L’affaire Markovic : qui veut la peau de Georges Pompidou ?
Délaissant l’histoire militaire, le scénariste et historien Jean-Yves Le Naour fait un détour par le fait divers politique. En s’intéressant aux dessous de L’Affaire Markovic, avec Manu Cassier au dessin, il livre un polar remarquable et une étude des mœurs du gaullisme finissant tout à fait fascinante.
Le 1er octobre 1968, le corps d’un homme est retrouvé dans une décharge dans les Yvelines. Stevan Markovic est rapidement identifié. Soupçonné d’être un espion yougoslave, il a fait partie de l’entourage d’Alain Delon.
Le frère de Markovic se rend à la police avec des lettres qui indiquent qu’il faudra chercher du côté de Delon et de François Marcantoni, un truand ancien résistant, s’il lui arrivait malheur.
L’affaire aurait pu en rester là, dans le milieu de la pègre et des mauvaises fréquentations, quand une rumeur se répand dans les journaux et les cercles du pouvoir gaulliste finissant. On parle de partouzes, de parties fines qui aurait réuni showbiz et monde politique. On dit même qu’une femme de ministre en serait une habituée et que des photos existeraient. La femme de Georges Pompidou est rapidement soupçonnée, des photos circulent, les policiers voient immédiatement qu’elles sont retouchées, l’histoire bascule dans une improbable intrigue faite de chantage et de manipulations politiques. Les journaux, sans beaucoup de vérifications, font état de ces rumeurs. Personne ne se demande comment et pourquoi elles surgissent. Une chose est certaine, Pompidou est l’homme à abattre. Mais qui tient la gâchette ?
Est-ce le général de Gaulle qui ne supporte pas de voir son dauphin déclarer son ambition et donc de le pousser vers la sortie ? Le coup vient-il des ambitieux qui entourent le général, Maurice Couve de Murville en tête (qui devient Premier ministre à la place de Pompidou après Mai 68), Jacques Foccart, l’homme des coups tordus, Jacques Chaban-Delmas ? Des truands qui veulent faire chanter le couple Pompidou ? Une vengeance venue du temps de la Résistance ? Des services secrets de l’Est ou de l’Ouest qui voient d’un œil mauvais la politique étrangère du futur président Pompidou ?
Avec habileté, et parce qu’il connait bien le monde politique de la Ve République, Le Naour conduit le lecteur sur chacune de ses pistes sans en refermer aucune même si beaucoup paraissent farfelues. Il connait bien l’affaire pour avoir réalisé un documentaire, compulsé le dossier judiciaire et interrogé beaucoup de témoins dont des membres de la famille Pompidou. Il peut donc nous immiscer tant au sein des discussions des adversaires de l’ex-Premier ministre que des inquiétudes et des tourments de Claude Pompidou.
Pourtant, il manque une dimension importante qui a caractérisé le pouvoir gaulliste à partir de son arrivée en 1958. Dans les maquis, des liens se sont noués entre résistants authentiques et truands attirés par l’appât du gain ou en quête de virginité après avoir frayé avec les Allemands. Ces liens sont puissants et des services se rendent, d’un côté comme de l’autre. Le ministre Edmond Michelet protège Jo Attia, ancien de la gestapo et futur membre du gang de tractions avant, mais déporté avec Michelet. Les exemples sont nombreux. Les profils de beaucoup de gaullistes sont troubles, comme celui de Jacques Foccart. Des habitudes sont prises. Sans compter la création du SAC (Service d’Action Civique), véritable police politique au service du pouvoir, qui pratique le hold-up, l’extorsion ou le coup de poing. Beaucoup de petits truands font partie de cette officine, ils sont inarrêtables. Quand la police les interroge, ils sortent la carte du SAC, barrée de bleu-blanc-rouge. Plusieurs affaires, entre 1958 et 1981, montrent que le parti gaulliste et ses successeurs nagent en eaux troubles et utilisent des membres de la pègre pour régler leurs affaires.
En 1982, le président François Mitterrand décide de dissoudre le SAC suite à la Tuerie d’Auriol, dans laquelle la famille d’un responsable du Service d’Action Civique a été massacrée par d’autres membres de l‘organisation.
Un remarquable documentaire disponible sur plusieurs plateformes revient sur les rapports politique/milieu depuis 1945 avec beaucoup de témoignages d’acteurs, de tous les camps, de ces accommodements. Précisons ici que la droite française n’a pas le monopole des rapports entre les politiques et les truands. Pour s’en persuader, il suffit de se pencher sur l’histoire de Marseille et des rapprochements entre Gaston Defferre et la famille Guérini.
Dommage que le dessin de Manu Cassier nous laisse sur notre faim. Quand on s’attaque à un épisode historique contemporain avec un souci de véracité, il faut que les personnages de papier ressemblent aux personnages réels et surtout que le trait soit constant. Il est par moment difficile de reconnaitre Georges Pompidou et beaucoup d’autres protagonistes d’une case à l’autre quand ce n’est pas dans tout l’album.
Si cet album est conçu comme un polar efficace et bien construit, il brosse aussi le portrait d’un pouvoir à son crépuscule. Un groupe dans lequel tous s’épient. La confiance est totalement absente mais a-t-elle jamais existé ? Les couteaux sont tirés dans l’optique de l’élection qui s’approche. Suite à cette tentative d’assassinat politique, on dit que Georges Pompidou a gardé sur lui, toute sa vie, un carnet où étaient notés les noms des responsables.
* : Enlèvement et assassinat d’un opposant marocain en plein Paris. Le gouvernement français ne semble pas impliqué dans cet enlèvement mais on y retrouve des truands bien connus pour les accointances gaullistes et un avocat, François Lemarchand, qui sera à la manœuvre contre Pompidou dans l’Affaire Markovic
L’ Affaire Markovic. Jean-Yves Le Naour (scénario). Manu Cassier (dessin). Editions Grand Angle. 88 pages. 19,90 euros.
Les cinq premières planches :