Les Cathares dans la bande dessinée francophone 3/3 Les épisodes marquants
Après avoir détaillé dans la première partie de ce dossier le corpus des albums abordant de le sujet des cathares, puis esquissé dans la deuxième partie le contexte historique, intéressons-nous dans cette troisième partie à la façon dont sont traités dans la bande dessinée francophone les épisodes marquants liés au catharisme. La croisade contre les Albigeois, la prise de Montségur, les comtes de Toulouse et les rites associés au catharisme y sont en bonne place.
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22 juillet 1209 : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens »
S’il est une phrase qui caractérise bien cette période de violence, c’est cette fameuse réponse d’Arnaud Amaury abbé de Citeaux et légat du pape, lors du massacre de Béziers le 22 juillet 1209. On lui demandait le moyen de distinguer les cathares des catholiques. Pourquoi ? Parce que la plupart des croisés, originaires du nord de la France, ne savaient pas en quoi consistait cette différence, et ce d’autant plus que les Occitans se refusaient à leur révéler qui étaient les cathares parmi eux *.
On peut constater que cette formule a été illustrée dans plusieurs bandes dessinées. Et ce dès le premier opus d’Aymeric et les Cathares page 8 : nous sommes à Toulouse en 1211 et on raconte les débuts de la croisade au héros encore enfant ; peut-être est-ce pour cela que les deux personnages au premier plan ont une certaine sauvagerie peinte sur leurs visages. Dans le tome 1 du Dernier cathare, d’ailleurs sous-titré Tuez-les tous, il est évident que la scène page 38 revêt une plus grande théâtralité puisqu’elle se déroule au pied des remparts de Béziers, alors que le comte de Toulouse vient d’apostropher le légat à propos de sa participation à la croisade (mais aucune source historique ne mentionne la présence du comte de Toulouse dans l’entourage du légat à ce moment-là). Et enfin dans le tome 2 de Mémoire de cendres page 17, Helena, dans son cachot de l’abbaye de Fontfroide, reçoit en 1223 la visite d’un vieux moine se présentant comme Arnaud Amaury et elle lui rappelle qu’il est connu par cette fameuse formule.
Bien qu’elle ne soit rapportée, sous la forme différente de « Dieu connaît les siens », que par un seul chroniqueur, et même s’il y a des doutes sur l’historicité de cette formule et de l’identité de celui qui l’aurait proféré, elle est révélatrice de l’esprit de brutalité qui animait les croisés. C’est ce que l’Histoire a retenu et que nous restituent les bandes dessinées.
12 septembre 1213 : bataille de Muret
Au cours de l’année 1213, la pression de Simon de Montfort sur Toulouse se fait insupportable et Raimon VI cherche maintenant une issue en reconnaissant Peire II le roi d’Aragon, comme son suzerain, imité par les comtes de Foix et de Comminges. Ce faisant, le comte de Toulouse abdique l’indépendance que ses aïeux avaient défendu tout au long du XIIe siècle au profit de l’intégration dans un grand ensemble qui regroupe autour de la dynastie barcelonaise toutes les terres méridionales (en jaune et orange sur la carte). Les anciennes possessions Trencavel maintenant tenues par Simon de Montfort (en bleu sur la carte) continuent à jouer leur rôle de blocage au centre de la carte. De cette confrontation dépendra l’avenir de l’Occitanie. L’affrontement ne saurait tarder et il a lieu le 12 septembre 1213 à Muret au sud de Toulouse. Plus expérimenté, Simon de Montfort triomphe de ses adversaires aragonais et occitans pourtant numériquement bien supérieurs, par une large manœuvre tournante (voir schéma ci-dessous). Le roi d’Aragon y perd la vie et le comte de Toulouse ses possessions féodales.
Plusieurs albums consacrent des planches à cet évènement décisif. C’est dans Aymeric et les Cathares pages 32-35 qu’est soulignée la disproportion des forces en présence et le coté inexplicable de leur défaite. Dans Les Cathares pages 14-15, est bien montré le massacre énorme par les chevaliers croisés de l’infanterie des milices toulousaines, auxquelles se sont joints les héros de l’album. C’est par une seule grande case page 51 que Raimond le cathare évoque l’affrontement. Beaucoup plus épique, Le Sang des hérétiques, tome 2 du Dernier cathare consacre treize planches (pages 34-46) à la bataille et ses conséquences pour le héros et ses adversaires qui y participent.
