La guerre d’Indochine (1946-1954) dans les BD françaises – 2/3 De la guerre des postes à Diên Biên Phu
Malgré le petit nombre d’albums de bande dessinée consacrés à la Guerre d’Indochine (voir la première partie du dossier), il est possible de remarquer un certain nombre de constantes dans les thématiques développées d’un opus à l’autre et qui reflètent les multiples facettes de cette guerre oubliée. Une première question : Dien Bien Phu, si souvent évoqué, parfois même uniquement comme titre, serait-il l’arbre qui cache la forêt des autres aspects de ce conflit si particulier ? Une des caractéristiques de cette guerre coloniale, c’est ce qu’on a appelé la guerre des postes, une des conséquences de la guérilla.
LIRE LA 1ère PARTIE DU DOSSIER
La guerre des postes
En effet, un des premiers impératifs stratégiques du commandement français après le déclenchement des hostilités ouvertes le 19 décembre 1946, est de contrôler le territoire indochinois pour bloquer les attaques de la guérilla. Pour ce faire, il a fallu construire énormément de postes fortifiés là où il n’y en avait pas et renforcer ceux qui existaient déjà. C’est ce qu’explique cette case de La Légion, T3, p.8.
Un des éléments constitutifs de ces postes est, comme on peut le voir sur la case ci-dessus et sur les trois autres ci-dessous (Une épopée française, p 19 ; Tramp intégrale troisième Cycle, p 69 ; La rafale T2 Les traverses de Long Sap, p 18), l’existence d’au moins une haute tour en maçonnerie avec une plate forme sommitale. Ces « donjons », comme les désigne Pierre-Yves Calec selon la terminologie de l’époque, ont les mêmes trois fonctionnalités que leurs homologues médiévaux. Ils sont à la fois un poste d’observation, le dernier réduit de résistance, mais surtout la marque psychologique de l’emprise sur le territoire qu’ils surveillent.
Ainsi que nous l’avons vu précédemment, deux bandes dessinées racontent les aventures de jeunes officiers français en charge du commandement d’un de ces postes : Une épopée française, T1 : Indochine (1990) et La concubine rouge (2012). Mais les scènes d’assaut de ces postes par les combattants du Viet Minh, se retrouvent fréquemment dans d’autres albums, comme par exemple dans La route de Cao Bang p.34 et La rafale T2 Les traverses de Long Sap, p.28.
Et ces attaques étaient tellement fréquentes que, même dans les zones censées être contrôlées par le CEFEO (Corps Expéditionnaire Français en Extrême Orient), des villages entiers étaient aux mains du Viet Minh. La preuve ci-dessous avec cette carte dite « vérole » établie par le commandement français : dans le delta du Fleuve rouge, sont notées par un point rouge, ces implantations du Viet Minh, qui à l’époque de Diên Biên Phu abritent au moins deux divisions de l’APV (Armée Populaire Vietnamienne, bras armé du Viet Minh) qui s’y sont infiltrées, malgré la ceinture de fortifications de la « Ligne de Lattre » (résurgence de la ligne Maginot ?). Autre illustration de cet état de fait : cette photo d’une réunion d’état major de l’APV où on peut voir ce même genre de carte affichée au mur dans le dos du général Giap debout au centre de l’image.
Cette guerre des postes se déroule tout au long des sept années du conflit, en étant très « dévoreuse » de jeunes officiers français comme le lieutenant d’Une épopée française et le capitaine de La concubine rouge. A tel point qu’une promotion de Saint Cyr est sur le point de disparaître dans le bourbier indochinois, avant que la nouvelle n’arrive. Le lieutenant Bernard de Lattre (prénommé par erreur Bertrand dans Une épopée française p.8), fils du général, trouve la mort le 30 mai 1951 dans le poste qu’il commande, à Ninh Binh dans le delta du Fleuve rouge (La Légion, p 15).
Légionnaires et parachutistes
Si la guerre des postes représente l’aspect statique du conflit, légionnaires et parachutistes, unités d’élite en sont le coté mobile et déplaçable selon les nécessités stratégiques. Pour la Légion étrangère, la matière est abondante dans La Légion, T3, Diên Biên Phu et aussi dans les trois tomes de La rafale.
