La Guerre de Catherine : pour endurer l’Occupation, traquer le Beau dans l’objectif
Catherine se nomme en vérité Rachel Cohen. Elle a une douzaine d’années lorsque les premiers décrets antijuifs sont promulgués en 1940. Son enfance est flétrie par la traque et les rafles de l’État français. Inspirées par une histoire vraie, Julia Billet et Claire Fauvel racontent, dans La Guerre de Catherine, la bouleversante histoire de cette enfant mûrie par les épreuves qui traverse la période sombre de l’Occupation portée par sa passion pour la photographie. Une magnifique leçon de courage teintée d’une réflexion sur l’art de la photographie, adaptée d’un roman* de littérature jeunesse éponyme.
Pour écrire cette belle chronique, Julia Billet s’est inspirée de l’enfance de sa propre mère, notamment de son passage dans un établissement scolaire hors du commun, la Maison de Sèvres. Fondé sous l’égide du Secours National en octobre 1941 pour héberger les enfants victimes des restrictions dues à la guerre, ce lieu d’accueil très proche de Paris avait aussi pour vocation de servir la propagande du Maréchal. C’était sans compter sur ses deux directeurs, Yvonne et Roger Hagnauer, ou plutôt Goéland et Pingouin comme les appellent leurs élèves. Non contents de mettre en œuvre une pédagogie révolutionnaire à l’écoute de l’enfant, ces deux enseignants profondément laïques, humanistes et pacifistes transforment leur institution en « Petite république ». L’organisation de la semaine et les décisions concernant la vie pédagogique y sont votées par les élèves. Les enseignants se chargent ensuite de mettre en pratique les décisions de l’assemblée générale : Musaraigne enseigne le chant choral, Bip (Marcel Marceau en personne) le mime. Un beau jour, Pingouin confie à Catherine la mission de devenir la photographe officielle de l’école. Il lui prête alors un appareil Rolleiflex, déclenchant ainsi une vocation qui va changer la vie de Catherine.
Il souffle comme un vent de liberté dans la Maison de Sèvres et à l’époque, de la liberté à la résistance, il n’y a qu’un pas. Très tôt, l’établissement devient un refuge pour des enfants juifs qu’on dissimule sous de fausses identités. Mais bientôt les faux-papiers ne suffisent plus : il faut quitter Sèvres la mort dans l’âme. L’Œuvre** de Secours aux Enfants prend le relais. C’est le début d’une errance de trois ans pour Catherine, qui emporte avec elle son appareil photo, ses pensées sur le huitième art et la farouche envie de vivre.
À travers l’odyssée de Catherine, les auteurs nous rappellent utilement l’un des aspects méconnus et néanmoins des plus stratégiques de la résistance : procurer l’anonymat et donner l’asile aux personnes en quête de clandestinité. Hormis quelques villages célèbres entrés dans l’Histoire (Chambon-sur-Lignon*** en Haute-Loire, Dieulefit*** dans la Drôme), de nombreux orphelinats, monastères ou fermes ont caché des fugitifs ou du matériel sensible durant la guerre. De Riom jusqu’au fin fond des montagnes pyrénéennes, en passant par la campagne limougeaude, Catherine enchaîne ainsi les refuges provisoires. Chemin faisant, elle prend sous son aile l’émouvante Alice, croise Agnès et Blandine le temps d’une mémorable profession de foi, devient la confidente de Cristina la fiancée du chef du maquis. Elle apprend aussi que la bonté et l’humanité des êtres dépassent parfois les apparences (quand la vie ne tient qu’à une bonne gifle donnée dans un couvent ou à un petit mot laissé par un soldat allemand rencontré chez un photographe). Et grâce à une passion commune, Catherine croise bientôt Étienne…
Si la figure de Catherine nous touche autant, ce n’est pas seulement parce qu’elle affronte avec abnégation la perte de plus en plus probable de ses parents, la dépossession de son identité, les ruptures répétées avec tous ceux à qui elle s’attache provisoirement. Le scénario de Julia Billet trouve le bon équilibre entre les pérégrinations forcées d’une enfant juive traquée et de profonds moments d’introspection sur l’art de photographier. La place éminente accordée à l’image semblait prédestiner le passage du roman de littérature jeunesse à la BD. En mettant généreusement son dessin au service de cet hommage à la photographie, Claire Fauvel donne la preuve de son talent. Indiscutablement, cet album mérite la caution que lui apporte le ministère de l’Éducation nationale et réciproquement, il démontre une fois encore que le 9e art est un vecteur crédible pour initier tout un public scolaire à une approche sensible de ce que furent certaines heures sombres de notre passé.
La photographie peut saisir la beauté et la dignité de tous les hommes, héros comme anonymes, en se glissant dans ce que Catherine appelle joliment « un interstice de la vie dans l’extraordinaire »
« J’ai besoin de m’empreindre du monde, de voyager, d’aller à la rencontre d’ailleurs et des autres ». Ces paroles prononcées par Catherine redevenue Rachel au printemps 1946 sonnent comme un hymne à la vie, mais pas sur le mode du cliché. À l’aube d’une carrière artistique et forte des expériences accumulées pendant « sa » guerre, elle n’oubliera jamais comment la grâce et la beauté triomphent du malheur en s’imposant à elle comme par enchantement, dans des jeux de miroirs ou des clairs-obscurs.
* : La Guerre de Catherine, collection Médium, l’École des Loisirs, 2012.
** : Association juive créée le 28 octobre 1912 par des médecins de Saint-Pétersbourg, l’OSE place ses actions au service des valeurs humaines fondamentales. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle contribue à sauver plus de 5 000 enfants en les cachant puis en les exfiltrant du territoire français.
*** : 1000 à 2000 Juifs dont beaucoup d’enfants furent sauvés au Chambon, qui accéda à ce titre au rang de « Juste parmi les Nations » en 1990. Moins connu, dans le village de Dieulefit, 1500 personnes furent sauvées grâce au courage d’une secrétaire de mairie et des trois directrices de l’institution scolaire de Beauvallon. Sept habitants de ce village furent admis parmi les Justes, tout comme Yvonne Hagnauer, co-fondatrice de la Maison de Sèvres, dès 1974.
La Guerre de Catherine. Julia Billet (scénario). Claire Fauvel (dessin et couleurs). Rue de Sèvres. 112 pages. 16 €
Les 5 premières planches :
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[…] Pour en savoir plus, lire le billet publié par CAPITAINE KOSACK le 7 juillet 2017 sur le site de Cases d ‘histoire […]