25 juin 1218 : mort de Simon de Montfort à Toulouse
A la mort du roi d’Aragon sur le champ de bataille de Muret en 1213 répond en 1218 celle de Simon de Montfort lors d’un assaut des murailles de Toulouse. Grâce au texte de la Chanson de la croisade albigeoise, nous connaissons bien les circonstances du décès du chef de la croisade : le 25 juin 1218, il s’était découvert en voulant aider son frère blessé et il a eu la tête broyée par une pierre lancée depuis le rempart toulousain.
Cinq albums mettent en scène ce drame. Dans Aymeric et les cathares pages 46-47, focus est fait sur les croisés attaquant la muraille et recevant les pierres des engins toulousains. Dans Cathares page 23, on peut voir la machine de jet et constater que l’une des femmes qui la servent est Ratéria, une des héroïnes de l’album. Dans Donjon cathare page 40, le texte off reprend la formulation de la Chanson de la croisade albigeoise et précise ainsi que c’est « una peireira » [“une pierrière” ou ici “un pierrier”] qui est manœuvrée par des femmes, qui a lancé la fameuse pierre. Si nous pouvons admirer une représentation de cette machine à la case 1 de cette page 40, c’est que le musée du château de Castelnaud en Dordogne, spécialisé dans les engins de jet médiévaux, a participé à la fabrication de l’album ! Ces précisions sont absentes des pages 68-69 de Raimond le cathare, où la narration est de nouveau restreinte aux assiégeants. Et enfin dans Le Dernier cathare, tome 3 Le Jugement de Dieu, il n’y a qu’une courte réminiscence occupant seulement deux cases page 6.
1243-1244 : siège de Montségur
Reportons nous tout d’abord au déroulé des évènements, qui nous sont connus en particulier par La Chronique de Guillaume de Puylaurens. En mai 1243, Hugues des Arcis, sénéchal royal de Carcassonne met le siège devant Montségur. Seulement à cause de l’immensité du site, il ne peut couper complètement les communications du castrum avec l’extérieur. Il faut attendre décembre 1243 pour que les assiégeants puissent prendre la fortification avancée nommée « Roc de la tour » surplombant une falaise à pic (voir photo de la face nord et deuxième schéma). À partir de cette position, ils peuvent progresser sur la ligne de crête vers le haut du castrum et monter un trébuchet qui pilonne village et fortifications. Jusqu’à ce que fin février 1244, les assiégés entament des négociations de reddition. Il est alors convenu d’une trêve de deux semaines, après laquelle, le 16 mars 1244, tous les cathares qui ne veulent pas abjurer sont brûlés et les non cathares amnistiés. Ce qui est fait.
Avant d’aborder la manière dont les différentes bandes dessinées traitent cet épisode tragique, il est nécessaire de s’arrêter sur les renseignements que nous fournit l’archéologie sur les restes des bâtiments de 1243-1244. Pour ça, nous avons mis à contribution les illustrations de la synthèse de Laure Barthet et Michel Sabatier, « Montségur : le mythe à l’épreuve de l’archéologie », in Patrimoines du Sud, n°10, 2019, mis en ligne le 02 septembre 2019. Sur ces deux photos aériennes, les murs que l’on distingue sur le sommet, ne sont pas ceux du castrum (village fortifié) cathare : celui-ci a été détruit en mars 1244 après la reddition et le bûcher des Cathares ; mais ces murailles sont les restes d’une forteresse construite à la fin du XIIIe siècle par le seigneur de Lévis-Mirepoix. Sur les deux plans ci-dessous, celle-ci est signalée par des dessins de couleur bleu clair et la légende « château actuel ». Ces plans nous restituent ce qui a été trouvé sur le sommet de la montagne depuis le « Roc de la tour » jusqu’au castrum. La photo de droite (face Nord) permet de se rendre compte du dénivelé qui existe entre ces deux points et de la raison pour laquelle il a été obligatoire pour les assiégeants de s’emparer en premier de Roc de la tour : c’était la seule possibilité à mettre à profit pour progresser et réduire le castrum. La mention « pas del trabuquet » désigne l’endroit où sera construite « la machine de l’évêque d’Albi », le trébuchet qui écrasera les constructions de Montségur.