Les unités parachutistes sont surtout évoquées dans les trois albums qui se déroulent à Diên Biên Phu (La Légion, T3 : Diên Biên Phu ; La grande évasion, T5 : Diên Biên Phu ; Rendez-vous avec X : Diên Biên Phu) ainsi que dans Indochine T2 Que le diable t’emporte p.43-52. Quant à Marcel Bigeard, le plus célèbre des officiers parachutistes, il apparaît également dans La Légion, T3 : Diên Biên Phu p.21 et avec sa fameuse casquette dans Rendez-vous avec X, Diên Biên Phu p.14. Dans le Diên Biên Phu de Tuot et Cazanave, il devient le « colonel Bizzard », incapable lui aussi de ressusciter le soldat mort.
La défaite de la RC 4
Antérieurement à Diên Biên Phu, il y a en octobre 1950 une autre défaite moins célèbre, celle dite de la RC 4. En voici le déroulement. Le commandement français avait décidé depuis longtemps d’abandonner les postes de plus ou moins grande importance se trouvant sur la Route Coloniale n°4 le long de la frontière chinoise de Cao Bang à Lang Son. L’APV s’était d’ailleurs emparée du poste de Dong Khé. L’évacuation de Cao Bang par la RC 4 des troupes et des civils favorables aux Français commence le 3 octobre sous le commandement du lieutenant-colonel Charton. De Lang Son, une colonne de secours sous le commandement du lieutenant-colonel Lepage vient à la rencontre des évacués de Cao Bang. Mais cette colonne de secours tombe dans une embuscade et se retrouve bloquée sur la RC 4. La colonne Charton doit alors quitter la route et emprunter une vieille piste de jungle pour contourner l’obstacle. Les deux colonnes seront toutes deux anéanties par l’APV. Lang Son est évacuée en catastrophe le 17 octobre laissant sur place du matériel, qui sera récupéré par l’APV. La route d’Hanoï est ouverte aux troupes de Giap, qui veulent venir y fêter le Têt, le nouvel an vietnamien, en février 1951.
Le récit qui est fait de ce désastre dans l’album Une aventure de Victor Levallois, La route de Cao Bang, p.37-47 semble presque un reportage sur cet épisode dramatique, tant l’atmosphère de ces heures tragiques est bien rendue à travers l’odyssée de Victor Levallois.
L’album La Légion, dans ses p.12-14, nous livre une description détaillée des combats de cette bataille mouvante d’octobre 1950 dans la jungle et les calcaires de la haute région du Tonkin.
Enfin, c’est dans le tome 9 de Tramp, Le trésor du Tonkin p.124-125 qu’est évoqué par le très beau dessin de Jusseaume le début de cette tragédie de la RC 4.
Le désastre de Diên Biên Phu
Moins de quatre ans après la défaite de la RC 4, éclate le 7 mai 1954 comme un coup de tonnerre l’annonce de la chute du camp retranché français de Diên Biên Phu, à la frontière du Haut Tonkin et du Laos. À cause du traumatisme ressenti en 1954 suite à ce désastre, il n’est pas étonnant que son souvenir cuisant ait produit les trois albums que nous avons mentionnés au paragraphe précédent, avec en plus deux autres qui s’y rattachent plus ou moins, ce qui nous donne un total de cinq albums ainsi intitulés.
Un certain nombre de scènes et d’éléments de récit sont communs à plusieurs albums. Nous avons donc isolé des planches ou des cases qui se répètent dans ces albums.
Commençons par l’évocation du dernier succès français celui de Na San, où du 23 novembre au 2 décembre 1952, la construction et la défense « en hérisson » d’un camp retranché ravitaillé par avion, permet au CEFEO d’infliger une défaite à trois divisions de l’APV qui doivent battre en retraite : Légion, p.16-17.
Cette victoire avait été l’œuvre du général Raoul Salan, commandant le CEFEO, qui est remplacé le 8 mai 1953 par le général Navarre. Celui-ci reprend à son compte l’expérience de Na San et décide de bloquer le général vietnamien Giap dans sa progression vers le Laos en établissant un camp retranché « en hérisson » dans la cuvette de Diên Biên Phu : Légion p.17 ; Rendez-vous avec X, p.9.
