La « Retirada » et l’exil après la Guerre d’Espagne, à travers les BD publiées en France
Tout au long du conflit civil espagnol, mais plus encore dans les périodes d’avancées franquistes, les républicains doivent fuir la répression annoncée et se réfugier principalement en France. Le plus gros contingent de fugitifs est celui consécutif à la victoire franquiste définitive de mars 1939, qui pousse un demi-million de républicains à quitter leur pays et à gagner le territoire français, que ce soit celui de la métropole à travers les Pyrénées ou de l’Afrique du Nord française en traversant la Méditerranée. C’est la Retirada (la « retraite »). Les bandes dessinées françaises actuelles décrivent leur calvaire. Elles nous parlent aussi de leur « accueil » en France. Ces républicains qui seront parqués par les autorités françaises dans des camps dressés à la hâte, ne sont pas au bout de leurs tribulations. La Seconde Guerre mondiale, qui commence six mois après leur exode, achève de disperser ces réfugiés. Ceux qui survécurent à ces épreuves et ne voulurent pas rentrer en Espagne durant le temps de la dictature, connaîtront le reste de leur vie durant l’amertume de l’exil, jusqu’à ce que la mort de Franco et la transformation démocratique de l’Espagne permettent à certains de revenir.
« Tout un cortège trébuchant vers un avenir sans boussole »
C’est par ces mots que Mattéo, qui vient d’échapper à une exécution sommaire, qualifie le flot de réfugiés républicains auxquels il s’est joint, à la p. 56 de l’album Mattéo, Cinquième époque (septembre 1936-janvier 1939) de Jean-Pierre Gibrat (Futuropolis, 2019). Cinq cent mille hommes, femmes et enfants convergent vers la frontière française ou plus au Sud vers les ports qui devraient permettre de prendre un bateau salvateur.
C’est cette multitude que l’on retrouve dans tous les albums qui ont pour cadre principal ou temporaire cette tragédie. Certains de ces albums sont un témoignage quasi direct de cet exode, comme celui de Georges Bartolí et Laurence Garcia , La Retirada (Actes Sud BD, 2009), où sont publiés les croquis d’époque de l’artiste catalan Josep Bartoli.
Cet exode de 1939 avait déjà été précédé de mouvements de population semblables. Dans l’album Promenade des Canadiens (Steinkis, 2016), Carlos Guijarro raconte la découverte, puis la traduction en bande dessinée du calvaire des populations civiles fuyant Malaga sous les coups des avions et des navires franquistes en février 1937, ainsi que le dévouement du célèbre médecin canadien Norma Béthune. Qui – comme nous l’expose la première partie de l’album – a donné son nom actuel à cette route d’exode.
Pour certaines autres parutions, la Retirada n’est qu’un épisode d’une intrigue plus large. Dans le diptyque Le convoi de Denis Lapière et Eduard Torrents (Dupuis, 2013), la Retirada est vécue par une famille républicaine de Barcelone, qui franchit la frontière à travers les Pyrénées enneigées en mars 1939, pour aboutir à la frontière française sur le versant nord.
Dans L’art de voler d’Antonio Altarriba et Kim (Denoël Graphic, 2011), cet épisode de traversée de la montagne par la foule des réfugiés n’est qu’une séquence de la biographie complète du père du scénariste.
Dans Dolorès de Bruno Loth (La boite à bulles, 2016), le cadre géographique est différent, puisqu’il s’agit du port andalou d’Alicante. Mais la foule est semblable, même s’il s’agit là de monter sur le dernier bateau en partance : le Stanbrook, un navire anglais à destination de l’Algérie.
Ces scènes du départ du Stanbrock d’Alicante avaient déjà été décrites dans l’album de Paco Roca, La Nueve (Delcourt, 2014). Là encore, elles ne constituent qu’une séquence, la première de cette biographie d’un ancien combattant républicain.
Les camps
Mais ce qui attend ces réfugiés, comme hélas partout ailleurs de nos jours, ce sont les camps. Dans la France de Daladier, c’est cette forme honteuse que prend l’accueil des fugitifs espagnols.
Chronologiquement, la première bande dessinée française qui évoque ces camps, est l’album Les Parias, le tome 12 de la série Louis la guigne de Frank Giroud et Jean-Paul Déthorey (Glénat, 1996). Mais s’y remarquent un certain nombre d’approximations. Cette case est légendée : « Fin avril [1939] « Centre d’accueil » d’Eskeron » qui est un nom fictif (basé sur le nom basque Euskadi). Or, d’après le paysage représenté, il s’agirait du camp de Gurs en Béarn (Basses Pyrénées), mais avec des erreurs : il n’y avait pas de miradors dans ce camp, ni de femmes. Le camp n’était pas gardé par des troupes coloniales, comme le Spahi représenté ici. (Merci à Claude Laharie, historien des camps de réfugies espagnols et spécialiste de Gurs). Le camp de Gurs a été construit en mars-avril 1939 sous la direction du Préfet Angelo Chiappe (frère du préfet de police de Paris Chiappe du 6 février 1934 et père de l’historien Jean-François Chiappe). Angelo Chiappe a été fusillé pour haute trahison le 23 janvier 1945 à Nîmes. Gurs a servi de camp de concentration tout au long de la Seconde Guerre mondiale *.