Les reconstitutions 3D ci-dessous faites pour l’émission Des racines et des ailes du 19 octobre 2011 (France 3), illustrent ces données archéologiques : le castrum cathare, qui devait posséder sans doute une sorte de maison forte munie d’un donjon, où devaient résider les familles féodales du seigneur Raimon de Pereille et du chef de la garnison Peire-Roger de Mirepoix.
Dans la mesure où ce castrum, ce village fortifié, cette « montagne sûre » de l’Ariège, représente jusqu’en 1244 le refuge et la tête des réseaux cathares un peu comme un phare ou une capitale, il apparaît très souvent dans ces différents opus, et ce dès les premiers albums, comme page 27 dans le tome 1 Helena de Mémoire de cendres. Certains albums se déroulent entièrement à Montségur : c’est le cas pour le deuxième tome de Aymeric à Montségur de Roquebert et Forton, ainsi que pour les tomes 6 et 10 de Mémoire de cendres, le premier (et seul) tome de La Chute, le dernier tome du Dernier cathare et le premier de Cathares.
Nous allons maintenant suivre, à travers les différents albums, les phases de cette prise de Montségur par les troupes du sénéchal royal de Carcassonne.
Cela commence par l’arrivée de celles-ci au bas du Pòg en mai 1243. L’objectif est de couper le castrum de l’extérieur pour pouvoir le réduire essentiellement par la famine, car un assaut direct est impossible vu la configuration du site. D’où la discussion entre les deux personnages dans la case du milieu, car la disparition de Montségur est symboliquement indispensable à l’éradication du catharisme.
Il faut attendre la fin de décembre 1243 pour qu’ait lieu la première phase de la réussite de ce siège : la prise du « Roc de la tour », par une audacieuse escalade nocturne de la falaise (voir plus haut, photo face Nord, dernier schéma et photo hiver au dessus des arbres aux feuilles jaunes).
À partir du roc de la tour et en se protégeant des projectiles des défenseurs, les assiégeants progressent le long de la crête, malgré les obstacles.
Quand ils sont à bonne portée, les attaquants mettent en place un trébuchet, machine de jet de grandes dimensions, capable d’envoyer jusqu’à 200 m de distance des boulets de pierre, qui détruisent les murs et blessent les hommes par leurs éclats.
Pour contrer le danger du trébuchet, les assiégés se voient renforcés par Bertrand de la Vacaleria un « machinator », qui leur aurait été envoyé par le comte de Toulouse. Dans Mémoire de Cendres t10 Le Bûcher p18, cet ingénieur construit un « couillard » machine analogue au trébuchet mais de plus petites dimensions.
Malgré les prouesses des défenseurs, fin février 1244, la reddition du castrum devient inévitable. Une trêve de quinze jours est décidée, à l’issue de laquelle les cathares qui ne veulent pas abjurer seront brûlés et les combattants non cathares amnistiés. Un mot sur la trêve et l’espoir d’une intervention du comte de Toulouse : ceci est un usage de la guerre médiévale, une sorte de politesse, pour permettre au suzerain d’une place assiégée de venir à son secours, avant qu’elle ne soit remise aux assiégeants.
Et puis, c’est l’épilogue dramatique, le bûcher au « prat dels cremats » (le pré des brûlés, emplacement supposé du supplice du 16 mars 1244) vers lequel les condamnés descendent depuis le castrum. Notons que les auteurs du Dernier cathare 4 L’Eglise de Satan mettent dans la bouche de leur héroïne Héloïse, les mots du chapitre 13 de La première lettre de l’apôtre Paul aux Corinthiens, ce que la tradition chrétienne appelle « l’hymne à l’amour ».