Ce sera le 20 novembre 1953 l’opération aéroportée dénommée « Castor » : Rendez-vous avec X, p.11 ; Légion, p.19 ; La grande évasion, p.2.
Dans la fameuse cuvette, un grand camp retranché est construit avec base aéroterrestre et points d’appui : Légion, p.18-19 ; La grande évasion, p.11 ; Diên Biên Phu de Tuot et Casanave.
Contrairement à ce que dit un des soldats ci-dessus, il n’y a pas rien dans ce camps retranché puisque tant que la piste d’atterrissage est encore utilisable, on y amène même un BMC (bordel militaire de campagne) : Rendez-vous avec X, p.20 ; La grande évasion p.9, 13-15 et 19.
Mais le 13 mars 1954 commence un pilonnage du camp retranché par l’artillerie de l’APV qui a réussi à disposer ses canons lourds sur les crêtes qui entourent la cuvette : Légion, p.19 ; La grande évasion p.20 ; Rendez-vous avec X, p.24-25. Bientôt le terrain d’aviation n’est plus utilisable.
Le tir meurtrier de ces canons du Viet Minh démoralise le lieutenant-colonel Piroth, le responsable de l’artillerie du camp français, qui finit par se suicider le 15 mars 1954 : La grande évasion, p.25 ; Rendez-vous avec X, p.31.
Ce pilonnage d’artillerie aura raison des défenseurs malgré les prodiges d’héroïsme des soldats et du personnel de santé, comme l’infirmière convoyeuse de l’air Geneviève de Galard ou les prostituées du BMC qui aident comme infirmières : Légion p.21, Rendez-vous avec X, p.31.
À la suite de ce pilonnage et des assauts répétés de l’infanterie du Viet Minh, le camp retranché finit par tomber le 7 mai 1954 : La grande évasion, p.31 ; Légion, p.23 ; Rendez-vous avec X, p.48.
LIRE LA 3ème PARTIE DU DOSSIER
Une Epopée française T1 Indochine. Jan Bucquoy (scénario), Erwin Sels (dessin). Sonja L’Hoest (couleurs). Glénat. 46 pages.
Victor Levallois T2 La Route de Cao Bang. Laurent Rullier (scénario). Stanislas (dessin). Dominique Thomas (couleurs). Les Humanoïdes Associés. 48 pages.
Tramp – Intégrale tome 3 – Tome 7 à 9 – Cycle asiatique. Jean-Charles Kraehn (scénario). Patrick Jusseaume (dessin et couleurs). Dargaud. 176 pages. 29 €
La Rafale T1 Les Rails rouges. Patrick Cothias et Patrice Ordas (scénario). Wino (dessin). Bamboo. 48 pages. 14,50 euros.
La Rafale T2 Les Traverses de Song-Lap. Patrick Cothias et Patrice Ordas (scénario). Wino (dessin). Bamboo. 48 pages. 14,50 euros.
La Rafale T3 Terminus Saïgon. Patrick Cothias et Patrice Ordas (scénario). Wino (dessin). Bamboo. 48 pages. 14,50 euros.
Indochine T2 Que le diable t’emporte. Jean-Pierre Pécau (scénario). Maza (dessin). Jean-Paul Fernandez (couleurs). Manchu (couverture). Delcourt. 56 pages. 14,95 euros.
Diên Bên Phu. Noël Tuot (scénario). Daniel Casanave (dessin). Les Rêveurs. 10,20 euros.
La Concubine rouge. Clément Baloup (scénario). Mathieu Jiro (dessin et couleurs). Gallimard BD. 112 pages. 16,50 euros.
La Grande évasion T4 Diên Biên Phu. Thierry Gloris (scénario). Erwan Le Saëc (dessin). Johann Corgié (couleurs). Delcourt. 64 pages. 15,50 euros.
Rendez-vous avec X – Diên Biên Phu. Dobbs (scénario). Mr Fab (dessin). Comix Buro/Glénat. 56 pages. 14,95 euros.