En outre, le camp décrit dans Les parias possède des baraquements en bois, ce qui n’était pas le cas pour les « camps » à l’autre bout de la chaine pyrénéenne. Là, dans le département des Pyrénées orientales, ils n’étaient souvent que de simples zones de plage entourées de barbelées. C’est ce que montrent à la fois L’art de voler et Le convoi.
C’est aussi dans un camp que se retrouvent en Algérie le héros de La Nueve et ses compagnons républicains espagnols. Là, comme dans les Pyrénées orientales, ils sont gardés par des troupes coloniales françaises, des tirailleurs maghrébins ou sénégalais au fez rouge (p). Un détail qui a du être extrêmement pénible aux républicains, à qui ces hommes devaient rappeler les Moros ou Regulares des troupes franquistes.
Mais ceci est relativement bénin par rapport au sort des républicains espagnols qui seront livrés après 1940 par les autorités françaises aux nazis et déportés en Allemagne au camp de Mauthausen, comme le père de la famille du Convoi ou le héros du Photographe de Mauthausen **.
Que sont devenus les exilés ?
Les destinées des républicains exilés sont multiples. Certains préfèrent rentrer au pays. D’autres choisissent de continuer la lutte antifasciste et/ou de rester en France. Les bandes dessinées se font l’écho de ces différents destins.
Le héros de La Nueve, continuant son combat antifasciste, participera à la libération de Paris, ce que nous verrons dans un prochain article.
Dans L’Art de voler, après avoir connu maintes tribulations en France durant et après la Seconde Guerre mondiale, le héros saisit l’opportunité de rentrer en Espagne et de fonder une famille (p. 121).
Dans Des espaces vides (Delcourt, 2017), Miguel Francisco Moreno évoque les états d’âme et les souvenirs de ceux qui sont rentrés et qui doivent se résigner à devoir contempler la férocité de la répression franquiste (p. 88).
Le sort de ceux qui ont refusé cette soumission et sont restés au nord de la frontière fait aussi l’objet de deux albums. Le premier L’Ange de la Retirada de Serguei Dounovetz et Roca (Six pieds sous terre, 2010), se passe dans la communauté espagnole de Béziers. Dans le second album, intitulé Exil d’Henri Fabuel et Jean-Marie Minguez (Vents d’ouest, 2016), le héros, qui vit à Perpignan, se remémore ses expériences de la Retirada.
Plus près de nous, dans Ernesto (Casterman, 2017) l’autrice bordelaise Marion Duclos narre l’odyssée d’un républicain exilé qui part de Touraine vers l’Espagne et que nous voyons échanger ses souvenirs de guerre avec d’autres réfugiés espagnols à Bordeaux (p. 79).
Point final du conflit civil espagnol, la Retirada – l’exode au printemps 1939 des républicains vaincus – puis les camps et leurs exils, en préfigurent d’autres, ainsi que l’annonce entre les lignes, la dernière case de Mattéo.
* : la chronique du tome 5 de Mattéo ICI.
** : la chronique de Dolorès ICI.
*** : la chronique du Photographe de Mauthausen ICI.
La Retirada. Josep Bartoli (dessins). Georges Bartoli (photographies). Laurence Garcia (Textes). Actes Sud BD. 164 pages. 18,30 €
Mattéo – Cinquième époque (septembre 1936-janvier 1939). Jean-Pierre Gibrat (scénario, dessin, couleurs). Futuropolis. 64 pages. 17 €
Promenade des Canadiens. Carlos Guijarro (scénario et dessin). Steinkis. 116 pages. 18 euros.
Le Convoi T1.Denis Lapière (scénario). Eduard Torrents (dessin). Marie Froidebise (couleurs). Dupuis. 72 pages.
Dolorès. Bruno Loth (scénario et dessin). La Boîte à Bulles. 80 pages. 18 euros.
Le photographe de Mauthausen. Salva Rubio (scénario). Pedro J. Colombo (dessins). Aintzane Landa Chillon (couleurs). Le Lombard. 168 pages. 19,99 €
Louis la guigne T12 Les Parias. Franck Giroud (scénario). Jean-Paul Dethorey (dessin). Glénat. 48 pages.
L’Ange de la Retirada. Serguei Dounovetz (scénario). Paco Roca (dessin). Six Pieds sous terre. 13 euros.
Exil. Jean-Marie Minguez (scénario). Henri Fabuel (dessin). Vents d’Ouest. 104 pages.
Ernesto. Marion Duclos (scénario, dessin et couleurs). Casterman. 160 pages. 20 euros.