Raimon VI et Raimon VII vus par les BD
Les Raimondins, ces « rois non couronnés du Midi », comme on vient de le voir, sont les personnages centraux du drame qui bouleverse l’Occitanie dans la première moitié du XIIIe siècle. C’est pour ça que Raimon VI apparaît dès les premières cases de Raimond le cathare (p7). Normal, dirions-nous puisque cet opus tiré d’un roman est conçu comme les mémoires fictives du personnage. Nous allons maintenant suivre son tracé de vie à travers tous les albums de notre panel et voir ainsi les différences de présentation du personnage selon la succession chronologique des évènements. Raimond le cathare page 15 nous donne une image peu conventionnelle de la fameuse flagellation de Saint-Gilles en juin 1209 (condition mise par l’Eglise romaine à la repentance de Raimon VI et à sa réintégration dans son sein pour que le comte de Toulouse échappe dans un premier temps aux ravages de la croisade), tandis que la présentation du Dernier cathare t1 p27 est plus habituelle.
Puis l’armée croisée (avec les forces du comte de Toulouse) met le siège devant Béziers le 22 juillet 1209 : ce seront les fameux mots du légat Arnaud Amaury. Mais juste avant cette phrase célèbre, les auteurs du Dernier cathare t1 p38 placent une scène où Raimon VI apostrophe le légat. Nous retrouvons dans Mémoire de cendres, t1 p16, Raimon VI sur les murs de Carcassonne après la reddition de la ville, en compagnie du seigneur Bernard de Lorac le père adoptif d’Héléna l’héroïne de la série. Nous avons donc jusqu’à maintenant trois figurations du personnage : si celui de Raimond le cathare apparaît un peu trop vieilli pour un homme qui a 53 ans en 1209, il semble trop jeune dans Le dernier cathare. C’est en dernière analyse dans Mémoire de cendres, t1 qu’il apparaît le plus conforme à son âge réel.
Puis vient le moment où Raimon VI doit affronter Montfort et la croisade qui ravage les possessions raimondines de l’Ouest. N’arrivant plus à contenir l’agression, le comte de Toulouse se place sous la protection du roi d’Aragon, Peire II (1164-1213). Se crée ainsi une alliance, qui pense pouvoir vaincre Montfort sans difficultés. L’affrontement a lieu le 12 septembre 1213 à Muret au sud de Toulouse. Deux albums nous montrent Raimon VI juste avant et au tout début de la bataille. Dans Aymeric t1 p32, au « grand conseil de guerre… Le comte de Toulouse conseille la prudence » et il se fait rembarrer par le roi son suzerain, auréolé de sa victoire sur les musulmans à Las navas de Tolosa (16 juillet 1212) ; Raimon VI est représenté ici comme un homme d’une quarantaine d’années. Dans Le Dernier cathare t2 p34, il harangue son corps d’armée en hurlant « Para[t]ge », mot occitan servant à qualifier l’idéal occitan chevaleresque de noblesse de cœur et de mérite ; il est représenté ci-dessous comme dans le tome 1.
Nous retrouvons Raimon VI quand il pénètre le 13 septembre 1217 dans Toulouse aux mains des hommes de Montfort, alors que Simon est en Provence. Deux opus mettent en scène cet épisode. Dans Raimond le cathare, p59, on peut voir le comte vêtu d’un ample manteau rouge pénétrer dans sa ville. Dans Aymeric et les cathares, t1 p 42, il est accueilli avec des transports de joie par la population toulousaine. C’est ainsi que commence le « grand siège de Toulouse » qui verra en juin 1218 la mort de Simon de Montfort.
Après la mort de Simon de Montfort en juin 1218, dans Raimond le cathare, à la case sept de la page 70, Raimon VI est montré se recueillant après les dix années de guerre auxquelles il vient de faire face. Et c’est finalement à 65 ans le 2 août 1222 que Raimon VI décède : c’est la scène qui est figurée dans Le Dernier cathare, t3 p7.
