand on peut changer les lois à sa guise. Ce nouveau commandement révolte les populations alentours et sème un grand trouble à l’intérieur même de la communauté. Pour répondre à ces contestations, Noah Van Sciver montre que Joseph Smith choisit l’intransigeance. En 1844, il va même jusqu’à détruire les presses du Nauvoo Expositor, le journal du bourg qu’il administre, après quelques articles dénonçant fermement la polygamie.
Le mouvement religieux initié par Joseph Smith aurait pu disparaître dans le sang, comme beaucoup de sectes considérées comme hérétique par l’orthodoxie chrétienne. Il s’en est d’ailleurs fallu de peu. Joseph Smith est arrêté et emprisonné deux fois (la seconde fois, il y perd la vie), et sa communauté est réprimée dans le sang. L’Histoire montre que l’Église de Jésus Christ des saints des derniers jours a pu survivre et prospérer malgré ces tourments et la fragilité inouïe de ses fondements. Joseph Smith et les mormons est très intéressant pour connaître dans le détail la création de l’Église des mormons à travers la personnalité de son fondateur, et par extension, pour étudier les mécanismes de mise en place d’une secte. Ce personnage hors norme, qui crée une banque pour financer son mouvement religieux et se déclare candidat aux élections présidentielles états-uniennes en 1844, rappellerait presque l’Empereur Smith cher à René Goscinny. Contre toute attente, il est parvenu à laisser une empreinte beaucoup moins anecdotique.
Joseph Smith et les mormons. Noah Van Sciver (scénario, dessin et couleurs). Delcourt. 464 pages. 34,95 euros.
Les 25 premières planches :