Concentrons-nous maintenant sur la biographie de Raimon VII, fils du précédent et la façon dont ce tracé de vie est traité dans les différents opus. La première fois qu’apparaît le fils du comte en 1208 dans Raimond le cathare p12, il n’a que onze ans. Remarquons le diminutif de Ramonet ou Raimonet que lui donne son père ainsi que tous les Occitans. La noble dame représentée en arrière-plan est censée être la belle-mère de l’enfant, Eléonore d’Aragon, sœur du roi Peire II d’Aragon et depuis 1203 cinquième épouse de Raimon VI.
Faisons un bond en avant dans le temps jusqu’en novembre 1215 où l’héritier accompagne son père au concile de Latran IV, ce qui est figuré à la page 54 de Raimon le cathare. À la case 6 de cette planche, le jeune comte est reçu en audience par le pape Innocent III, qui en compensation des pertes subies lui donne « Beaucaire, la terre d’Argence et le Comtat Venaissin ». La terre d’Argence est un petit fief sur la rive ouest du Rhône qui comprend Beaucaire, Bollène, Pont-Saint-Esprit, Vallabrègues, Valliguières. Ces terres étaient le douaire (possessions personnelles d’une dame noble donnée à elle par son époux lors du mariage) de sa mère Jeanne d’Angleterre (1165-1199) sœur de Richard cœur de Lion. Le Comtat Venaissin ou marquisat de Provence est constitué de différentes terres entre Avignon et l’Isère (Vaucluse et Drôme actuels). Entre mai et août 1216 se déroule le siège de Beaucaire, où le futur Raimon VII est né en 1197 et où il inflige à Simon de Montfort sa première défaite depuis le début de la croisade en 1209.
Le jeune comte (blond, alors qu’il est brun à la page 12 du même album) est figuré sur ces planches 54 et 55 de Raimon le cathare avec une coupe de cheveux qui fait plutôt penser à la mode du XVe siècle à l’époque de Charles VII et Jeanne d’Arc.
Durant le « grand siège de Toulouse », le 2 juin 1218, le jeune comte vient renforcer la garnison de la ville. C’est ce qui est décrit dans Aymeric et les Cathares, page 45. A la page 48 du même album, après la mort de Simon de Montfort le 25 juin 1218, Raimon VI confie à son fils le soin de bouter les croisés hors d’Occitanie. Avançons encore un peu : toujours dans le même opus à la page 51, c’est le jeune comte qui succède à son père le 2 août 1222. Le personnage du nouveau comte de Toulouse, tel qu’il est traité dans cet album semble bien conforme à la réalité historique d’un jeune prince de 25 ans.
Suit maintenant ce qu’il est convenu d’appeler la période du « sursaut occitan » : Raimon VII reconquiert petit à petit toutes ses possessions. Mais il a maintenant face à lui le nouveau roi de France Louis VIII et celui-ci lance une nouvelle croisade en mai 1226. Le roi meurt de la dysenterie le 29 octobre 1226 et son fils Louis IX, le futur Saint Louis, n’a que 12 ans. C’est donc la régente Blanche de Castille qui continue le combat. Raimon VII est obligé de composer avec le pouvoir royal par le traité de Meaux-Paris du 12 avril 1229. C’est cet évènement qui est représenté dans Aymeric et les Cathares, pages 52-53 avec un Raimon VII montré comme un trentenaire.
Le dernier comte de Toulouse apparaît également dans deux autres opus : Le Dernier cathare, t4, p11 et Mémoire de cendres, t10, p43. Dans le premier, cette seule représentation apparaît comme un décalque de la présentation de son père Raimon VI. Plus intéressante semble être celle du second opus, puisque c’est la seule représentation qui existe postérieurement au traité de Meaux – Paris de 1229 : nous sommes durant l’été 1244, celui qui a suivi la chute de Montségur : le comte de Toulouse vient voir Héléna, l’héroïne de la série, en train de faire les moissons. Encore une fois, Jarbinet arrive très bien à rendre l’image de Raymond VII à quelques années de son décès : il n’a pourtant que 47 ans.
Une petite remarque au passage : dans les dix tomes de la série Mémoire de cendres, au début et à la fin du cycle, Raimon VI et Raimon VII ne sont que des personnages fugitifs : dans le tome 1 pour Raimon VI et le tome 10 pour Raimon VII, un peu comme des balises ouvrant et fermant cette aventure.
Le catharisme dans les BD
À partir de l’an mil, se répandent un peu partout en Europe des dissidences religieuses, comme le catharisme. Celui-ci professe que le monde visible est le lieu de multiples souffrances, donc il ne peut pas avoir été créé par Dieu, qui dans le christianisme traditionnel est présenté comme tout-puissant et infiniment bon. Mais si Dieu est vraiment infiniment bon, il ne peut pas avoir créé la souffrance, donc il n’est pas tout-puissant, donc la création est le fait d’un Dieu mauvais et n’a rien à voir avec le Dieu bon, qu’on rejoindra après la mort. C’est pour ça que les cathares étaient qualifiés de « dualistes », ils croient à ces deux principes du Dieu bon et du Dieu mauvais.
Ci-dessous, est rassemblé un échantillon d’expression de la doctrine cathare dans les différentes BD de notre panel. Nous trouverons ainsi cet exposé dans Aymeric et les Cathares, t1 p50, puis dans La Chute, t1 Les Prisons de chair p7, dans Le Dernier cathare t1 Tuez-les tous p11 et enfin dans Mémoire de cendres t10 Le Bûcher p15. Le fait que dans Le Dernier cathare t1 Tuez-les tous p11, ce soit un évêque catholique romain qui expose la doctrine cathare nous rappelle que nous la connaissons surtout à travers ce qu’en disent les sources catholiques.
À tel point que cette argumentation du Dieu bon et du Dieu mauvais devient « une arme » telle qu’elle est exposée dans Mémoire de cendres t1, pages 28-29 ; t2 p17 ; t3, p36, où deux « Parfaits » présentent un livre au père d’Héléna. Ce texte a effectivement existé : il s’agit du Liber de duobus principiis (Le livre des deux principes) dont l’édition la plus récente se trouve dans Les Cathares, enseignement, liturgie, spiritualité, L’apport des manuscrits originaux, d’Anne Brenon (éditions Ampelos, 2022, pages 269-289). Mais à la page 17 du tome 2 de Mémoire de cendres, le légat Arnaud Amaury désigne l’auteur de cet ouvrage comme étant Arsizio de Crémone. Or, à la page 269 de l’ouvrage d’Anne Brenon, il est dit que l’auteur de ce texte est Jean de Lugio. Seul Philippe Jarbinet serait à même de nous indiquer pourquoi il a choisi le nom de l’auteur de ce texte comme étant Arsizio de Crémone.
Voyons maintenant comment nos BD présentent le seul sacrement cathare, à savoir le « consòlament » (la consolation, venu du latin consolamentum), qui permettait de devenir vraiment cathare et de rejoindre le Dieu bon après la mort. L’exemple présenté ici se trouve dans Aymeric et les Cathares t1 p56-57 : Jordane la sœur du héros, est mourante et on fait venir deux « Parfaits » (ou bons hommes) qui placent un volume des évangiles sur sa tête et placent leurs mains sur le livre, pendant qu’est récité le Notre Père.
Autre exemple dans Donjon cathare page 14. Il s’agit là d’un jeune homme qui veut devenir « Parfait » par un consòlament collectif qui le reconnaît comme tel : toujours le livre sur la tête et l’imposition des mains. Cette imposition des mains que nous retrouvons dans Mémoire de cendres, t6, Montségur, p31, donnée à l’héroïne Héléna, par Guilhabert de Castres, un des Parfaits célèbres, qui pratique ce geste rituel comme l’apôtre Paul sur cet ivoire byzantin. Cette pratique de bénédiction existe aussi de façon identique dans le bouddhisme tibétain.
Le trésor des Cathares
Comme tout groupe humain tragiquement disparu après des opérations militaires suivies d’une traque policière de plusieurs dizaines d’années, les cathares ont suscité différents mythes dont un des plus célèbres est celui de leur trésor. Mais déjà se pose la question : est-ce un trésor matériel ou spirituel ? Plusieurs bandes dessinées font état de cette dichotomie de nature.
Commençons par le trésor matériel, qui est le plus historiquement attesté. C’est ainsi que dans le tome 10 de Mémoire de cendres page 33 après la conclusion de la trêve de quinze jours en mars 1244, il est question de sommes d’argent confié à Pierre Roger de Mirepoix par les cathares de Montségur et page 42 de ce même album est fait mention du trésor, qui là encore est purement numéraire.
Nous retrouvons dans l’album Vasco, Le chemin de Montségur, pages 34-35 ce trésor matériel qui excite la convoitise de Hans Peter van Loo, le compagnon d’aventures de Vasco. Preuve qu’en 1356 le mythe du trésor des cathares est toujours vivace, même si ces cathares du XIVe siècle le déclarent « purement spirituel ».
C’est cet aspect spirituel et même intellectuel du trésor des cathares, qui est mis en scène au tome 4 du Dernier cathare, La Synagogue de Satan, pages 35-36, où l’évêque cathare Bertran Marti montre au héros en quoi consiste le trésor de Montségur, à savoir une collection de textes spirituels et religieux et il en détaille chaque catégorie : « Manuscrits bogomiles » (les Bogomiles sont un secte chrétienne hétérodoxe originaire au Xe siècle de Bulgarie, ayant gagné la Serbie, puis ayant diffusé ses idées en Rhénanie et en Occitanie), « Gnose » (ou mouvement gnostique, est un courant philosophique et spirituel qui dispose que la connaissance (du grec gnosis) ultime se fait par des enseignements ou/et des expériences initiatiques, qui permettent de découvrir le divin en soi-même ; il y eut au IIe et IIIe siècle d’importantes communautés gnostiques chrétiennes), « l’enseignement de Manès » (Manès ou Mani est un théologien iranien du IIe siècle ap. J.C. qui prêcha une religion qui était un syncrétisme amalgamant des éléments du zoroastrisme (religion perse antique) et d’autres religions comme le judaïsme, la christianisme, le brahmanisme et le bouddhisme, où il y a une séparation nette entre le royaume du Bien et celui du Mal, d’où l’adjectif « manichéen » pour qualifier une vision des choses clairement séparée entre Bien et Mal), le Livre des deux principes et la Cène secrète (deux écrits proprement cathares) et « Les écritures » (qui signifie ici la Bible complète : Ancien et Nouveau Testament). Finalement, tous ces écrits sont incendiés lorsque les croisés occupent le castrum de Montségur (p51).
Comme nous l’avons vu plus haut, les trois albums de la série Cathares sont une quête de ce fameux trésor. Cette courte épopée se termine par une scène genre Indiana Jones, se déroulant dans une grotte, où la lumière du soleil permet l’ouverture de la cachette du fameux trésor, qui se révèle être un livre contenant « les secrets de notre Eglise » (p47).
Et enfin, dans les albums « post-Montségur », il y a le tome 11 de la série Le Chevalier blanc, sous-titré Le Trésor des Cathares, où page 35 ce trésor consiste en un coffret, qui se révèle page 46 contenir « de simples morceaux de parchemin. Mais ils ont été écrits par la main de celui qu’on appellera ensuite le christ » !
Terminons ce passage en revue des bandes dessinées cathares par ce beau dessin d’Héléna, l’héroïne de Mémoire de cendres par son auteur Philippe Jarbinet, pour le salon de la bande dessinée de Gruissan en mai 2006.
* : Si on veut plus de précisions sur cet épisode, on consultera Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens, de Jacques Berlioz (Loubatières, 1994) ou plus récemment Figures du catharisme, de Michel Roquebert (Perrin, 2018), chapitre 8, Béziers, 22 juillet 1209. Autopsie d’un massacre annoncé, pages 209-244.
** : Pour plus de précisions sur les écrits cathares on lira d’Anne Brenon, Les Cathares ; Enseignement, liturgie, spiritualité ; L’apport des manuscrits originaux, Ampelos, 2022